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Ludwig von Mises:Le Gouvernement omnipotent - chapitre 3


Anonyme


Chapitre 3 - Etatisme
Le Gouvernement omnipotent
Omnipotent Government: The Rise of the Total State and Total War
OmnipotentGovernment2.gif
Auteur : Ludwig von Mises
Genre
histoire, philosophie
Année de parution
1944
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1. La nouvelle mentalité

L'événement le plus important dans l'histoire des cent dernières années est le remplacement du libéralisme par l'étatisme. L'étatisme revêt deux formes : socialisme et interventionnisme. Les deux ont un but commun : subordonner complètement l'individu à l'État, appareil social et de coercition.

L'étatisme, comme le libéralisme à l'origine, vient d'Europe et ne s'introduisit que plus tard en Allemagne. On a affirmé que des racines autochtones allemandes de l'étatisme pouvaient être trouvées dans l'utopie socialiste de Fichte, les enseignements sociologiques de Schelling et de Hegel. Cependant, les dissertations de ces philosophes étaient si étrangères aux problèmes et aux tâches de la politique sociale et économique qu'elles ne pouvaient avoir une influence directe dans le domaine politique. Quel usage une politique pratique pouvait-elle tirer de l'affirmation de Hegel : L'État est la réalité en acte de l'idée morale, l'esprit moral comme volonté substantielle révélée, claire à soi-même, qui se connaît et se pense et accomplit ce qu'elle sait et parce qu'elle sait ; ou de cette phrase : L'État comme réalité en acte de la volonté substantielle, réalité qu'elle reçoit dans la conscience particulière de soi universalisée est le rationnel en soi et pour soi [1].

L'étatisme assigne à l'État le devoir de guider les citoyens et de les tenir en tutelle. Il aspire à restreindre la liberté d'action individuelle. Il cherche à façonner sa destinée et à réserver toute initiative au seul État. Il arriva en Allemagne venant de l'ouest [2]. Saint-Simon, Owen, Fourier, Pecqueur, Sismondi, Auguste Comte en ont posé les fondations. Lorentz von Stein fut le premier auteur à fournir aux Allemands des renseignements étendus sur les nouvelles doctrines. La parution en 1842 de la première édition de son livre, Socialisme et communisme dans la France actuelle, fut l'événement le plus important du socialisme allemand prémarxiste. Les éléments d'intervention étatique dans la vie économique, la législation sociale et le syndicalisme [3] parvinrent aussi en Allemagne en provenance de l'ouest. En Amérique, Frédéric List se familiarisa avec les idées protectionnistes d'Alexandre Hamilton.

Le libéralisme avait appris aux intellectuels allemands à assimiler les idées occidentales avec une crainte révérencielle. A ce moment, ils pensèrent que le libéralisme était déjà dépassé ; l'intervention étatique dans la vie économique avait remplacé la vieille orthodoxie libérale ; elle aboutirait inexorablement au socialisme. Celui qui ne voulait pas paraître rétrograde devait devenir social, c'est-à-dire ou interventionniste ou socialiste. Les idées nouvelles mettent quelques temps à percer ; des années doivent passer avant qu'elles atteignent les larges couches d'intellectuels. Le système national d'Économie Politique de List fut publié en 1841, quelques mois avant le livre de Stern. En 1847, Marx et Engels publièrent le manifeste communiste. Vers 1865, le prestige du libéralisme commença à disparaître. Rapidement les cours universitaires d'économie, de philosophie, d'histoire et de droit tournèrent le libéralisme en caricature. Les spécialistes des sciences sociales se surpassèrent en critiques émotives du libre-échange et du laissez-faire britanniques ; les philosophes s'acharnèrent sur l'éthique utilitariste à l'usage des courtiers en valeurs, le caractère superficiel des lumières et le côté négatif de la notion de liberté ; les juristes démontrèrent le paradoxe des institutions démocratiques et parlementaires ; et les historiens traitèrent du déclin moral et politique de la France et de la Grande-Bretagne. D'autre part, on apprenait aux étudiants à admirer le royaume social des Hohenzollern de Frédéric-Guillaume Tr, le socialisme noble à la Guillaume Ier, le grand Kaiser de la sécurité sociale et de la législation du travail. Les sociaux démocrates méprisaient la ploutodémocratie occidentale et la pseudo-liberté et ridiculisaient les enseignements de l'économie bourgeoise.

L'ennuyeuse pédanterie des professeurs et la déclamation orgueilleuse des sociaux démocrates ne pouvaient impressionner les personnes douées de sens critique. D'Angleterre pénétrèrent les idées de Carlyle, de Ruskin et des Fabien et de France, le solidarisme. Les églises de toutes croyances se joignirent au choeur. Nouvelles et pièces de théâtre répandirent la nouvelle doctrine de l'État. Shaw et Wells, Spielhagen et Gerhart Hauptmann et d'autres écrivains moins doués contribuèrent à la popularité de l'étatisme.

Notes

[1] Hegel, Philosophie du Droit, Gallimard, 3e édition, p. 190.

[2] Hayek, "The Counter Revolution of Sciences", Economica, t. VIII, pp. 9-36, 119-150, 281-320.

[3] Adolf Weber (Der Kampf zwischen Kapital und Arbeit, 3e et 4e éd., Tübingen, 1921, p. 68), dit très justement en traitant du syndicalisme allemand : Forme et esprit... venaient de l’étranger.

2. L'État

L'État est essentiellement un appareil de contrainte et de coercition. Le trait caractéristique de ses activités est de contraindre les citoyens par l'usage ou la menace de la force à se conduire autrement qu'ils ne voudraient.

Mais tout appareil de contrainte et de coercition n'est pas appelé État. Ce n'est que lorsqu'il est assez puissant pour maintenir son existence, au moins quelque temps, par ses seules forces qu'il est communément appelé un État. Une bande de brigands qui, en raison de la faiblesse relative de ses forces, n'a aucune chance de résister victorieusement à une autre organisation, n'a pas le droit de s'appeler un État. Un État brisera ou tolérera un gang. Dans le premier cas, le gang n'est pas un État parce que son indépendance ne dure qu'un court moment ; dans le second cas, ce n'est pas un État parce qu'il ne repose pas sur sa propre puissance. Les bandes qui faisaient des pogroms dans la Russie impériale ne constituaient pas un État parce qu'elles ne pouvaient tuer ou piller que grâce à la complicité du gouvernement.

Cette restriction de la notion d'État conduit directement aux concepts du territoire et de la souveraineté de l'État. Reposer sur sa propre puissance implique qu'il y a un espace sur la surface de la terre où le fonctionnement de l'appareil n'est pas restreint par l'intervention d'une autre organisation ; cet espace est le territoire étatique. La souveraineté (suprema potestas, pouvoir suprême) signifie que l'organisation repose sur son propre fondement. Un État sans territoire est un concept vide. Un État sans souveraineté est une contradiction dans les termes.

L'ensemble complexe des règles selon lesquelles les membres du gouvernement emploient contrainte et coercition s'appelle loi. Toutefois, le trait caractéristique de l'État n'est pas l'existence de ces règles en tant que telles, mais l'emploi ou la menace de la violence. Un État dont les chefs ne reconnaissent qu'une règle, celle de faire ce qui sur le moment leur semble le plus convenable, est un État sans loi. Que ces tyrans soient ou non bienveillants ne fait aucune différence.

Le mot loi est également utilisé dans un second sens. Nous appelons loi internationale l'ensemble des accords que les États souverains ont conclu de façon expresse ou tacite concernant leurs relations mutuelles. Cependant il n'est pas essentiel, pour qu'une organisation ait la qualité d'État, que d'autres États reconnaissent son existence par la conclusion de tels accords. L'essentiel est le fait de la souveraineté à l'intérieur d'un territoire, pas les formalités.

Les personnes qui ont la direction de la machinerie étatique peuvent assumer d'autres fonctions, devoirs, ou activités. Le gouvernement peut posséder ou gérer des écoles, des chemins de fer, des hôpitaux, des asiles d'orphelins. De telles activités ne sont qu'accidentelles dans la conception de l'État. Quelles que soient les autres fonctions qu'il peut assumer, l'État est toujours caractérisé par la contrainte et la coercition qu'il exerce.

Avec la nature humaine telle qu'elle est, l'État est une institution nécessaire et indispensable. Convenablement administrée, l'État est le fondement de la société, de la coopération entre les hommes et de la civilisation. C'est l'instrument le plus bienfaisant et le plus utile dans les efforts des hommes pour promouvoir le bonheur et le bien-être. Mais c'est seulement un instrument et un moyen, non la fin ultime. Ce n'est pas Dieu. C'est simplement un appareil de contrainte et de coercition, c'est le pouvoir de police.

Il a été nécessaire de s'attarder sur ces truismes parce que les mythologies et métaphysiques de l'étatisme ont réussi à les voiler de mystère. L'État est une institution humaine et non un être surnaturel. Celui qui prononce le mot État, pense coercition et contrainte. Celui qui dit : Il devrait y avoir une loi sur cette question, pense : les forces du gouvernement devraient forcer les gens à faire ce qu'ils ne veulent pas faire ou à ne pas faire ce qu'il veulent faire. Celui qui dit : cette loi devrait être mieux respectée, pense : la police devrait forcer le public à obéir à cette loi. Celui qui dit : l'État est u dieu, déifie les armes et la prison. Le culte de l'État est le culte de la force. Il n'y a pas de menace plus dangereuse pour la civilisation qu'un gouvernement d'hommes incompétents, corrompus ou viles. Les pires maux que l'humanité a jamais endurés étaient infligés par de mauvais gouvernements. L'État peut-être et a souvent été au cours de l'histoire la principale source de malheur et de désastre.

L'appareil de contrainte et de coercition est toujours aux mains d'hommes mortels. Il est parfois arrivé que les gouvernements aient surpassé leurs contemporains et leurs concitoyens à la fois en compétence et en équité. Mais l'histoire nous fournit de nombreux exemples du contraire. La thèse de l'étatisme selon laquelle les membres du gouvernement et ses collaborateurs sont plus intelligents que la population et savent mieux que l'individu ce qui lui est utile est une pure sottise. Les Führers et les Duces ne sont ni des dieux, ni des représentants de Dieu.

Les traits caractéristiques essentiels de l'État et du gouvernement ne dépendent pas de leur structure particulière, ni de leur constitution. Ces traits sont présents à la fois dans les gouvernements despotiques et démocratiques. La démocratie n'est pas non plus divine. Nous traiterons ultérieurement des avantages tirés par la société d'un gouvernement démocratique. Mais aussi grands que soient ces avantages, il ne faut jamais oublier que ces majorités sont aussi exposées que les rois et les dictateurs à l'erreur et à l'injustice. Qu'un fait semble vrai à la majorité ne prouve pas sa véracité. Qu'une politique semble opportune à la majorité ne prouve pas son opportunité. Les individus formant une majorité ne sont pas des dieux et leurs conclusions réunies ne sont pas nécessairement divines.

3. Les doctrines politiques et sociales du libéralisme

Il y a une école de penseurs qui enseigne que la coopération sociale entre les hommes peut être réalisée sans contrainte ni coercition. L'anarchisme croit à la possibilité d'établir un ordre social dans lequel tous les hommes reconnaîtraient les avantages découlant de la coopération et où tous seraient prêts à faire volontairement tout ce qu'exige le maintien de la société et à s'abstenir volontairement de ce qui est nuisible à la société. Mais les anarchistes oublient deux faits : Il y a des individus dont les capacités mentales sont si limitées qu'ils ne peuvent comprendre tous les avantages que la société leur apporte. Et il y a des individus dont la chair est si faible qu'ils ne peuvent résister à la tentation d'obtenir un avantage personnel par une action nuisible à la société. Une Société anarchiste serait à la merci de chaque individu. Nous pouvons admettre que tout adulte sain jouit de la faculté de réaliser l'utilité d'une coopération sociale et d'agir en conséquence. Cependant il est hors de doute qu'il y a des mineurs, des vieillards et des fous. Nous pouvons admettre que quiconque agit contre la société devrait être considéré comme malade mentalement et devant être soigné. Mais tant que tous ne sont pas guéris et tant qu'il y a des mineurs et des vieillards, des dispositions doivent être prises pour qu'ils ne détruisent pas la société.

