Différences entre les versions de « Ludwig von Mises:Politique économique - Cinquième leçon — Investissement étranger »

De Librairal
Aller à la navigation Aller à la recherche
(Page créée avec « {{titre|Politique économique : Réflexions pour aujourd'hui et pour demain|Ludwig von Mises|Cinquième leçon — Investiss... »)
 
(Aucune différence)

Version actuelle datée du 14 février 2014 à 13:46


Ludwig von Mises:Politique économique - Cinquième leçon — Investissement étranger


Anonyme


Cinquième leçon — Investissement étranger


Certains disent que les orientations d'un système de liberté économique ne sont qu'un programme négatif. Ils disent : « Vous autres libéraux, qu'est-ce que vous voulez réellement ? Vous êtes contre le socialisme, contre l'interventionnisme gouvernemental, l'inflation, les violences syndicalistes, les tarifs douaniers... Vous dites non à tout. »

Je pense que c'est une façon partiale de poser le problème. Car il est possible de formuler le programme libéral de façon positive. Si quelqu'un dit « Je suis contre la censure », son attitude n'est pas négative ; il est en faveur du droit des auteurs de publier ce qu'ils veulent sans que le gouvernement s'en mêle. Ce n'est pas du négativisme, c'est précisément réclamer la liberté. (Bien entendu, quand j'emploie le mot « libéral » à propos des conditions du système économique, je lui donne son sens ancien et classique).

De nos jours, la plupart des gens considèrent comme inacceptable la forte différence entre le niveau de vie des divers pays. Il y a deux cents ans, les conditions d'existence en Grande-Bretagne étaient de très loin plus dures qu'elles ne le sont aujourd'hui en Inde. Les Britanniques de 1750 ne se disaient pas « sous-développés » ou « arriérés » parce qu'ils vivaient dans un pays où la situation ne pouvait se comparer à celle de pays mieux pourvus au point de vue économique. Aujourd'hui, tous les peuples qui ne sont pas parvenus au niveau économique de vie moyen des États-Unis pensent que leur situation économique est injustifiée. Beaucoup de ces pays se disent eux-mêmes « en voie de développement » et, comme tels, réclament l'appui des pays dits développés, ou même sur-développés. Il faut que je vous explique ce qu'est la situation réelle.

Le niveau de vie est plus bas dans les pays dits en voie de développement, parce que, pour un même type de travail, les gains sont un moyenne moins élevés dans ces pays que dans certains pays d'Europe occidentale, au Canada, au Japon et spécialement aux États-Unis. Si nous essayons de comprendre les raisons de cet écart, nous devons constater que cela n'est pas dû à une infériorité des travailleurs et autres employés. Dans certains milieux américains les travailleurs ont tendance à croire qu'ils sont meilleurs que les autres — et que c'est par leur propre mérite qu'ils obtiennent des salaires plus élevés.

Il suffirait à un ouvrier américain de visiter un autre pays — par exemple l'Italie, d'où beaucoup d'ouvriers américains sont originaires — pour se rendre compte que ce ne sont pas ses qualités personnelles, mais la situation générale des États-Unis qui lui donne la possibilité de gagner de plus hauts salaires. Lorsqu'un Sicilien immigre aux U.S.A., il parvient très vite à gagner le salaire qui est courant dans ce nouveau cadre. Et si le même homme retourne en Sicile, il constatera que son séjour aux États-Unis ne lui a pas conférés des qualités lui permettant de gagner en Sicile un salaire supérieur à celui de ses concitoyens.

L'on ne peut pas davantage expliquer cette situation économique en supposant une infériorité des entrepreneurs étrangers par rapport aux américains. Il est exact que hors des États-Unis, du Canada, de l'Europe occidentale et de certaines régions d'Asie, l'équipement des lieux de travail et la technologie employée sont généralement moins bons qu'aux États-Unis. Mais cela n'est pas dû à l'ignorance des entrepreneurs dans ces pays « non développés ». Ils savent très bien que les entreprises américaines ou canadiennes sont beaucoup mieux équipées. Personnellement, ils connaissent tout ce qu'il faut savoir en fait de technologie ; et lorsqu'ils n'en savent pas assez, il leur possible de l'apprendre par les ouvrages techniques et les revues qui diffusent ces connaissances.