Le libéralisme diffère radicalement de l'anarchie. Il n'a rien de commun avec les illusions absurdes des anarchistes. Nous devons donc souligner ce point parce que les étatistes essaient quelquefois de découvrir une similitude. Le libéralisme n'est pas assez fou pour vouloir la suppression de l'État. Les libéraux reconnaissent pleinement qu'aucune coopération sociale ni aucune civilisation ne peuvent exister sans un certain degré de contrainte et de coercition. C'est la tâche du gouvernement de protéger le système social contre les attaques de ceux dont les plans d'action sont nuisibles à sa conservation et à son fonctionnement.

La leçon essentielle du libéralisme est que la coopération sociale et la division du travail ne peuvent être réalisées que dans un système de propriété privée des moyens de production, c'est-à-dire dans une société de marché ou capitalisme. Tous les autres principes du libéralisme — démocratie, liberté individuelle, liberté de parole et de la presse, tolérance religieuse, paix entre les nations — sont des conséquences de ce postulat fondamental. Ils ne peuvent être appliqués que dans une société fondée sur la propriété privée.

Partant de ce point de vue, le libéralisme assigne à l'État la tâche de protéger la vie, la santé, la liberté ou la propriété de ses sujets contre toute agression violente ou perfide.

Le fait que le libéralisme veut la propriété privée des moyens de production implique le rejet de la propriété collective des moyens de production, c'est-à-dire du socialisme. C'est pourquoi le libéralisme s'oppose à la socialisation des moyens de production. Il est illogique de dire, comme beaucoup d'étatistes, que le libéralisme a de l'hostilité ou de la haine pour l'État, parce qu'il s'oppose au transfert à l'État de la propriété des chemins de fer ou des filatures de coton. Quand un homme dit que l'acide sulfurique ne fait pas une bonne lotion pour les mains, il ne manifeste pas d'hostilité contre l'acide sulfurique comme tel ; il donne simplement son opinion sur la limitation de son usage.

Ce n'est pas la tâche de cette étude de déterminer si le programme du libéralisme ou du socialisme est plus adéquat pour atteindre les buts communs à tous les efforts politiques et sociaux, c'est-à-dire la réalisation du bonheur et du bien-être de l'homme. Nous ne faisons que décrire le rôle joué par le libéralisme ou l'antilibéralisme — qu‘il soit socialiste ou interventionniste — dans l'évolution qui a conduit à l'établissement du totalitarisme. C'est pourquoi nous pouvons nous limiter à une brève description des grandes lignes du programme social et politique du libéralisme et de son fonctionnement.

Dans un ordre économique fondé sur la propriété privée des moyens de production, le marché est au centre du système. L'action du mécanisme du marché force les capitalistes et les entrepreneurs à produire de façon à satisfaire les besoins des consommateurs aussi bien et aussi bon marché que la quantité et la qualité des ressources, la main-d'oeuvre disponible et l'état des connaissances techniques le permettent. S'ils ne sont pas à la hauteur de leur tâche, s'ils produisent des biens de mauvaise qualité ou trop chers, ou s'il s ne produisent pas les marchandises dont la demande est la plus urgente, ils subissent des pertes. A moins qu'ils ne modifient leurs méthodes de façon à mieux satisfaire les besoins des consommateurs, ils seront finalement classés de leur situation de capitalistes ou d'entrepreneurs. D'autres personnes sachant mieux servir le consommateur les remplaceront. Dans une économie de marché, le mécanisme des prix assure la suprématie des consommateurs. par les prix qu'ils paient et par le chiffre de leurs achats, ils déterminent à la fois la quantité et la qualité de la production. Ils déterminent directement les prix des biens de consommation et par là même fixent indirectement les prix de tous les facteurs matériels de la production ou les salaires de la main-d'oeuvre employée.

Dans une société de marché, chacun sert ses concitoyens et est servi par eux. c'est un système d'échanges mutuels de services et de marchandises, de dons et de prestations réciproques. Dans ce mécanisme qui tourne sans fin, les entrepreneurs et les capitalistes doivent adapter leurs investissements et leurs méthodes de production. Le marché choisit les entrepreneurs et les capitalistes et les remplace aussitôt que des défaillances se révèlent. Le marché est une démocratie où chaque centime a un droit de vote et où le suffrage est journalier.

En dehors du marché, il y a l'appareil social de contrainte et de coercition et ses détenteurs, le gouvernement. État et gouvernement ont le devoir de maintenir la paix intérieure et extérieure. Car ce n'est que dans la paix que le système économique peut atteindre ses fins, la satisfaction la plus complète des besoins et désirs de l'homme.

Mais qui doit commander l'appareil de contrainte et de coercition ? En d'autres termes qui doit gouverner ? C'est une des vues fondamentales de la pensée libérale que le gouvernement est fondé sur l'opinion, et qu'il ne peut donc pas subsister à la longue si les hommes qui le composent et les méthodes qu'ils appliquent ne sont pas acceptés par la majorité des gouvernés. Si la conduite des affaires politiques ne leur convient pas, les citoyens réussiront finalement à renverser le gouvernement par la violence et à remplacer les gouvernants par des hommes qui leur semblent plus compétents. Les gouvernants sont toujours une minorité. Ils ne peuvent rester en fonction si la majorité est décidée à les remplacer. révolution et guerre civile sont le remède ultime d'un gouvernement impopulaire. Dans l'intérêt de la paix intérieure, le libéralisme est partisan d'un gouvernement démocratique. C'est pourquoi la démocratie n'est pas une institution révolutionnaire, c'est au contraire le vrai moyen d'éviter des révolutions. La démocratie est un système assurant l'adaptation pacifique du gouvernement à la volonté de la majorité. Quand les hommes en fonction et leurs méthodes ne plairont plus à la majorité de la nation, ils seront — à la prochaine élection — éliminés et remplacés par d'autres hommes et un autre système. La démocratie aspire à sauvegarder la paix intérieure entre les citoyens.

Le but du libéralisme est la coopération pacifique de tous les hommes. Quand la propriété privée des moyens de production existe partout et quand les lois, les tribunaux et l'administration traitent étrangers et citoyens sur un pied d'égalité, il est de peu d'importance de savoir où passe la frontière d'un pays. Personne ne peut profiter de la conquête, mais beaucoup peuvent subir des pertes dans la lutte. Les guerres ne paient plus ; il n'y a plus de motif d'agression. La population de tout territoire est libre de déterminer à quel état elle désire appartenir ou si elle préfère fonder elle-même un état. Toutes les nations peuvent coexister pacifiquement parce qu'aucune nation n'est intéressée à la dimension de son état.

Évidemment, c'est là un plaidoyer froid et dénué de passion pour la paix et la démocratie. C'est le résultat d'une philosophie utilitaire. Aussi éloigné de la mythologie mystique du droit divin des rois que de la métaphysique du droit naturel ou des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Il est fondé sur des considérations d'utilité commune. Liberté, démocratie, paix et propriété privée semblent bienfaisantes parce que ce sont les meilleurs moyens d'atteindre le bonheur et le bien-être humains. Le libéralisme peut assurer à l'homme une vie à l'abri de la crainte et du besoin, c'est tout.

Vers le milieu du XIXe siècle, les libéraux étaient convaincus qu'ils étaient à la veille de la réalisation de leurs plans. C'était une illusion.

4. Le socialisme

Le socialisme aspire à un système social fondé sur la propriété publique des moyens de production. Dans une communauté socialiste toutes les ressources matérielles sont possédées et gérées par l'État. Cela implique que le gouvernement est le seul employeur et que personne ne peut consommer plus que le gouvernement ne le permet. Le terme socialisme d'État est un pléonasme ; toujours le socialisme est nécessairement socialiste d'État. De nos jours, le planisme est un synonyme populaire de socialisme. Jusqu'en 1917, communisme et socialisme étaient généralement employés comme synonymes. Le document fondamental du socialisme marxiste que tous les partis socialistes unis dans les différentes Associations Internationales de Travailleurs considéraient et considèrent toujours comme l'évangile éternel et inaltérable du socialisme est intitulé Manifeste communiste. Depuis l'ascension du bolchevisme russe, beaucoup de personnes font une différence entre communisme et socialisme ; mais cette différentiation ne se réfère qu'à des tactiques politiques. Actuellement, communistes et socialistes ne sont en désaccord que sur les méthodes à appliquer pour parvenir aux fins qui leur sont communes.

Les socialistes marxistes allemands appellent leur parti social-démocrate. On croyait le socialisme compatible avec un gouvernement démocratique, et même que le programme de la démocratie ne pourrait être pleinement réalisé qu'à l'intérieur d'une communauté socialiste. En Europe occidentale et en Amérique, cette opinion est encore courante. En dépit de toutes les expériences fournies par les événements depuis 1917, beaucoup s'en tiennent obstinément à cette croyance que vraie démocratie et vrai socialisme sont identiques. La Russie, terre classique de l'oppression dictatoriale, est considérée comme démocratique, parce qu'elle est socialiste.

Cependant l'amour des marxistes pour les institutions démocratiques ne fut qu'un stratagème, un pieux mensonge pour tromper les masses [1]. Dans une communauté socialiste il n'y a plus de place pour la liberté. Il ne peut y avoir de liberté de la presse, quand le gouvernement est propriétaire de toutes les imprimeries. Il ne peut y avoir libre choix d'une profession ou d'un commerce quand le gouvernement est le seul employeur et quand il assigne à chacun la tâche qu'il doit accomplir. Il ne peut y avoir de liberté de s'établir là où l'on veut quand le gouvernement a le pouvoir de fixer à chacun sa place. Il ne peut y avoir aucune liberté réelle de la recherche scientifique quand le gouvernement est propriétaire de toutes les bibliothèques, archives et laboratoires et qu'il a le droit d'envoyer quiconque à un endroit où il ne peut continuer ses recherches. Il ne peut y avoir de liberté dans l'art et la littérature quand le gouvernement décide qui seront les créateurs. Il ne peut y avoir ni liberté de conscience ni liberté de parole quand le gouvernement a le pouvoir d'envoyer tout opposant dans un climat nuisible à sa santé ou de lui assigner des tâches au-dessus de ses forces en ruinant ainsi sa santé et son intelligence. Dans une communauté socialiste, le citoyen individuel ne peut avoir plus de liberté qu'un soldat dans l'armée ou un pensionnaire d'orphelinat.

Mais, objectent les socialistes, la communauté socialiste diffère sur ce point essentiel de telles institutions : les habitants ont le droit de choisir le gouvernement. Ils oublient cependant que le droit de vote devient un simulacre dans un État socialiste. Les citoyens n'ont d'autres sources d'information que celles fournies par le gouvernement. La presse, la radio et les salles de réunion sont aux mains de l'administration. Nous n'avons qu'à jeter un regard sur la Russie ou l'Allemagne pour découvrir le véritable sens des élections et des plébiscites sous un régime socialiste.

La conduite de la vie économique par un gouvernement socialiste ne peut être gênée par le vote d'institutions parlementaires ou par le contrôle des citoyens. Les entreprises économiques et les investissements sont arrêtés pour de longues périodes. Ils demandent de nombreuses années pour leur préparation et leur réalisation ; leurs fruits mûrissent tard. Si une loi pénale a été promulgué en mai, elle peut être abolie sans dommage en octobre. Si un ministre des affaires étrangères a été nommé, il peut être renvoyé au bout de quelques mois. Mais des investissements industriels une fois engagés, il est nécessaire de continuer les travaux jusqu'à ce qu'ils soient terminés et d'exploiter l'usine tant que cela semble profitable. La modification du plan original serait un gaspillage. Cela implique nécessairement que le personnel du gouvernement ne puisse être aisément changé. Ceux qui ont fait le plan doivent l'exécuter. Ultérieurement, ils doivent gérer les usines construites, parce que d'autres ne peuvent prendre la responsabilité d'une direction satisfaisante. Un peuple qui accepte une seule fois les fameux plans de quatre ou cinq ans abandonne virtuellement son droit de changer de système et de personnel gouvernemental non seulement pendant la durée des quatre ou cinq ans, mais aussi pour les années suivantes, pendant lesquelles les investissements prévus doivent être utilisés. En conséquence, un gouvernement socialiste doit rester en fonction un temps indéfini. Il n'est plus le réalisateur de la volonté nationale ; il ne peut être renvoyé sans pertes sensibles si son action ne convient plus au peuple. Il a des pouvoirs irrévocables. Il devient une autorité au-dessus du peuple ; il a un droit propre à penser et à agir pour la communauté et ne tolère pas d'intervention dans ses affaires de la part de profanes [2].

Dans une société capitaliste, l'entrepreneur dépend du marché et des consommateurs. il doit obéir aux ordres que les consommateurs lui transmettent en achetant ou en s'abstenant et le mandat dont ils l'ont chargé peut être révoqué à tout moment. Chaque entrepreneur et chaque propriétaire de moyens de production doit chaque jour justifier sa fonction sociale par sa soumission aux besoins des consommateurs.

La direction d'une économie socialiste n'est pas placée dans la nécessité de s'adapter au jeu du marché. elle a un monopole absolu. Elle ne dépend pas des besoins des consommateurs. Elle décide elle-même ce qu'il faut faire. elle ne sert pas les consommateurs comme les entrepreneurs. Elle les ravitaille comme un père son enfant ou le directeur d'une école ses étudiants. c'est une autorité accordant des faveurs et non un entrepreneur empressé à attirer les consommateurs. Le commerçant remercie le consommateur de recommander sa boutique et lui demande de revenir. Mais les socialistes disent : soyez reconnaissants envers Hitler, rendez grâce à Staline, ; soyez attentifs et soumis, alors le grand homme sera également gentil avec vous plus tard.

Le principal moyen de contrôle démocratique de l'administration est le budget. Pas un fonctionnaire ne peut être nommé, pas un crayon acheté si le Parlement n'a pas accordé un crédit. Le gouvernement doit rendre compte de tout centime dépensé. Il est illégal de dépasser les crédits ou de les dépenser pour d'autres fins que celles fixées par le Parlement. De telles restrictions sont impraticables pour la direction d'usines, de mines, d'exploitations agricoles et de systèmes de transport. Leurs dépenses doivent être adaptées aux conditions changeantes du moment. Vous ne pouvez déterminer à l'avance combien il faut dépenser pour désherber des champs ou pour enlever la neige sur les voies de chemin de fer. Cela doit être décidé sur place selon les circonstances. Le contrôle du budget par les représentants du peuple, l'arme la plus efficace d'un gouvernement démocratique, disparaît dans un État socialiste.

Ainsi le socialisme conduit nécessairement à la dissolution de la démocratie. La souveraineté des consommateurs et la démocratie de marché sont les traits caractéristiques du système capitaliste. Leur corollaire dans le domaine politique est la souveraineté du peuple et le contrôle démocratique du gouvernement. Pareto, Georges Sorel, Lénine, Hitler et Mussolini avaient raison de dénoncer la démocratie comme une méthode capitaliste. Chaque pas conduisant du capitalisme au planisme est nécessairement un pas vers l'absolutisme et la dictature.

Les défenseurs du socialisme, qui ne sont pas assez subtils pour s'en rendre compte, nous disent que liberté et démocratie sont sans valeur pour les masses. Le peuple, disent-ils, veut le vivre et le couvert : il est prêt à renoncer à la liberté et au droit de disposer de lui-même pour obtenir un pain meilleur et plus abondant en s'en remettant à une autorité paternelle compétente. A ceci, les vieux libéraux avaient coutume de répondre que le socialisme n'améliorait pas, mais au contraire abaisserait le niveau de vie des masses, car le socialisme est un système de production moins efficace que le capitalisme ; mais cette réplique ne réduisait pas au silence les champions du socialisme. En admettant, répondaient beaucoup d'entre eux, que le socialisme ne puisse donner la richesse à tous, mais une production plus faible, les masses seraient néanmoins plus heureuses, parce qu'elles partageraient leurs soucis avec tous leurs concitoyens et qu'il n'y aurait plus de classes riches pour exciter l'envie des pauvres. Les travailleurs affamés et en haillons de la Russie soviétique, nous disent-ils, sont mille fois heureux que les travailleurs occidentaux qui vivent dans le luxe par comparaison au niveau russe ; l'égalité dans la pauvreté est un état plus satisfaisant qu'un bien-être où des individus peuvent exhiber un luxe supérieur à celui de l'homme moyen.

De tels débats sont vains parce qu'ils n'atteignent pas le coeur de la question. Il est inutile de discuter le avantages allégués d'une direction socialiste. Un socialisme intégral est simplement impraticable, ce n'est pas du tout un système de production ; il aboutit au chaos et aux désillusions.

Le problème fondamental du socialisme est le problème du calcul économique. Dans un système de division du travail, la production, et donc la coopération sociale, exigent des méthodes de computation des frais exigés par les différentes méthodes pensables et capables d'atteindre des fins. Dans une société capitaliste, les prix de marchés sont les unités de calcul. Mais dans un système où tous les facteurs de production sont appropriés par l'État, il n'y a pas de marché et par conséquent ces facteurs n'ont pas de prix. Ainsi le calcul devient impossible pour les dirigeants d'une communauté socialiste. Ils ne peuvent savoir si leurs projets et leurs réalisations sont raisonnables ou non. Ils n'ont aucun moyen de découvrir laquelle des différentes méthodes de production envisagées est la plus avantageuse. Ils ne peuvent trouver une authentique base de comparaison entre les quantités des divers facteurs de production et des divers services ; ainsi, ils ne peuvent comparer les dépenses nécessaires avec la production prévue. De telles comparaisons nécessitent une unité commune et il n'y a pas d'autre unité possible que celle donnée par le système des prix de marché. Les dirigeants socialistes ne peuvent savoir si la construction d'une nouvelle voie de chemin de fer est plus avantageuse que la construction d'une nouvelle route. Et une fois décidé la construction d'une voie ferrée, ils ne peuvent savoir lequel des tracés possibles elle doit emprunter. Dans un système de propriété privée, on utilise des calculs monétaires pour résoudre de tels problèmes ; mais semblables calculs sont impossibles en comparant diverses catégories de dépenses et de revenu en nature. Il est impossible de réduire à une unité commune les quantités de diverses espèces de main-d'oeuvre qualifiée et non qualifiée, fer, charbon, matériaux de construction de différents types, machines et tout ce que la construction, l'entretien et l'utilisation de voies ferrées nécessitent. Mais sans une telle unité commune, il est impossible de soumettre ces plans à des calculs économiques. Le planisme exige que tous les biens et services dont nous devons tenir compte puissent être réduits en monnaie. La direction d'une communauté socialiste serait dans la situation d'un capitaine de navire qui devrait traverser l'océan avec les étoiles masquées par le brouillard et sans l'aide d'un compas ou de tout autre instrument de navigation.

Le socialisme comme mode universel de production est impraticable parce qu'il est impossible de faire des calculs économiques dans un système économique socialiste. Pour l'humanité, le choix n'est pas entre deux systèmes économiques. Il est entre le capitalisme et le chaos.

Notes

[1] Boukharine, Programm of the Communists (Bolshevistes), p. 29.

[2] Hayek, Freedom and Economic System (Chicago, 1939), p. 10 sq.

5. Le socialisme en Russie et en Allemagne

Les tentatives des bolcheviks russes et des nazis allemands pour faire passer le programme socialiste dans la réalité n'ont pas rencontré le problème du calcul économique existant dans le socialisme. Ces deux systèmes socialistes ont fonctionné dans un monde dont la plus grande partie était fidèle à l'économie de marché. Les gouvernants de ces États socialistes basent les calculs nécessaires à leurs décisions sur les prix pratiqués à l'étranger. Sans l'aide de ces prix, leurs actions n'auraient ni but ni plan. Ce n'est que dans la mesure où ils se réfèrent à ce système de prix qu'ils peuvent faire des calculs, tenir une comptabilité et préparer leurs plans. En ayant ce fait présent à l'esprit, nous pouvons admettre la déclaration de divers écrivains et politiciens socialistes selon laquelle le socialisme dans un ou quelques pays n'est pas encore le vrai socialisme. Évidemment, ces hommes attachent un sens tout à fait différent à ces affirmations. Ils essaient de dire que le bienfait intégral du socialisme ne peut être obtenu que dans une communauté socialiste s'étendant au monde entier. Le reste d'entre nous, au contraire, doit reconnaître que les socialisme provoquerait un chaos complet précisément s'il était appliqué dans la plus grande partie du monde.

Les systèmes socialistes allemand et russe ont en commun le fait que le gouvernement a le contrôle complet des moyens de production. Il décide ce qui sera produit et comment. Il alloue à chaque individu, pour sa consommation, une part des biens de consommation. Ces systèmes n'auraient pas été appelés socialistes s'il en était autrement.

Mais il y a une différence entre les deux systèmes, quoiqu'elle ne concerne pas les traits essentiels du socialisme.

Le type russe du socialisme est purement bureaucratique. Toutes les entreprises économiques sont des services publics, au même titre que l'administration de l'armée ou le service postal. Chaque usine, boutique ou ferme a les mêmes relations avec l'organisation centrale qu'un bureau de poste avec les services du ministre des Postes.

Le type allemand diffère du type russe en ce que (en apparence et nominalement) il conserve la propriété privée des moyens de production et maintient les prix ordinaires, les salaires et les marchés. Cependant il n'y a plus d'entrepreneurs mais seulement des directeurs (Betriebsführer). Ces directeurs achètent et vendent, paient les ouvriers, contractent des dettes, paient intérêts et amortissement. Il n'y a pas de marché du travail, les salaires sont fixés par le gouvernement. Le gouvernement indique aux directeurs ce qu'ils doivent produire et comment, à quels prix et à qui ils doivent acheter, à quels prix et à qui ils doivent vendre. Le gouvernement décrète à qui et dans quelles conditions les capitalistes doivent prêter leurs fonds et où et moyennant quel salaire les ouvriers doivent travailler. L'échange de marché n'est qu'un simulacre. Tous les prix, salaires et intérêts sont fixés par le pouvoir central. Ce n'est qu'en apparence qu'il y a des prix, des salaires et des intérêts ; en réalité il y a simplement fixation de relations de quantités par des ordres de l'État. C'est le gouvernement, et non les consommateurs, qui dirige la production. C'est du socialisme masqué par du capitalisme. Quelques étiquettes de l'économie de marché capitaliste sont conservées, amis elles signifient quelque chose de tout à fait différent de ce qu'elles signifient dans une véritable économie de marché.

Dans chaque économie, la copie du modèle n'est si rigide qu'elle ne permette quelques concessions à un autre modèle. En Allemagne il y avait aussi des usines et des entreprises directement dirigées par des fonctionnaires ; il y avait surtout le système des routes nationales, les mines de charbon du gouvernement et les lignes nationales de télégraphe et de téléphone. La plupart de ces institutions sont des vestiges de la nationalisation réalisée par des gouvernements antérieurs sous le régime du militarisme allemand. En Russie, d'autre part, des entreprises et des fermes indépendantes semblent subsister, mais ces exceptions ne changent pas les caractéristiques générales des deux systèmes.