Répétons-le : la différence ne vient pas d'une infériorité personnelle ni de l'ignorance. La différence réside dans les capitaux investis, dans la quantité des biens de production et des capitaux matériels disponibles. En d'autres termes, le montant du capital investi par tête d'habitant est plus grand dans les pays dits avancés, que dans ceux dits en développement.

Un chef d'entreprise ne peut pas payer un travailleur plus que le montant ajouté à la valeur du produit par le travail de son employé. Il ne peut pas lui verser plus que les clients ne sont disposés à payer pour le travail additionnel de ce travailleur individuel. S'il le paie plus cher, il ne récupérera pas la totalité de ses débours dans les paiements de sa clientèle. Il subira des pertes et, comme je l'ai maintes fois dit déjà, un entrepreneur qui subit des pertes doit changer de méthodes de gestion, ou faire faillite.

Les économistes expriment cet aspect des réalités en disant « Les salaires sont déterminés par la productivité marginale de la main-d'oeuvre ». Ce n'est qu'une autre manière de dire ce que je viens de vous exposer. C'est un fait que l'échelle des salaires est déterminée par le montant dont le travail du salarié augmente la valeur du produit. Si un homme travaille avec des outils meilleurs et plus abondants, il lui devient possible d'accomplir en heure bien davantage qu'un homme qui travaille pendant une heure avec des instruments moins efficaces. Il est évident que cent personnes travaillant dans une fabrique de chaussures américaine, équipée des machines et outillages les plus modernes, produisent bien davantage pendant le même temps que cent savetiers aux Indes qui doivent travailler avec des outils primitifs et par des procédés moins perfectionnés.

Les employeurs de tous ces pays en voie de développement savent très bien que de meilleurs instruments rendraient plus profitable leur entreprise. Ils souhaiteraient bâtir et équiper de meilleurs ateliers. La seule chose qui les en empêche est le manque de capital.

La différence entre les pays moins développés et les plus développés est une fonction du temps : les Britanniques ont commencé à épargner plus tôt que les autres nations ; ils ont de même commencé à rassembler du capital et à l'investir dans les activités économiques. Parce qu'ils ont débuté plus tôt, le niveau de vie en Grande-Bretagne s'est élevé alors qu'il restait bas dans tous les autres pays d'Europe. Graduellement, tous les autres pays se sont mis à étudier ce qui se passait en Grande-Bretagne, et ils n'ont pas eu de mal à trouver la raison de la prospérité qui s'y manifestait. Ils ont ainsi commencé à imiter les méthodes des Britanniques.

Comme les autres pays démarraient plus tard, et que les Britanniques continuaient à investir du capital, un large écart subsista entre la situation en Angleterre et celle de ces autres pays. Mais il se produisit quelque chose qui fit disparaître cette avance initiale de la Grande-Bretagne.

Ce quelque chose a été le plus grand événement de l'histoire du dix-neuvième siècle, et pas seulement dans l'histoire d'un pays isolé. Ce grand événement fut le développement, au cours du dix-neuvième siècle, de l'investissement à l'étranger. En 1817, le grand économiste anglais Ricardo tenait encore pour évident que le capital ne pouvait être investi qu'à l'intérieur du pays considéré. Il lui paraissait certain que les capitalistes ne tenteraient pas d'investir au-dehors. Mais quelques dizaines d'années plus tard, l'investissement à l'étranger commença à jouer un rôle très important dans les affaires mondiales.

Sans l'investissement étranger, les nations moins développées que l'Angleterre auraient été obligées de commencer avec les méthodes et les techniques qui avaient été celles des Britanniques au début et au milieu du dix-huitième siècle, et de gravir les échelons — toujours fort au-dessous du niveau atteint techniquement par l'économie britannique — en imitant péniblement l'évolution suivie par elle.

Il aurait fallu des dizaines d'années à ces pays, pour arriver au degré de développement technologique que la Grande-Bretagne avait atteint cent ans avant eux ou davantage. Mais le grand événement qui aida tous ces pays fut l'investissement étranger.