Ce n'est pas un accident que la Russie ait adopté le type bureaucratique et l'Allemagne le type Zwangswirtschaft. La Russie est le plus grand pays du monde et a une population faible. A l'intérieur de ses frontières, elle possède les ressources les plus vastes. Elle est beaucoup mieux dotée par la nature que n'importe quel autre pays. elle peut sans trop grand dommage pour le bien-être de sa population, renoncer au commerce extérieur et vivre en économie fermée ; mais sans les obstacles que le tsar avait d'abord mis à la production capitaliste et sans les insuffisances ultérieures du système bolchevik les Russes, même sans commerce extérieur, auraient pu jouir depuis longtemps du niveau de vie le plus élevé du monde. Dans un tel pays, l'application d'un système bureaucratique de production n'est pas impossible, pourvu que la direction ait la possibilité d'utiliser pour le calcul économique les prix fixés sur les marchés des pays capitalistes étrangers et d'utiliser les techniques mises au point par l'entreprise capitaliste de l'étranger. Dans ces conditions le socialisme n'aboutit pas au chaos complet, mais seulement à la pauvreté extrême. En Ukraine, il y a quelques années, dans le pays le plus fertile d'Europe, plusieurs millions de personnes mouraient littéralement de faim.

Dans un pays à prédominance industrielle, les conditions sont différentes. Le trait caractéristique d'un tel pays est que sa population doit vivre pour une grande part de denrées alimentaires et de matières premières importées [1]. Ces importations doivent être payées par l'exportation de produits manufacturés, qui sont principalement fabriqués à l'aide de matières premières d'importation. Sa force vitale réside dans ses usines et dans son commerce extérieur. Compromettre le rendement de sa production industrielle équivaut à mettre en péril la base de sa subsistance. Si les usines produisent de la mauvaise qualité ou trop cher, elles ne peuvent soutenir la concurrence des marchés étrangers où elles doivent surpasser les produits d'origine étrangère. Si les exportations s'arrêtent, les importations de vivres et d'autres matières essentielles s'arrêtent de façon correspondante ; la nation perd sa principale sources de subsistance.

Mais l'Allemagne est un pays à prédominance industrielle. Tout se passa très bien dans les années précédant la première guerre mondiale ; ses entrepreneurs augmentaient constamment leurs exportations. Il n'y avait pas d'autre pays en Europe où le niveau de vie des masses s'améliorait plus vite que dans l'Allemagne impériale. Il ne pouvait être question pour le socialisme allemand d'imiter le modèle russe. Cette tentative aurait immédiatement détruit l'appareil de commerce extérieur allemand, ce qui aurait soudain plongé dans la misère une nation gâtée par les bienfaits du capitalisme. Des bureaucrates ne peuvent soutenir la concurrence des marchés étrangers ; ils ne prospèrent que parce qu'ils sont protégés par l'État, avec sa contrainte et sa coercition. Les socialistes allemands furent forcés de recourir aux méthodes qu'ils appelèrent le socialisme allemand. Ces méthodes sont, il est vari, beaucoup moins efficaces que celles de la propriété privée ; mais elles sont beaucoup plus efficaces que le système bureaucratique des Soviets.

Ce système allemand a un avantage supplémentaire. Les capitalistes allemands et les Betriebsführer, les anciens entrepreneurs, ne croyaient pas à l'éternité du régime nazi. Ils étaient au contraire convaincus que le système hitlérien s'effondreraient un jour et qu'ils seraient alors rétablis dans la propriété des usines qu'ils possédaient avant le nazisme. Ils se souvenaient qu'au cours de la première guerre mondiale, le programme d'Hindenburg les avait aussi virtuellement dépossédés et qu'avec la fin du régime impérial, ils avaient été rétablis de facto dans leurs droits. Ils croyaient que cela se reproduirait. C'est pourquoi ils prenaient soin de la gestion des usines dont ils étaient nominalement propriétaires et qu'ils dirigeaient. Ils firent de leur mieux pour éviter le gaspillage et conserver le capital investi. Ce n'est que grâce à ces intérêts égoïstes des Betriebsführer que le socialisme allemand a assuré une production convenable d'armements, d'avions et de navires.

Le socialisme serait tout à fait impraticable, appliqué comme système mondial de production et serait privé de la possibilité de faire des calculs économiques. Limité à un ou quelques pays entourés d'une économie capitaliste mondiale, ce n'est qu'un système inefficace. De ces deux types pratiques, le socialisme allemand est moins inefficace que le socialisme russe.

Note

[1] Les États-Unis, quoique pays à industrie très efficace et très importante, n'est pas un pays à prédominance industrielle, car ils jouissent d'un équilibre entre leurs industries croissantes et leur production de denrées alimentaires et de matières premières. Par contre l'Autriche, dont l'industrie est faible comparée à celle des États-Unis, est à prédominance industrielle parce qu'elle dépend dans une grande mesure de l'importation de vivres et de matières premières et doit exporter presque la moitié de sa production industrielle.

6. L'interventionnisme

Toutes les civilisations ont jusqu'à présent été fondées sur la propriété privée des moyens de production. Dans le passé, civilisation et propriété privée ont été étroitement liées. Si l'histoire pouvait nous apprendre quelque chose, ce serait bien que la propriété privée est inextricablement liée à la civilisation.

Les gouvernement ont toujours regardé de travers la propriété privée, les gouvernements ne sont jamais libéraux par penchant. Il est dans la nature des hommes maniant l'appareil de contrainte et de coercition de surestimer leur puissance d'action et de s'efforcer de soumettre à leur influence immédiate tous les domaines de la vie humaine. L'étatisme est la déformation professionnelle des gouvernants, des guerriers et des fonctionnaires. Les gouvernements ne deviennent libéraux que quand ils y sont forcés par les citoyens.

Depuis des temps immémoriaux, les gouvernements ont essayé d'intervenir dans le jeu du mécanisme du marché. Leurs efforts n'ont jamais atteint les fins visées. On attribue souvent ces échecs à l'inefficacité des mesures appliquées et à la faiblesse de leur exécution. Ce qu'il fallait, pense-t-on, était plus d'énergie et de brutalité : leur succès aurait alors été assuré. Ce n'est que depuis le dix-huitième siècle que les hommes ont commencé à comprendre que l'interventionnisme était nécessairement condamné à l'échec. Les économistes classiques ont démontré que chaque constellation du marché avait sa structure de prix correspondante. Prix, salaires, intérêts sont le résultat du jeu combiné de la demande et de l'offre. Les forces agissantes du marché tendent à rétablir cet état — naturel — lorsqu'il est troublé. Les décrets du gouvernement, au lieu d'atteindre les fins particulières recherchées, ne tendent qu'à fausser le fonctionnement du marché et à mettre en péril la satisfaction des besoins du consommateur.

Au mépris de la science économique, la doctrine très populaire de l'interventionnisme moderne affirme qu'il existe un système de coopération économique admissible comme forme permanente de l'organisation économique, qui n'est ni le capitalisme ni le socialisme. Ce troisième système est conçu comme un ordre fondé sur la propriété privée des moyens de production, dans lequel le gouvernement intervient cependant en édictant des ordres et des prohibitions concernant l'exercice des droits de propriété. On prétend que ce système d'interventionnisme est aussi loin du socialisme que du capitalisme, qu'il offre une troisième solution au problème de l'organisation sociale, qu'il est à moitié chemin entre socialisme et capitalisme ; qu'en conservant les avantage des deux, il évite les inconvénients inhérents à chacun. Telles sont les prétentions de l'interventionnisme, telles qu'elles sont présentées par la vieille école allemande de l'étatisme, par les institutionnalistes américains et par beaucoup d'autres groupes dans d'autres pays. L'interventionnisme est pratiqué — excepté par les pays socialistes comme la Russie et l'Allemagne nazie — par tous les gouvernements contemporains. Les exemples les plus marquants de politiques interventionnistes sont la Sozialpolitik de l'Allemagne impériale et la politique du New Deal de l'Amérique actuelle.

Les marxistes ne soutiennent pas l'interventionnisme. Ils reconnaissent l'exactitude des enseignements des économistes concernant la duperie des mesures interventionnistes. Pour autant que les doctrinaires marxistes ont recommandé l'interventionnisme, ils ne l'ont fait que parce qu'ils le considéraient comme un instrument devant paralyser et détruire l'économie capitaliste : ils espéraient accélérer ainsi la venue du socialisme ; mais les marxistes orthodoxes méprisent l'interventionnisme en tant que réformisme paresseux, nuisible aux intérêts des prolétaires. Ils n'attendent pas la réalisation du socialisme d'u arrêt de l'évolution du capitalisme ; au contraire, ils croient que seul un plein développement des forces productives du capitalisme peut aboutir au socialisme. Les marxistes logiques s'abstiennent d'intervenir en quoi que ce soit dans ce qui leur semble être l'évolution naturelle du capitalisme ; mais la logique est une qualité rare chez les marxistes. Aussi la plupart des partis marxistes et des syndicats dirigés par des marxistes sont-ils des partisans enthousiastes de l'interventionnisme.

Un mélange de principes capitalistes et marxistes n'est pas admissibles. Si dans une société basée sur la propriété privée des moyens de production, il y a quelques moyens de production appropriés et gérés par l'État, cela ne prouve rien en faveur d'un tel système hybride combinant socialisme et capitalisme. Les entreprises dont la propriété et la gestion appartiennent à l'État ou à des municipalités, ne changent pas les traits essentiels d'une économie de marché. Comme acheteuses de matières premières, d'équipement et de main d'oeuvre et comme vendeuses de biens et de services, elles doivent d'inclure dans la structure de l'économie de marché. Elles sont soumises aux lois déterminant la production en fonction des besoins des consommateurs. Elles doivent chercher les profits ou tout au moins éviter les pertes. Quand le gouvernement essaye d'éliminer ou d'atténuer cette dépendance en couvrant les pertes de ses usines et de ses exploitations commerciales à l'aide de deniers publics, le seul résultat est de faire passer la dépendance sur un autre plan. Les ressources nécessaires à la couverture des pertes doivent être obtenues par les impôts ; mais cette taxation a un effet sur le marché. C'est l'action du mécanisme du marché et non le gouvernement collectant ses impôts, qui décide qui supportera l'incidence de ces impôts et quelles seront leurs conséquences sur la production et la consommation. Le marché, et non le gouvernement, détermine le fonctionnement de ces entreprises à gestion étatique.

L'interventionnisme ne doit pas être confondu non plus avec le type allemand du socialisme. Le trait essentiel de l'interventionnisme est qu'il ne vise pas la suppression totale du marché ; il ne cherche pas à réduire la propriété privée à un simulacre, ni à astreindre les entrepreneurs au statut de directeurs. Le gouvernement interventionniste ne veut pas se débarrasser de l'entreprise privée ; il veut seulement réglementer son fonctionnement pas des mesures d'intervention isolées. De telles mesures ne sont pas conçues comme des rouages formant un système complets d'ordres et de prohibitions destiné à contrôler tout l'appareil de production et de distribution ; elles ne cherchent pas à replacer l'entreprise privée et l'économie de marché par un planisme socialiste.

Pour saisir le sens et les effets de l'interventionnisme, il suffit d'étudier le fonctionnement des deux types les plus importants d'intervention : intervention par restriction et intervention par contrôle des prix.

L'intervention par restriction cherche directement à détourner la production des canaux par le marché et les consommateurs. Le gouvernement interdit la fabrication de certains biens ou l'utilisation de certaines méthodes de production ou décourage l'emploi de telles méthodes par l'imposition de taxes ou de pénalités. Il supprime aussi quelques-uns des biens disponibles pour la satisfaction des besoins humains. Les exemples les plus connus sont les droits d'importation et autres barrières commerciales. Toutes ces mesures appauvrissent le peuple dans son ensemble et ne l'enrichissent pas. Elles empêchent des hommes d'employer leurs connaissances et leur habileté, leur travail et leurs ressources matérielles, d'une façon aussi efficace que possible. Dans un marché libre, des forces sont en oeuvre qui tendent à utiliser tous les moyens de production de manière à obtenir la plus haute satisfaction des besoin humains. L'intervention du gouvernement provoque un emploi différent des ressources et par là même, diminue l'approvisionnement.

Nous n'avons pas à nous demander ici si certaines mesures restrictives, en dépit de la baisse consécutive de la production, ne pourraient se justifier par des avantages dans d'autres domaines. Nous n'avons pas à discuter le problème de savoir si l'inconvénient d'élever le prix du pain par des droits d'importation sur le blé l'emporte sur l'augmentation du revenu des fermiers nationaux. Il suffit à notre cause qu'on se rende compte que des mesures restrictives ne peuvent être considérées comme des mesures accroissant richesse et bien-être, mais qu'au contraire elles se traduisent par des dépenses. Comme les subventions versées par le gouvernement sur le produit des impôts payés par les citoyens, ce ne sont pas des mesures de politique de production, mais des mesures de dépenses, ce ne sont pas les éléments d'un système de création de richesse, mais une méthode pour la consommer.

Le but du contrôle des prix est de fixer des prix, des salaires et des intérêts différents de ceux déterminés par le marché. Considérons d'abord le cas des prix maxima dans lequel le gouvernement essaie d'imposer des prix inférieurs aux prix du marché.

Les prix qui s'établissent sur un marché libre correspondent à un équilibre de la demande et de l'offre. Quiconque accepte de payer le prix du marché peut acheter autant qu'il veut. Quiconque accepte de vendre au prix du marché peut vendre autant qu'il peut. Si, sans un accroissement correspondant des quantités de biens disponibles pour la vente, le gouvernement décrète qu'achats et ventes doivent se faire à un prix inférieur, rendant ainsi illégal le fait de demander ou de payer le prix potentiel du marché, cet équilibre ne peut se maintenir. Avec un approvisionnement identique, il y a maintenant davantage d'acheteurs virtuels, à savoir ceux qui ne pourraient payer le prix supérieur du marché, mais qui peuvent acheter au prix officiel. Il y a maintenant des acheteurs virtuels qui ne peuvent acheter, quoiqu'ils soient prêts à payer le prix fixé par le gouvernement ou même un prix supérieur. Le prix n'est qu'un moyen de sélectionner les acheteurs virtuels qui peuvent acheter et ceux qui ne peuvent pas acheter. Un principe de sélection différent est entré en jeu. Ceux qui arrivent les premiers peuvent acheter, les autres sont hors de course. La conséquence visible de cet état de choses est la vue de ménagères et d'enfants faisant de longues queues devant les épiceries, spectacle familier à quiconque a visité l'Europe dans cet âge de contrôle des prix. Si le gouvernement veut éviter que seulement ceux qui arrivent les premiers (ou qui sont les amis personnels du commerçant) puissent acheter tandis que les autres s'en retournent les mains vides, il doit réglementer la distribution des stocks disponibles. Il doit introduire un système de rationnement.

Mais non seulement les plafonds de prix ne réussissent pas à accroître l'approvisionnement, ils le diminuent. Ainsi ils n'atteignent pas les fins recherchées par les autorités. Ils aboutissent au contraire à un état de choses qui, du point de vue du gouvernement et de l'opinion publique, est encore moins désirable que l'état antérieur, qu'ils se proposaient de modifier. Si le gouvernement veut permettre au pauvre de donner davantage de lait à ses enfants, il doit acheter le lait au prix du marché et le revendre à perte aux parents pauvres. La perte peut être couverte par l'impôt ; mais si le gouvernement se contente de fixer le prix du lait à un niveau inférieur à celui du marché, le résultat sera le contraire de ce qu'il veut. Les producteurs marginaux, ceux qui ont les coûts les plus élevés, s'arrêteront, afin d'éviter des pertes, de produire et de vendre du lait. Ils emploieront leurs vaches et leurs talents à d'autres fins plus profitables, et produiront par exemple du fromage, du beurre ou de la viande. Il y aura moins de lait disponible pour la consommation au lieu qu'il y en ait davantage. Le gouvernement doit alors choisir entre les deux termes d'une alternative : ou s'abstenir de contrôler le prix du lait et abroger ses décrets, ou ajouter une seconde mesure à la première. Dans ce dernier cas, il doit fixer les prix des facteurs de production nécessaires à la production du lait à un niveau tel que les producteurs marginaux ne subissent plus de pertes et ne réduisent plus leur production ; mais alors le même problème se répète sur un plan plus lointain, il se produit un arrêt de l'approvisionnement des facteurs de production nécessaires à la production du lait et le gouvernement est de nouveau au point de départ en face de l'échec de son intervention. S'il s'entête à poursuivre ses plans, il doit aller plus loin. Il doit fixer les prix des facteurs de production nécessaires à la production des facteurs de production nécessaires à la production de lait. Le gouvernement est ainsi contraint d'aller de plus en plus loin, en fixant les prix de tous les biens de consommation, humains (c'est-à-dire travail) et matériels, et en forçant chaque entrepreneur et chaque ouvrier à continuer à travailler à ces prix et à ces salaires. Aucune branche d'industrie ne peut être exceptée de cette fixation générale des prix et des salaires et de cet ordre général de produire les quantités prescrites par le gouvernement. Si quelques branches étaient laissées libres, le résultat serait un transfert vers elles de capital et de main d'oeuvre accompagné d'une baisse correspondante de la production et des biens taxés. Cependant ce sont précisément ces biens que le gouvernement considère comme spécialement importants pour satisfaire le besoin des masses [1].

Mais quand cet état de contrôle généralisé de la vie économique est atteint, l'économie de marché a été remplacée par le type allemand du planisme socialiste. La direction étatique du bureau de protection contrôle absolument toutes les activités économiques et décide comment les moyens de production — hommes et ressources matérielles — doivent être utilisés.

Les mesures isolées de fixation des prix ne peuvent atteindre les fins recherchées ; elles produisent en fait des effets contraires à ceux voulus par le gouvernement. Si, afin d'éliminer ces conséquences inexorables et malencontreuses, le gouvernement va de plus en plus loin, il finit par transformer le système de capitalisme et d'entreprise libre en système socialiste.

Beaucoup de partisans américains et britanniques du contrôle des prix sont fascinés par le prétendu succès du contrôle nazi des prix. Ils croient que l'expérience allemande a prouvé la viabilité du contrôle des prix dans un système d'économie de marché. Vous n'avez qu'à être aussi énergique, impétueux et brutal que les nazis et vous réussirez. Ces hommes, qui veulent combattre le nazisme en adoptant ses méthodes, ne voient pas que ce que les nazis ont réalisé a été l'institution d'un système de socialisme, et non une réforme des conditions d'une économie de marché.

Entre une économie de marché et le socialisme, il n'y a pas de troisième système. L'humanité doit choisir entre ces deux systèmes, à moins que le chaos soit considéré comme une alternative [2].

Il en est de même quand le gouvernement a recours aux prix minima. Pratiquement l'exemple le plus important de fixation des prix à un niveau plus élevé que ceux s'établissant sur le marché libre est le cas des salaires minima. Dans quelques pays, des taux minima de salaires sont directement décrétés par le gouvernement. Les gouvernements des autres pays n'interviennent qu'indirectement dans les salaires. Ils laissent carte blanche aux syndicats en leur abandonnant l'usage de la contrainte et de la coercition contre employeurs et employés dissidents. S'il en était autrement, les grèves n'atteindraient pas les fins recherchées. La grève ne réussirait pas à contraindre l'employeur à accorder des salaires supérieurs à ceux fixés par le marché libre, s'il était libre de remplacer les grévistes. Actuellement l'essence de la politique des syndicats est l'application de la menace ou de la violence sous la protection bienveillante du gouvernement. C'est pourquoi les syndicats représentent une partie essentielle de l'appareil étatique de contrainte et de coercition. Le fait qu'ils fixent des taux minima de salaires équivaut à une intervention du gouvernement établissant des salaires minima.

Les syndicats ont réussi à forcer les entrepreneurs à accorder des salaires plus élevés ; mais le résultat de leurs efforts n'a pas été ce qu'on leur attribuait précédemment. Les salaires majorés artificiellement provoquent le chômage permanent d'une partie considérable de la main d'oeuvre virtuelle. Avec ces taux élevés, les emplois marginaux de travail ne sont plus profitables. Les entrepreneurs sont contraints de réduire la production et la demande se ralentit sur le marché du travail. Les syndicats se soucient rarement de ce résultat inévitable de leurs activités ; le destin de ceux qui ne sont pas membres de leur association ne les concerne pas. Il en est différemment pour le gouvernement qui cherche à accroître le bien-être de toute la population et ne veut pas seulement donner des avantages aux membres des syndicats, mais aussi à ceux qui ont perdu leurs places. Le gouvernement veut élever le revenu de tous les travailleurs ; il est contraire à ses intentions qu'un grand nombre d'entre eux ne puissent trouver un emploi.

Les effets néfastes des salaires minima sont devenus de plus en plus évidents avec les progrès du syndicalisme. Aussi longtemps qu'une partie seulement de la main d'oeuvre, pour la plupart des ouvriers qualifiés, était syndiquée, la hausse des salaires obtenue par les syndicats ne provoquait pas de chômage mais une offre accrue dans les branches d'activités où il n'y a pas de syndicats agissants ou pas de syndicat du tout. Les travailleurs qui perdaient leur emploi comme conséquence de la politique syndicale allaient sur le marché des branches libres et forçaient les salaires à baisser dans ces branches. Le corollaire de la hausse de salaires des travailleurs organisés fut une baisse des salaires des travailleurs inorganisés. Mais avec l'extension du syndicalisme, les conditions ont changé. Les travailleurs perdant maintenant leur emploi dans une branche d'industrie ont du mal pour trouver un emploi dans d'autres branches : ce sont eux les victimes.

Le chômage se produit même en l'absence de toute intervention gouvernementale ou syndicale ; mais dans un marché libre, il y a une tendance dominante à faire disparaître le chômage. Le fait que les chômeurs cherchent des emplois doit aboutir à la fixation des salaires à un niveau qui permette aux entrepreneurs d'employer tous ceux aspirant à travailler et à gagner des salaires. Mais si des taux minima de salaires empêchent un ajustement des salaires aux conditions de l'offre et de la demande, le chômage tend à devenir un phénomène de masse permanent.

Il n'existe qu'un seul moyen de faire monter le salaire du marché pour tous ceux qui désirent travailler, c'est un accroissement de la somme des biens capitaux disponibles, ce qui permet d'améliorer les méthodes techniques de production et par là même d'augmenter la productivité marginale du travail. C'est un fait regrettable qu'une grande guerre, en détruisant une partie du stock des biens capitaux, provoque nécessairement une baisse temporaire du taux des salaires réels, quand la pénurie de main d'oeuvre due à la mobilisation de millions d'hommes est surmontée. C'est précisément parce que les libéraux sont pleinement conscients de cette conséquence indésirable qu'ils considèrent la guerre comme un désastre non seulement politique, mais aussi économique.

Les dépenses publiques ne sont pas un moyen approprié de supprimer le chômage. Si le gouvernement finance ses dépenses par des prélèvements fiscaux ou par emprunt dans le public, il ampute le pouvoir d'investir et de dépenser des citoyens privés dans la même mesure qu'il augmente sa propre capacité de dépenser. Si le gouvernement finance ses dépenses par des méthodes inflationnistes (émission d'un papier-monnaie supplémentaire ou emprunt aux banques commerciales), il entraîne une hausse générale des prix. Si alors les taux des salaires nominaux ne s'élèvent pas du tout ou pas dans la même proportion que les prix de marchandises, le chômage massif peut disparaître ; mais il disparaît précisément parce que les taux des salaires réels ont baissé.