L'investissement étranger, cela voulait dire que des capitalistes britanniques se mirent à investir du capital britannique dans d'autres régions du monde, qui, en comparaison de la Grande-Bretagne, manquaient de capital et étaient en retard dans leur développement. C'est un fait bien connu, que les chemins de fer de la plupart des pays d'Europe, et aussi des États-Unis, furent construits avec l'aide de capitaux britanniques. Vous savez qu'il en a été de même dans ce pays-ci, en Argentine.

Les compagnies du gaz furent aussi britanniques dans toutes les villes d'Europe. Vers le milieu des années 1870, un écrivain et poète britannique blâmait ses compatriotes, disant « Les Britanniques ont perdu leur ancienne vigueur et n'ont plus d'idées neuves. Ils ne sont plus une nation importante à l'avant-garde du monde ». A quoi Herbert Spencer, le grand sociologue, répondit : « Regardez le continent européen. Toutes les capitales européennes sont éclairées parce qu'une compagnie britannique leur fournit du gaz. » C'était, évidemment, à l'époque qui nous semble maintenant « lointaine » où l'on s'éclairait au gaz. Poursuivant sa réplique au critique de son pays, Herbert Spencer ajouta : « Vous dites que les Allemands sont loin devant la Grande-Bretagne. Mais regardez l'Allemagne. Même Berlin, la capitale de l'Empire allemand, la capitale du Geist, serait dans l'obscurité si une compagnie britannique pour la fourniture du gaz n'avait envahi le pays et éclairé ses rues. »

De même, le capital britannique a développé les chemins de fer et de nombreuses branches de l'industrie des États-Unis. Or, bien entendu, aussi longtemps qu'un pays importe du capital, sa balance commerciale est ce que les économistes appellent une balance « défavorable ». Cela signifie qu'il y a un excédent d'importations sur les exportations. La raison expliquant la « balance commerciale favorable » de la Grande-Bretagne était que les usines britanniques expédiaient de nombreux éléments d'équipement aux États-Unis, et que cet équipement n'était pas payé avec d'autres biens mais avec des actions de sociétés américaines. Cette période de l'histoire des États-Unis dura, en gros, jusqu'aux années 1890.

Mais lorsque les États-Unis eurent — avec l'aide du capital britannique, puis grâce à une politique favorable au capitalisme — développé leur propre système économique à un degré inégalé, les Américains commencèrent à racheter les actions du capital qu'ils avaient jadis vendues aux étrangers. Dès lors les États-Unis eurent un excédent des exportations sur les importations. La différence était soldée par l'importation — on appela cela le rapatriement — des titres de propriété du capital des sociétés américaines.

Cette période dura jusqu'à la Première Guerre mondiale. Ce qui arriva par la suite est une autre histoire. C'est l'histoire des subsides aux pays belligérants pendant, entre et après les deux guerres mondiales, des prêts et investissements que les États-Unis firent en Europe. En outre des opérations de prêt-bail, de l'aide aux pays étrangers, et du Plan Marshall, d'importantes fournitures alimentaires furent expédiées en Europe ainsi que d'autres secours. Je souligne tout cela parce que les gens croient parfois qu'il est honteux, dégradant, d'avoir du capital étranger au travail dans leur pays. Il faut comprendre que, dans tous les pays excepté l'Angleterre, les investissements de capitaux étrangers ont joué un rôle considérable dans le développement des industries modernes.

Si je dis que l'investissement à l'étranger a constitué le plus grand événement du dix-neuvième siècle, c'est qu'il vous suffira de penser à toutes ces réalisations qui n'auraient jamais vu le jour s'il n'y avait eu aucun investissement étranger. Tous les chemins de fer, les ports, les usines et les mines, en Asie, et le Canal de Suez, et tant d'autres choses dans l'Hémisphère Occidental, n'auraient jamais été construits s'il n'y avait pas eu de capitaux étrangers à l'appui.

Celui qui investit du capital à l'étranger, le fait dans la conviction qu'il ne sera pas exproprié. Personne ne ferait un tel investissement, s'il savait d'avance que quelqu'un d'autre s'appropriera sa mise. A l'époque où ces investissements à l'étranger furent pratiqués, au dix-neuvième et au début du vingtième siècle, il n'était pas question d'expropriations. Dès le début, quelques pays manifestèrent une certaine hostilité à l'égard du capital étranger, mais pour la plupart ils comprirent fort bien qu'ils tiraient un énorme avantage de ces investissements venus du dehors.