Le progrès technique augmente la productivité de l'effort humain. La même quantité de capital et de travail produit plus maintenant qu'auparavant. Un surplus de capital et de main d'oeuvre devient disponible pour l'extension d'industries déjà existantes ou pour la création de nouvelles usines. Un chômage technologique peut se produire comme phénomène transitoire ; mais très rapidement les chômeurs trouveront de nouveaux emplois soit dans les nouvelles industries, soit dans les anciennes en voie d'expansion. Plusieurs millions de travailleurs sont aujourd'hui employés dans des industries créées dans les dernières décades. Et les travailleurs eux-mêmes sont les principaux acheteurs des produits de ces nouvelles industries.

Il n'y a qu'un seul remède au chômage durable des masses, c'est l'abandon de la politique d'élévation des salaires par des décrets du gouvernement ou par l'usage de la menace ou de la violence.

Ceux qui défendent l'interventionnisme parce qu'ils veulent saboter le capitalisme et parvenir en fin de compte au socialisme sont du moins logiques. Ils savent ce qu'ils veulent ; mais ceux qui ne désirent pas remplacer la propriété privée par la Zwangswirtschaft allemande ou le bolchevisme russe commettent une grave erreur en recommandant le contrôle des prix et la contrainte syndicale.

Les défenseurs les plus prudents et les plus subtils de l'interventionnisme sont assez habiles pour reconnaître qu'à la longue, l'intervention de l'État dans la vie économique ne réussit pas à atteindre les fins cherchées ; mais ils affirment que ce qui est nécessaire est une action immédiate, une politique à court terme. L'interventionnisme est bon parce que ses effets immédiats sont bienfaisants, quelque désastreuses que puissent être ses conséquences plus lointaines. Ne vous souciez pas du lendemain, seul compte aujourd'hui. Devant cette attitude il faut souligner deux points : 1. aujourd'hui, après des années et des décades de politiques interventionnistes, nous sommes déjà en présence des conséquences à longue échéance résultant de l'interventionnisme ; 2. L'intervention dans les salaires doit échouer même à court terme, si elle n'est pas accompagnée de mesures correspondantes de protectionnisme.

Notes

[1] Pour les deux situations dans lesquelles des mesures de contrôle des prix peuvent être efficacement utilisées dans un domaine étroitement limité, voir Nationalökonomie de Mises, p. 674-675 [ou L'Action humaine (XXX, 2) qui en est la version ultérieure. Note de H. de Q.].

[2] Nous passons sur le fait que par suite de l'impossibilité du calcul économique, le socialisme doit aussi aboutir au chaos.

7. Étatisme et protectionnisme

L'étatisme — interventionnisme ou socialisme — est une politique nationale. Les gouvernements nationaux des divers pays l'ont adopté. Leur préoccupation est de savoir s'il favorise les intérêts de leurs propres nations. Ils ne se soucient pas du sort ou du bonheur des étrangers. Ils sont libres de tout scrupule qui les empêcherait d'infliger un dommage à des étrangers.

Nous avons déjà indiqué comment les politiques étatistes nuisaient au bien-être de toute la nation, même aux groupes ou aux classes qu'elles cherchent à avantager. Pour le but que nous nous proposons, il est encore plus important de souligner qu'aucun système national d'étatisme ne peut fonctionner dans un monde de libre échange. Étatisme et libre échange sont incompatibles dans les relations internationales, non seulement à long terme mais aussi à court terme. L'étatisme doit s'accompagner de mesures coupant les liens réunissant le marché intérieur aux marchés étrangers. Le protectionnisme moderne, avec sa tendance à rendre chaque pays aussi autonome que possible au point de vue économique, est inextricablement lié avec l'interventionnisme et sa tendance inhérente à tourner en socialisme. Le nationalisme économique est la conséquence inévitable de l'étatisme.

Dans le passé, des doctrines et des considérations variées ont poussé les gouvernements dans la voie du protectionnisme. Les économistes ont montré que tous ces arguments étaient fallacieux. Quiconque est suffisamment au courant de la théorie économique n'ose plus défendre aujourd'hui ces erreurs depuis longtemps démasquées. Ils jouent encore un rôle important dans les discussions populaires, ils forment le thème préféré des fulminations démagogiques ; mais il n'ont rien à faire avec le protectionnisme actuel. Le protectionnisme actuel est le corollaire nécessaire de la vie politique nationale d'intervention étatique dans la vie économique. L'interventionnisme engendre le nationalisme économique, il donne ainsi naissance aux antagonismes qui provoquent la guerre. Un abandon du nationalisme économique n'est pas possible si les nations continuent leurs interventions économiques. Le libre échange dans les relations internationales exige le libre échange intérieur. Cela est fondamental pour la compréhension des relations internationales contemporaines.

Il est évident que toutes les mesures interventionnistes tendant à une hausse des prix intérieurs au profit des producteurs nationaux, et toutes les mesures dont l'effet immédiat est une hausse des coûts de production intérieurs seraient déjoués si les produits étrangers n'étaient pas exclus de la concurrence sur le marché intérieur, ou pénalisés s'ils sont importés. Quand, toutes choses étant égales, la législation sociale réussit à abréger les heures de travail ou à imposer d'une autre façon à l'employeur des charges supplémentaires au bénéfice des employés, l'effet immédiat est une hausse des coûts de production. La concurrence étrangère est dans des conditions plus favorables qu'auparavant à la fois sur les marchés intérieurs et extérieurs.

La reconnaissance de ce fait a depuis longtemps donné naissance à l'idée d'égaliser la législation sociale dans les différents pays. Ces plans ont pris une forme plus définitive depuis la conférence internationale réunie par le gouvernement allemand en 1890. En 1919, ils conduisirent finalement à la création du Bureau International du Travail de Genève. Les résultats obtenus furent assez faibles. La seule façon efficace d'égaliser les conditions de travail dans le monde entier aurait été la liberté de migration ; mais c'est précisément cela que les travailleurs syndiqués des pays les mieux pourvus et relativement surpeuplés combattent par tous les moyens possibles.

Les travailleurs des pays où les conditions naturelles de travail sont plus favorables et la population relativement faible bénéficient des avantages d'une productivité marginale plus élevée du travail. Ils touchent des salaires plus élevés et ont un plus haut standard de vie. Ils aspirent à protéger cette position avantageuse en interdisant ou en restreignant l'immigration [1]. D'autre part, ils dénoncent comme dumping la concurrence des biens produits à l'extérieur par des travailleurs étrangers moins bien payés et ils demandent à être protégés contre l'importation de ces biens.

Les pays relativement surpeuplés — c'est-à-dire dans lesquels la productivité marginale du travail est inférieure à celle des autres pays — n'ont qu'un moyen de concurrencer les pays plus favorisés : salaires plus bas et niveau de vie plus bas. Les taux de salaires sont plus bas en Pologne et en Hongrie qu'en Suède ou au Canada parce que les ressources naturelles sont moins abondantes et la population relativement plus dense. Ce fait ne peut être supprimé par un accord international ou par l'intervention d'un Bureau international du travail. Le niveau de vie moyen est plus bas au Japon qu'aux États-Unis parce que la même quantité de travail est moins productive au Japon qu'aux États-Unis.

Étant donné ces conditions, le but des accords internationaux concernant la législation sociale et les politiques syndicales ne peut être l'égalisation des salaires, heures de travail ou autres mesures favorables au travail. Leur seul but pourrait être de coordonner ces questions afin qu'il n'en résulte aucun changement dans les conditions de la concurrence. Si, par exemple, des lois américaines ou la politique des syndicats provoquaient une hausse de 5 p. 100 sur le coût de la construction, il serait nécessaire d'établir combien cela accroîtrait le coût de production des diverses branches d'industrie où Amérique et Japon sont en concurrence ou pourraient être en concurrence si la relation des coûts de production changeait. Il serait alors nécessaire de chercher quelle sorte de mesure pourrait grever la production japonaise de façon à ce qu'aucun changement ne se produise dans la puissance de concurrence des deux nations. Il est évident que de tels calculs seraient extrêmement difficiles. Les experts seraient en désaccord sur les méthodes à employer et sur les résultats probables ; mais même si ce n'était pas le cas, on ne pourrait arriver à un accord, car il est contraire aux intérêts des travailleurs japonais d'adopter de telles mesures de compensation. Il serait plus avantageux pour eux de développer leurs exportations au détriment des exportations américaines ; de cette façon, la demande de travail augmenterait et la condition des travailleurs japonais s'améliorerait effectivement. Guidé par cette idée, le Japon serait prêt à minimiser la hausse des coûts de production résultant des mesures américaines et répugnerait à adopter des mesures compensatoires. Il est chimérique de s'attendre à ce que des accords internationaux sur les politiques sociales et économiques puissent être substitués au protectionnisme.

Nous devons nous rende compte que, pratiquement, toute nouvelle mesure favorable au travail, imposée aux employeurs, aboutit à une hausse des coûts de production et par là à un changement des conditions de la concurrence. S'il n'y avait le protectionnisme, de telles mesures échoueraient immédiatement dans la poursuite des fins recherchées. Elles n'aboutiraient qu'à la réduction de la production nationale et par conséquent, à un accroissement du chômage. Les chômeurs ne pourraient trouver du travail qu'à des taux inférieurs de salaires ; s'ils n'étaient pas prêts à accepter cette solution, ils resteraient chômeurs. Même les personnes à l'esprit étroit se rendraient compte que les lois économiques sont inexorables et que l'intervention étatique dans la vie économique ne peut atteindre les fins recherchées, qu'elle doit aboutir à une situation qui — du point de vue du gouvernement et des défenseurs de sa politique — est encore moins désirable que les conditions qu'elle se proposait de modifier.

Des mesures de protection ne peuvent évidemment supprimer les conséquences inévitables de l'interventionnisme qui ne peut changer les conditions qu'en apparence et ne peut que cacher la véritable situation. Son but est la hausse des prix nationaux. Les prix plus élevés compensent la hausse des coûts de production. Le travailleur ne subit pas une amputation de son salaire nominal, mais il doit payer plus cher les marchandises qu'il veut acheter. Le problème semble réglé pour autant qu'on ne considère que le marché intérieur.

Mais cela nous conduit à un nouveau problème : le monopole.

Note

[1] Beaucoup d'Américains ne savent pas que, dans les années qui ont séparé les deux guerres, presque toutes les nations européennes ont eu recours à des lois très strictes contre l'immigration. Ces lois étaient plus rigides que les lois américaines, puisque la plupart ne prévoyaient pas de quotas d'immigration. Chaque nation cherchait à protéger son niveau des salaires — niveau bas comparé aux conditions américaines — contre l'immigration des hommes venant d'autres pays où les salaires étaient encore plus bas. Le résultat fut une haine naturelle et — en face d'un danger commun qui menaçait — la désunion.

8. Nationalisme économique et prix nationaux de monopole

Le but du tarif protecteur est d'annuler les conséquences malencontreuses de la hausse des coûts intérieurs de production provoquée par l'intervention étatique. Le dessein est de préserver la capacité de concurrence des industries nationales en dépit de la hausse des coûts de production.

Cependant, la seule imposition d'un droit d'importation ne peut atteindre cette fin que dans le cas de marchandises dont la production nationale est inférieure à la consommation intérieure. Avec des industries produisant plus qu'il n'est nécessaire pour la consommation intérieure un tarif serait à lui seul inutile, à moins d'être appuyé par un monopole.

Dans un pays européen industriel, par exemple, l'Allemagne, un droit d'importation sur le blé élève le prix intérieur au niveau du prix du marché mondial, plus le droit d'importation. Quoique la hausse du prix intérieur du blé provoque d'une part un développement de la production intérieure et d'autre part une restriction de la consommation intérieure, des importations sont encore nécessaires pour satisfaire la demande intérieure. Comme les coûts du producteur marginal de blé comprennent à la fois le prix mondial et le prix d'importation, le prix intérieur s'élève à ce niveau.