Dans certains cas, ces investissements étrangers ne furent pas faits directement en faveur de capitalistes étrangers, mais indirectement par des prêts au gouvernement. C'était alors le gouvernement qui utilisait l'argent pour investir. Tel fut le cas, par exemple, pour la Russie. Pour des motifs purement politiques, les Français investirent en Russie, dans les deux décennies précédant la Première Guerre mondiale, environ vingt milliards de francs-or, les prêtant principalement au gouvernement russe — par exemple le chemin de fer reliant la Russie depuis les montagnes de l'Oural, à travers les glaces de la Sibérie, jusqu'à l'Océan Pacifique — furent effectuées en grande partie avec des capitaux étrangers prêtés au gouvernement russe. Vous imaginez bien que les Français n'envisageaient pas la possibilité qu'un jour, il y aurait en Russie un gouvernement communiste qui déclarerait simplement ne pas reconnaître les dettes de son prédécesseur, le gouvernement tsariste.

A partir de la Première Guerre mondiale, commença dans le monde entier une période de lutte ouverte contre les investissements étrangers. Étant donné qu'il n'y a aucun remède susceptible d'empêcher un gouvernement d'exproprier les capitaux investis, il n'existe pratiquement pas de protection légale pour les investissements étrangers dans le monde d'aujourd'hui. Les capitalistes n'avaient pas prévu cela. Si les capitalistes des pays exportateurs de capitaux l'avaient imaginé, tous les investissements à l'étranger auraient pris fin il y a quarante ou cinquante ans. Mais les capitalistes ne crurent pas qu'un pays quelconque aurait le cynisme de nier une dette, d'exproprier et confisquer un capital étranger. Avec ces actes, un nouveau chapitre de l'histoire économique du monde s'est ouvert.

Avec la fin de la grande période du dix-neuvième siècle où les capitaux étrangers aidèrent à développer, dans toutes les parties du monde, les méthodes modernes de transport, de production minière, industrielle et agricole, commença une ère nouvelle où les gouvernements et les partis politiques en vinrent à considérer l'investisseur étranger comme un exploiteur qu'il faut chasser du pays.

Dans cette attitude anti-capitaliste, les Russes ne furent pas les seuls coupables. Rappelez-vous par exemple l'expropriation des champs pétrolifères américains au Mexique, et tout ce qui s'est passé dans votre pays même, l'Argentine, et dont je n'ai pas besoin de discuter.

La situation dans le monde aujourd'hui, créée par le système d'expropriation du capital étranger, se présente sous deux formes : soit l'expropriation directe, soit l'expropriation indirecte par le moyen du contrôle des changes extérieurs ou de la discrimination fiscale.

Prenez par exemple le plus grand de ces pays : l'Inde. Sous le régime britannique, les capitaux anglais — principalement anglais, mais aussi ceux d'autres pays européens — s'investissaient aux Indes. Et les Anglais exportaient aux Indes autre chose qui doit aussi être mentionné dans ce contexte : ils exportaient les méthodes modernes de lutte contre les maladies infectieuses. Le résultat fut un accroissement vertigineux de la population indienne, et une aggravation correspondante des difficultés du pays. Confrontée à cette détérioration de sa situation, l'Inde se tourna vers l'expropriation comme un moyen de résoudre ses problèmes. Ce ne fut pourtant pas toujours l'expropriation directe ; le gouvernement infligea des tracasseries aux capitalistes étrangers, intervenant dans leurs opérations d'investissement de telle sorte que ces investissements étrangers étaient acculés à vendre leurs titres de propriété.

L'Inde pouvait, naturellement, accumuler du capital par une autre méthode : la formation intérieure de capitaux neufs. Mais l'Inde est hostile aussi à l'accumulation de capitaux à l'intérieur, qu'elle l'est aux capitalistes étrangers. Le gouvernement des Indes dit qu'il veut industrialiser le pays, mais ce qu'il désire en réalité c'est de posséder des entreprises socialistes.

Il y a quelques années, le célèbre homme d'État Jawaharlal Nehru a publié un recueil de ses discours. Le livre fut publié dans l'intention de rendre plus attrayant l'investissement étranger en Inde. Le gouvernement indien n'est pas opposé à l'investissement provenant de l'étranger, avant que le capital ne soit investi. L'hostilité ne commence que quand il est effectivement investi. Dans ce livre — le cite littéralement — M. Nehru disait : « Bien entendu, nous voulons socialiser. Mais nous ne sommes pas opposés à l'entreprise privée. Nous souhaitons encourager de toutes manières l'entreprise privée. Nous entendons promettre aux entrepreneurs qui investissent dans notre pays, que nous ne les exproprierons ou socialiserons pas pendant dix ans, peut-être même encore plus longtemps ». Et il s'imaginait que cela constituait une incitation à venir investir aux Indes !

Le problème, vous le savez, est celui de l'accumulation de capitaux à l'intérieur. Dans tous les pays aujourd'hui il y a de très lourds impôts sur les sociétés. En fait, cet impôt est levé deux fois. D'abord, les bénéfices de l'entreprise sont lourdement imposés, puis les dividendes que la société verse à ses actionnaires le sont de nouveau. Et le taux d'imposition est progressif.

L'impôt progressif sur le revenu et sur les bénéfices signifie que ce sont précisément les fractions de leurs ressources que les gens auraient épargnées et investies, qui leur sont enlevées par le fisc. Prenez l'exemple des États-Unis. Il y a quelques années fut instauré un « impôt sur les bénéfices excessifs », dont l'effet était que sur chaque dollar gagné, une société ne conservait que dix-huit cents. Lorsque ces dix-huit centièmes de dollars étaient versés aux actionnaires, ceux qui possédaient un grand nombre d'actions devaient encore payer en impôt de soixante, quatre-vingts pour cent ou davantage. Sur un dollar de bénéfices l'actionnaire gardait en moyenne sept cents, et quatre-vingt-treize autres allaient à l'État. De ces quatre-vingt-treize pour cent, la majeure partie aurait été épargnée et investie. Au lieu de cela, le gouvernement les dépensa pour ses paiements courants. Telle est la politique des USA

Je crois vous avoir montré clairement que la politique des États-Unis n'est pas, pour les autres pays, un exemple à imiter. Cette politique-là des États-Unis est pire que fausse, elle est insensée. La seule chose que j'ajouterai, c'est qu'un pays riche peut s'offrir plus de mauvaise politique qu'un pays pauvre. Aux États-Unis, en dépit de toutes ces méthodes fiscales, il y a encore quelque formation de capitaux neufs et d'investissements chaque année, et en conséquence, il y a encore une tendance à l'amélioration du niveau de vie.

Mais dans de nombreux autres pays le problème est tout à fait critique. Il n'y a pas, ou pas assez, d'épargne intérieure, et l'investissement de capital venant de l'extérieur est sérieusement réduit par le fait que ces pays sont ouvertement hostiles à l'investissement étranger. Comment peuvent-ils parler d'industrialisation, de nécessité d'installer de nouvelles usines, d'améliorer l'environnement, de relever le niveau de vie, d'augmenter les taux de salaires, d'avoir de meilleurs moyens de communication, tout en faisant des choses qui ont précisément l'effet opposé ? Le résultat effectif de leur politique est de ralentir la formation de capitaux domestiques et de dresser des obstacles sur la route des capitaux venant d'ailleurs.

L'aboutissement est assurément fort mauvais. Une telle situation amène forcément un affaiblissement de la confiance, et il a maintenant de plus en plus d'hésitations à investir hors des frontières. Même si les nations concernées devaient changer immédiatement de politique et se mettre à faire de grandes promesses, il est très douteux qu'elles puissent de nouveau inspirer aux capitalistes étrangers le désir d'investir chez elles.

Il y a, bien entendu, des méthodes possibles pour éviter de telles conséquences. L'une de ces méthodes pourrait être d'instaurer une législation internationale (et non plus seulement de simples accords) qui soustrairait les investissements étrangers aux juridictions nationales. C'est là une chose que pourrait faire l'Organisation des Nations Unies. Mais les Nations Unies, ce n'est qu'un lieu de rencontre pour des discussions sans fruit. Si l'on comprenait l'énorme importance de l'investissement étranger, si l'on comprenait qu'il y a là le seul moyen de provoquer une amélioration de la situation mondiale, politique et économique, l'on pourrait essayer de faire quelque chose du point de vue du Droit International.