Il en est différemment des marchandises que l'Allemagne produit en quantités telles qu'une partie peut être exportée. Un droit allemand d'importation sur les produits manufacturés que l'Allemagne produit non seulement pour son marché intérieur mais aussi pour l'exportation, serait, au moins en ce qui concerne le commerce d'exportation, une mesure inutile pour compenser une hausse des coûts intérieurs de protection. Il est vrai que cela empêcherait les industriels étrangers de vendre sur le marché allemand ; mais le commerce d'exportation continuerait nécessairement à être gêné par la hausse des coûts de production. D'autre part, la concurrence entre producteurs nationaux sur le marché intérieur éliminerait les usines allemandes dans lesquelles la production ne paie plus avec la hausse des coûts dus à l'intervention de l'État. Avec le nouvel équilibre, le prix intérieur atteindrait le niveau du prix mondial, plus une partie du droit d'importation. La consommation intérieure serait alors plus faible qu'avant la hausse des coûts de production et l'imposition de droits d'importation. La baisse de la consommation intérieure et la chute des exportations signifient la réduction de la production avec, comme conséquence, le chômage et une pression accrue sur le marché du travail aboutissant à une baisse du taux des salaires. L'échec de la Sozialpolitik devient manifeste [1].

Mais il y a encore une autre façon d'en sortir. Le fait que le droit d'importation ait isolé le marché intérieur donne aux producteurs nationaux l'occasion d'établir un monopole. Ils peuvent former un cartel et imposer aux consommateurs nationaux un prix de monopole s'élevant à un niveau à peine inférieur au prix mondial, plus le droit d'importation. Grâce aux bénéfices réalisés sur le marché intérieur, ils peuvent vendre à l'étranger à des prix plus bas. La production continue. L'échec de la Sozialpolitik est habilement caché aux yeux d'un public ignorant ; mais les consommateurs nationaux doivent payer plus cher. Ce que le travailleur gagne par la hausse des salaires et la législation sociale pèse sur sa capacité d'acheter.

Mais le gouvernement et les dirigeants syndicaux ont atteint leur but. Ils peuvent alors proclamer que les entrepreneurs avaient tort de prédire que des salaires plus élevés et davantage de lois sociales supprimeraient leurs profits et paralyserait la production.

Les mythes marxistes ont réussi à entourer le problème du monopole d'un vain bavardage. Suivant les doctrines marxistes de l'impérialisme, une tendance prédomine dans une société de marché libre vers l'institution des monopoles. Suivant ces doctrines, un monopole est un mal provenant du jeu des forces en action sur un marché libre. C'est aux yeux des réformistes le prix des inconvénients du laissez-faire ; son existence est la meilleure justification de l'interventionnisme ;le premier objectif de l'intervention dans la vie économique doit être de le combattre. Une des conséquences les plus graves du monopole est qu'il engendre impérialisme et guerre.

Il y a, il est vrai, des exemples où un monopole — un monopole mondial — de quelques produits pourrait être établi sans l'appui de la contrainte et coercition de l'État. Le fait que les ressources naturelles pour la production du mercure, par exemple, sont très rares, peut donner naissance à un monopole, même en l'absence de tout encouragement gouvernemental. Il y a encore des cas dans lesquels le prix élevé des transports rend possible la création de monopole locaux pour des marchandises pondéreuses, par exemple pour quelque matériaux de construction dans des endroits mal situés. Mais ce n'est pas le problème auquel pensent la plupart des personnes qui discutent du monopole. Presque tous les monopoles qui sont attaqués par l'opinion publique, et contre lesquels les gouvernements prétendent lutter, sont l'oeuvre du gouvernement. Ce sont des monopoles nationaux créés avec la protection des droits d'importation ; ils s'effondreraient avec un régime de libre échange.

La façon dont on traite généralement la question du monopole est tout à fait mensongère et malhonnête ; on ne saurait employer d'autre expression pour la caractériser. Le but du gouvernement est d'élever le prix intérieur des marchandises considérées au-dessus du niveau international, afin de sauvegarder à court terme l'effet de sa politique sociale. Les usines très développées de Grande-Bretagne, des États-Unis et de l'Allemagne n'auraient besoin d'aucune protection contre la concurrence étrangère si la politique de leurs gouvernements n'était pas d'élever les coûts intérieurs de la production ; mais ces politiques tarifaires, comme on l'a montré dans l'exemple précédent, ne peuvent agir que si un cartel impose des prix de monopole sur le marché intérieur. En l'absence d'un tel cartel national, la production baisserait car les producteurs étrangers auraient l'avantage de produire meilleur marché que ceux astreints à la nouvelle mesure sociale. Un syndicalisme très développé, appuyé par ce qu'on appelle en général une législation sociale progressiste, serait frustré même à court terme si les prix intérieurs n'étaient pas maintenus à un niveau supérieur au niveau mondial et si les exportateurs (à condition que les exportations puissent se poursuivre) ne pouvaient compenser les prix inférieurs à l'exportation par les prix de monopole imposés au marché intérieur. Là où le coût intérieur de production est élevé par une intervention étatique ou par la contrainte exercée par les syndicats, le commerce d'exportation a besoin d'être subventionné. Les subventions peuvent être ouvertement accordées par le gouvernement, ou elles peuvent être déguisées par un monopole. dans ce second cas, les consommateurs nationaux font les frais des subventions sous la forme de prix majorés pour les marchandises vendues meilleur marché à l'étranger par le monopole. Si le gouvernement était vraiment sincère dans son attitude contre les monopoles, il pourrait trouver un remède très simple. L'abrogation du droit d'importation supprimerait d'un seul coup le danger de monopole mais le gouvernements et leurs amis s'empressent d'élever les prix intérieurs, et leur lutte contre le monopole n'est qu'un simulacre.

Il est facile de démontrer l'exactitude de l'affirmation selon laquelle le but du gouvernement est d'élever les prix ; il suffit de se référer aux conditions dans lesquelles l'imposition d'un droit d'importation n'aboutit pas à la création d'un cartel de monopole. Les producteurs américains de blé, de coton et d'autres produits agricoles ne peuvent former un cartel pour des raisons technique. C'est pourquoi l'administration a mis au point un système pour élever les prix grâce à une réduction de la production et par le retrait du marché de stocks importants au moyen d'achats et de prêts de l'État. Les fins atteintes par cette politique sont un substitut d'un cartel agricole impossible et d'un monopole agricole.

Les efforts de divers gouvernements pour créer des cartels internationaux ne sont pas moins frappants. Si le tarif protecteur aboutit à la formation d'un cartel national, une cartellisation internationale peut souvent être réalisée par accords entre les cartels nationaux. De tels accords sont souvent très bien servis par une autre activité étatique favorable aux monopoles, les brevets et autres privilèges accordés aux inventions nouvelles. Cependant, là où des obstacles techniques s'opposent à la création de cartels nationaux — comme c'est presque toujours le cas pour la production agricole — aucun de ces accords internationaux ne peut s'établir. Alors les gouvernements interviennent de nouveau. L'histoire de l'entre-deux guerres est celle de l'intervention étatique pour encourager le monopole et la restriction par des accords internationaux. Il y eut des plans pour des pools du blé, des restrictions sur le caoutchouc et sur l'étain et ainsi de suite [2]. Évidemment la plupart s'effondrèrent très rapidement.

Telle est la véritable histoire du monopole moderne. Ce n'est pas une conséquence du capitalisme libre, ni une tendance inhérente à l'évolution capitaliste, comme les marxistes voudraient nous le faire croire. C'est au contraire le résultats des politiques gouvernementales visant à une réforme de l'économie de marché.

Notes

[1] Nous n'avons pas à considérer le cas de droits d'importation si faibles que seulement un petit nombre ou aucune industrie nationale ne peut continuer la production pour le marché intérieur. Dans ce cas, les concurrents étrangers pourraient envahir le marché national et les prix atteindraient le niveau du prix mondial, plus l'intégralité du droit d'importation. L'échec du tarif serait encore plus manifeste.

[2] G.-L. Schwartz, "Back to free Enterprise", Nineteenth Century and After, CXXXI (1942), p. 130.

9. L'autarcie

L'interventionnisme veut un contrôle étatique des conditions du marché. Comme la souveraineté de l'État national est limitée au territoire soumis à sa suprématie et n'a aucune compétence hors de ses frontières, il considère toutes les espèces de relations internationales comme un sérieux obstacle à sa politique. Le but ultime de sa politique de commerce extérieur est de se suffire à lui-même. La tendance avouée de cette politique est évidemment de réduire autant que possible les importations ; mais comme les exportations n'ont d'autre but que de payer les importations elles diminuent de façon concomitante.

L'évolution vers une autarcie économique est encore plus nette dans le cas de gouvernements socialistes. dans une communauté socialiste, la production pour la consommation intérieure n'est plus dirigée par les goûts et les désirs des consommateurs. La direction du bureau central de la production fournit le consommateur intérieur suivant ses propres idées sur ce qui le sert le mieux ; il prend soin du peuple, mais il n'est plus au service du consommateur. Il en est toutefois différemment de la production pour l'exportation ; les acheteurs étrangers ne sont pas soumis aux autorités de l'état socialiste. Ils doivent être servis, et leurs caprices et leurs fantaisies doivent entrer en ligne de compte. Le gouvernement socialiste est souverain dans le ravitaillement des consommateurs nationaux, mais dans ses relations de commerce extérieur, il rencontre la souveraineté du consommateur étranger. Sur les marchés étrangers, il doit soutenir la concurrence d'autres producteurs produisant de meilleures marchandises à un prix moins élevé. Nous avons déjà mentionné comment la dépendance des importations étrangères, donc des exportations, influençait toute la structure du socialisme allemand [1].

Selon Marx, le but essentiel du mode de production socialiste est l'élimination du marché. Aussi longtemps qu'une communauté socialiste est forcée de vendre une partie de sa production à l'étranger — que ce soit à des gouvernements socialistes étrangers ou à des commerçants étrangers — elle continue à produire pour un marché et est soumise aux lois de l'économie de marché. Un système socialiste est défectueux tant qu'il ne se suffit pas économiquement à lui-même.

La division internationale du travail est un système de production plus efficace que l'autarcie économique de chaque nation. La même quantité de travail et de facteurs matériels de production donne une production plus grande. Ce surplus de production bénéficie à tous les intéressés. Protectionnisme et autarcie aboutissent toujours à transférer la production des centres où les conditions sont plus favorables — c'est-à-dire où le produit est le plus élevé pour les mêmes facteurs de production — aux centres où elles sont moins favorables. Les ressources les plus productives restent inutilisées tandis que les moins productives sont employées. L'effet est une baisse générale de la productivité de l'effort humain et par conséquent, une baisse du niveau de vie dans le monde entier.

Les conséquences économiques des politiques protectionnistes et de la tendance vers l'autarcie sont les mêmes dans tous les pays ; mais il y a des différentes qualitatives et quantitatives. Les résultats sociaux et politiques sont différents pour les pays industriels relativement surpeuplés et pour les pays agricoles relativement peu peuplés. Dans les pays à prédominance industrielle, les prix des denrées alimentaires les plus nécessaires montent. Cela a une action plus forte et plus rapide sur le bien-être des masses que la hausse correspondante du prix des produits manufacturés dans les pays à prédominance agricole. Par contre, les travailleurs des pays industrialisés sont dans une meilleure posture pour faire entendre leurs doléances que les agriculteurs et les journaliers dans les pays agricoles. Les hommes d'État et les économistes des pays ) prédominance industrielle prennent peur. Ils se rendent compte que les conditions naturelles sont en train de faire échec aux efforts de leurs pays pour remplacer les importations de denrées alimentaires et de matières premières par une production nationale. Ils comprennent que les pays industriels d'Europe ne peuvent ni nourrir ni habiller leur population à l'aide de leur seule production nationale. Ils prévoient que la tendance vers une protection renforcée, un plus grand isolement de chaque pays et finalement d'autarcie, provoqueront une terrible baisse du niveau de vie, sinon la famine. Ils cherchent donc des remèdes.