C'est là un problème de technique juridique, et je le mentionne seulement, parce que la situation n'est pas désespérée. Si le monde voulait véritablement rendre possible aux pays à développer, d'élever leur niveau vie à la hauteur du mode de vie américain, alors ce serait réalisable. Il suffirait de comprendre comment on pourrait le faire.

Une seule chose manque, en vue de rendre les pays à développer aussi prospères que les États-Unis : du capital — avec bien entendu la liberté de l'employer sous la discipline du marché et non pas sous la discipline du pouvoir politique. Ces pays doivent accumuler du capital domestique, et ils doivent faire le nécessaire pour attirer chez eux du capital étranger.

Il est nécessaire de le redire : pour qu'il y ait formation d'une épargne intérieure, il faut que la population puisse épargner en une monnaie saine. C'est une condition préalable, et qui implique l'absence de l'inflation sous une forme quelconque.

Une grande partie du capital en oeuvre dans les entreprises américaines est la propriété des travailleurs eux-mêmes et celle d'autres gens dont les moyens sont modestes. Des milliards et des milliards en dépôts aux Caisses d'épargne, en obligations, en primes d'assurance, sont au travail dans ces entreprises. Sur le marché monétaire américain, ce ne sont plus maintenant les banques, mais les compagnies d'assurances qui sont les plus grands prêteurs d'argent. Et l'argent dont disposent les compagnies d'assurances est — non pas légalement, mais économiquement parlant — l'argent des assurés eux-mêmes. Or pratiquement, en Amérique, tout le monde est un Assuré, d'une façon ou d'une autre.

La condition préalable pour que règne dans le monde une plus grande égalité économique, c'est l'industrialisation. Et celle-ci n'est possible que par davantage d'investissement, davantage de capitaux neufs. Vous vous étonnerez peut-être de ce que je n'aie pas mentionné une mesure qui est considérée comme la méthode par excellence pour industrialiser un pays. Je veux dire... le protectionnisme. Mais les tarifs douaniers, et le contrôle des changes avec l'étranger, constituent exactement les moyens d'empêcher l'importation de capital, et donc l'industrialisation de se développer dans le pays. La seule voire pour accroître l'industrialisation, c'est d'avoir plus de capital. Le protectionnisme ne peut que détourner les investissements d'une branche d'activité et les envoyer dans une autre.

Le protectionnisme, en lui-même, n'ajoute rien au capital du pays. Pour créer une nouvelle usine, il faut du capital. Pour moderniser une installation existante, l'on a besoin de capital, non d'un droit de douane.

Je n'ai pas l'intention de discuter le problème complet du libre-échange et du protectionnisme. J'espère que vos manuels d'économie le présentent de façon convenable. La protection douanière ne modifie pas la situation d'un pays pour un mieux. Et ce qui bien certainement ne peut l'améliorer c'est le syndicalisme. Là où les conditions de vie sont mauvaises et où les salaires sont bas, si le salarié du pays regarde ou lit ce qui se passe aux États-Unis, s'il voit au cinéma comment le logis moyen de l'Américain est pourvu de tous les éléments du confort moderne, cela peut lui inspirer de l'envie. Il a tout à fait raison de dire : « Nous devrions en avoir autant ». Mais le seul moyen pour cela c'est d'augmenter le capital.

Les syndicats usent de violence contre les entrepreneurs et contre les gens qu'ils traitent de « briseurs de grèves ». En dépit de leur puissance et de leurs violences, les syndicats ne peuvent cependant pas faire monter continuellement les salaires pour tous les salariés. Les décrets gouvernementaux sont tout aussi inefficaces en fixant des taux de salaires minimum. Ce que les syndicats provoquent effectivement (quand ils réussissent à faire monter les taux de salaire) c'est un chômage durable, un manque d'emplois permanent.