Le nationalisme agressif de l'Allemagne est poussé par ces considérations. Depuis plus de soixante ans, les nationalistes allemands ont décrit les conséquences que les politiques protectionnistes des autres nations devraient éventuellement avoir pour l'Allemagne. L'Allemagne, soulignaient-ils, ne peut vivre sans importer nourriture et matières premières. Comment paiera-t-elle ces importations quand, un jour, les nations produisant ces matières, auront réussi à développer leurs industries nationales et interdiront l'accès des exportation allemandes ? Il n'y a qu'un remède, ils le disaient eux-mêmes : nous devons conquérir plus d'espace vital, plus de Lebensraum.

Les nationalistes allemands ont pleinement conscience que beaucoup d'autres nations, par exemple la Belgique, sont dans la même situation défavorable ; mais il y a selon eux une différence très importante : ce sont des petites nations qui sont sans espoir. L'Allemagne est assez forte pour conquérir un plus grand territoire. Et heureusement pour l'Allemagne, disaient-ils hier, il y a deux autres nations puissantes dans la même situation que l'Allemagne, l'Italie et le Japon. Ce sont les alliés naturels de l'Allemagne dans ces guerres de have-nots contre haves.

L'Allemagne n'aspire pas à l'autarcie pour faire la guerre. Elle aspire à la guerre parce qu'elle veut l'autarcie, parce qu'elle veut vivre en se suffisant économiquement à elle-même.

Note

[1] Voir ci-dessus, p. 91.

10. Le protectionnisme allemand

Le second empire allemand fondé à Versailles en 1871 n'était pas seulement une nation puissante ; il était aussi — en dépit de la dépression amorcée en 1873 — très prospère économiquement. Ses installations industrielles étaient extrêmement heureuses — à l'étranger et chez lui — dans la concurrence aux produits étrangers. Quelques mécontents trouvaient des défauts aux produits allemands qui, selon eux, étaient bon marché mais de qualité inférieure ; mais la grosse demande étrangère portait précisément sur de tels articles bon marché. Les masses attachent plus d'importance au prix qu'à la bonne qualité. Quiconque veut augmenter ses ventes, doit baisser ses prix.

Dans l'optimisme des années 1870, tout le monde était absolument convaincu que l'Europe était au début d'une période de paix et de prospérité. Il n'y aurait plus de guerre ; les barrières commerciales étaient condamnées à disparaître ; les hommes seraient plus désireux de construire et de produire que de détruire et de s'entre-tuer. Évidemment, les hommes prévoyant ne pouvaient ignorer le fait que la prééminence culturelle de l'Europe disparaîtrait lentement. Les conditions naturelles de production étaient plus favorables dans les pays d'outre-mer. Le capitalisme était sur le point de développer les ressources des nations arriérées. Quelques branches de production ne seraient pas capables de soutenir la concurrence des pays nouveaux. Production agricole et activité minière baisseraient en Europe ; les Européens achèteraient ces biens en exportant ses produits manufacturés ; mais on ne se tourmentait pas. L'intensification de la division internationale du travail n'était pas un désastre à leurs yeux, mais au contraire une source de meilleur approvisionnement. Le libre échange devait rendre toutes les nations plus florissantes.

Les libéraux allemands défendaient le libre échange, l'étalon-or et la liberté de la vie économique. L'industrie allemande n'avait pas besoin de protection, elle s'imposait triomphalement sur le marché mondial. C'eut été un non-sens que de mettre en avant l'argument des industries naissantes : l'industrie allemande avait atteint l'âge de la maturité.

Évidemment, il y avait encore beaucoup de pays aspirant à pénaliser les importations. Cependant la déduction de l'argument de libre échange dû à Ricardo était irréfutable. Même si tous les autres pays s'en tenaient à la protection, une nation servirait mieux ses intérêts par le libre échange. Les libéraux défendent le libre échange non dans l'intérêt des étrangers, mais dans celui de leur propre nation. Il y avait le grand exemple fourni par la Grande-Bretagne et par d'autres nations plus petites comme la Suisse. Ces pays vivaient très bien avec le libre échange. L'Allemagne devait-elle adopter leur politique ? Ou doit-elle imiter des nations à demi barbares comme la Russie ?

L'Allemagne choisit cette seconde voie. Cette décision fut un tournant de l'histoire moderne.

Beaucoup d'erreurs sont commises au sujet du protectionniste moderne de l'Allemagne.

Il est important de reconnaître d'abord que les enseignements de Frédéric List n'ont rien à voir avec le protectionnisme allemand moderne. List ne défendait pas les tarifs pour les produits agricoles. Il demandait la protection des industries naissantes et par là sous-estimait la capacité de concurrence de l'industrie allemande contemporaine. Même au début des années 1840, la production allemande était déjà beaucoup plus forte que List croyait. Trente ou quarante ans plus tard, elle était considérable sur le continent européen et pouvait soutenir avec beaucoup de succès la concurrence du marché mondial. Les doctrines de List jouèrent un rôle important dans l'évolution du protectionnisme en Europe orientale et en Amérique latine. Mais les défenseurs allemands du protectionnisme n'étaient pas fondés à invoquer List. Il ne rejetait pas absolument le libre échange ; il ne soutenait la production des industries que durant une période transitoire et il n'a jamais proposé la protection pour l'agriculture. List se serait violemment opposé à la tendance allemande du commerce extérieur des dernières soixante-cinq années.

Dans la littérature, le champion le plus représentatif du protectionnisme allemand fut Adolf Wagner. L'essence de son enseignement est celle-ci : tous les pays ayant une production excédentaire de denrées alimentaires et de matières premières cherchent à développer leur industrie intérieure et à barrer l'accès des produits manufacturés étrangers ; le monde est sur la voie de l'autarcie de chaque nation. Dans un tel monde, quel sera le sort des nations qui ne peuvent ni nourrir ni vêtir leurs citoyens à l'aide de denrées et de matières premières nationales ? Elles sont condamnées à la famine.

Adolf Wagner n'était pas un esprit pénétrant, c'était un économiste médiocre ; il en est de même pour ses partisans. Mais ils n'étaient pas obtus au point de ne pas reconnaître que la protection n'est pas une panacée contre les dangers qu'ils décrivent. Le remède qu'ils recommandaient était la conquête de plus d'espace, la guerre. Ils demandaient une protection pour l'agriculture allemande afin d'encourager la production sur le sol pauvre du pays, parce qu'ils voulaient rendre à l'Allemagne des sources de ravitaillement extérieures en vue de la guerre imminente. Les droits d'importation sur les denrées alimentaires n'étaient à leurs yeux qu'un remède passager, une mesure pour une période de transition. Le vrai remède était la guerre et la conquête.

Cependant, il serait faux d'affirmer que ce qui a poussé l'Allemagne dans la voie du protectionnisme était le penchant à faire la guerre. Wagner, Schmöller et les autres socialistes universitaires, dans leurs conférences et leurs séminaires, ont longtemps prêché l'évangile de la conquête ; mais avant la fin du dix-neuvième siècle, ils n'osèrent répandre ces vues par écrit. Des considérations de guerre économique ne pouvaient en outre justifier la protection que pour l'agriculture ; elles ne s'appliquaient pas au cas de la protection d'industries en développement. L'argument militaire de la préparation à la guerre ne jouait pas un rôle important dans la protection de la production industrielle allemande.

Le principal motif des tarifs sur les produits industriels était la Sozialpolitik. La politique sociale élevait les coûts intérieurs de production et il était nécessaire de sauvegarder ses effets éphémères. Les prix intérieurs devaient s'élever au-dessus du niveau mondial afin d'échapper au dilemme ou d'abaisser les salaires nominaux ou de réduire les exportations et d'accroître le chômage. Chaque nouveau progrès de la Sozialpolitik, et chaque grève réussie modifiaient les conditions au détriment des entreprises allemandes et leur rendaient plus difficile la lutte contre les concurrents étrangers sur les marchés intérieurs et extérieurs. La Sozialpolitik tant vantée n'était possible que dans une économie protégée par des tarifs.

L'Allemagne développa aussi son système caractéristique de cartels. Les cartels imposèrent des prix élevés aux consommateurs nationaux pour vendre bon marché à l'extérieur. Ce que le travailleur gagnait par la législation sociale et les salaires syndicaux était absorbé par des prix majorés. Le gouvernement et les dirigeants syndicaux se vantaient du succès apparent de leur politique : les travailleurs recevaient des salaires nominaux plus élevés ; mais les salaires réels ne montaient pas davantage que la productivité marginale du travail.

Cependant, seul un petit nombre d'observateurs y vit clair. Quelques économistes essayèrent de justifier le protectionnisme industriel comme une mesure destinée à sauvegarder les fruits de la Sozialpolitik et du syndicalisme ; ils défendaient un protectionnisme social (den Sozialen Schutzzoll). Ils ne reconnurent pas que tout le processus démontrait l'inutilité du gouvernement coercitif et de l'intervention syndicale dans les conditions du travail. La plus grande partie de l'opinion publique ne soupçonnait pas du tout que Sozialpolitik et protection étaient étroitement liées. La tendance aux cartels et au monopole était à leurs yeux une des nombreuses conséquences désastreuses du capitalisme. On accusait violemment l'avidité des capitalistes et les marxistes l'interprétèrent comme la concentration du capital que Marx avait prédite. Ils ignorèrent à dessein le fait que ce n'était pas une conséquence de la libre évolution du capitalisme, mais le résultat de l'intervention étatique, des tarifs et — dans le cas de quelques branches comme la potasse et le charbon — de la contrainte directe du gouvernement. Quelques-uns des socialistes universitaires les moins subtils (Lujas Brentano, par exemple) poussèrent l'inconséquence jusqu'à défendre en même temps le libre échange et une politique sociale plus radicale.

Dans les trente ans qui ont précédé la première guerre mondiale, l'Allemagne pouvait surpasser tous les autres pays d'Europe en politique sociale parce qu'elle s'était engagée davantage dans le protectionnisme et la cartellisation.

Quand plus tard, au cours de la dépression de 1879 et des années suivantes, les chiffres du chômage montaient rapidement parce que les syndicats ne voulaient pas accepter une réduction des salaires du temps de prospérité, les tarifs modérément protectionnistes se transformèrent en politiques hyper-protectionnistes du système des contingentements, de la dévaluation monétaire et du contrôle des changes. A cette époque, l'Allemagne n'était plus à la tête des politiques sociales : d'autres pays l'avaient dépassée. La Grande-Bretagne, jadis champion du libre échange, adoptait l'idée germanique de protection sociale. Tous les autres pays firent de même. L'hyper-protectionnisme d'aujourd'hui est le corollaire de la Sozialpolitik.

Il ne peut y avoir aucun doute que depuis presque soixante ans l'Allemagne a donné l'exemple en Europe à la fois de la Sozialpolitik et du protectionnisme ; mais les problèmes en cause ne sont pas des problèmes seulement allemands.

Les pays les plus avancés d'Europe ont des ressources nationales réduites, ils sont relativement surpeuplés. Ils sont très mal placés au regard de la tendance actuelle à l'autarcie, aux barrières contre les migrations, à l'expropriation des investissements à l'étranger. L'isolement signifie pour eux une grosse diminution des niveaux de vie. Après cette guerre la Grande-Bretagne — ses actifs à l'étranger disparus — se trouve dans la même situation que l'Allemagne. Il en est de même de l'Italie, de la Belgique, de la Suisse. La France est peut-être mieux placée à cause de son faible taux de natalité ; mais même les pays plus petits, à prédominance agricole, de l'Europe orientale sont dans une situation critique. Comment paieront-ils les importations de coton, de café, des différents produits minéraux et autres , leur sol est beaucoup plu pauvre que celui du Canada ou de la "wheat belt" américaine ; leurs produits ne peuvent soutenir la concurrence sur le marché international.

Aussi le problème n'est pas un problème allemand, c'est un problème européen. Ce n'est un problème allemand que dans la mesure où les Allemands ont essayé — en vain — de le résoudre par la guerre et la conquête.