Mais les syndicats ne peuvent pas industrialiser le pays, ils ne peuvent pas relever le niveau de vie de l'ensemble des travailleurs. Et ceci est le point décisif : l'on doit comprendre que toutes les orientation politiques d'un pays qui souhaite améliorer son niveau de vie doivent tendre à faire monter le taux de capital investi par tête d'habitant. Cet investissement en capital par tête d'habitant est encore en hausse aux États-Unis, en dépit de toutes les erreurs politiques, et il en est de même au Canada et dans quelques pays d'Europe. Mais il est en baisse aux Indes et cela est déplorable.

Nous lisons tous les jours dans les journaux que la population du monde augmente, de peut-être 45 millions d'êtres par an, ou même plus. Et comment cela finira-t-il ? Quels en seront les conséquences, le résultat ? Rappelez-vous ce que je vous ai dit de la Grande-Bretagne. En 1750 les gens en Angleterre pensaient que six millions d'habitants représentaient une redoutable surpopulation pour les Îles Britanniques, et qu'elles allaient vers la famine et les épidémies. Mais à la veille de la dernière guerre, en 1939, cinquante millions d'êtres vivaient dans les Îles Britanniques et le niveau de vie était incomparablement plus haut qu'en 1950. C'était là un effet de ce qu'on appelle l'industrialisation —un terme plutôt inadéquat.

Le progrès de la Grande-Bretagne fut obtenu en augmentant le taux de capital investi par tête d'habitant. Ainsi que je vous l'ai déjà dit... il n'y a qu'un seul moyen pour une nation, en vue de devenir prospère : si vous augmentez le capital, vous augmentez la productivité marginal du travail et il s'ensuivra que les salaires réels monteront.

En un monde où il n'existerait pas d'entraves aux migrations, il y aurait dans le monde entier une tendance à l'égalisation des taux de salaire. Sans les obstacles à l'immigration, vingt millions probablement de personnes tenteraient d'arriver aux États-Unis chaque année, afin de gagner de meilleurs salaires. Cet afflux ferait baisser les salaires aux États-Unis, et les ferait monter dans les autres pays.

Je n'ai pas le temps de traiter de ce problème des entraves à l'immigration. Mais ce que je veux vous dire, c'est qu'il y a une autre méthode pour parvenir à une égalisation des taux de salaires de par le monde entier. Cette autre méthode, qui est opérante en l'absence de la liberté d'émigrer, c'est la migration du capital.

Les capitalistes sont enclins à se déplacer vers les pays où il y a abondance de main-d'oeuvre disponible et où elle est raisonnable. Et par le fait qu'ils apportent du capital dans ces pays-là, ils y apportent une tendance à des taux de salaires plus élevés. Cela a opéré dans le passé, et continuera à opérer à l'avenir, de la même façon.

Lorsque le capital britannique fut pour la première fois investi, disons en Autriche ou en Bolivie, les taux de salaires y étaient de très loin inférieurs à ce qu'ils étaient en Angleterre. Mais cet apport d'investissement déclencha une tendance à la hausse des salaires dans ces pays-là. Cette même tendance prévalut dans le monde entier. C'est un fait largement connu que, par exemple, lorsque la United Fruit Company alla s'établir ai Guatemala, le résultat fut une tendance générale à des salaires plus élevés, à commencer par ceux que payait la United Fruit Company, ce qui rendit nécessaire, aux autres employeurs, de payer eux aussi des salaires plus élevés. Par conséquent, il n'y a pas de raison d'être pessimiste en ce qui concerne l'avenir des pays « sous-développés ».

Je suis pleinement d'accord avec les communistes et les syndicats de salariés quand ils disent : « Ce qu'il faut, c'est relever le niveau de vie. » Il n'y a pas longtemps, dans un livre publié aux États-Unis, un professeur disait : « maintenant, nous avons de tout à suffisance, pourquoi dans le monde les gens devraient-ils travailler si dur ? Nous avons déjà tout. » Je ne doute pas que ce professeur ait ce qu'il lui faut. Mais il y a d'autres gens dans d'autres pays, et aussi bien des gens aux États-Unis, qui voudraient et devraient avoir un niveau de vie plus élevé.

Hors des États-Unis — en Amérique Latine, et plus encore en Asie et en Afrique — tout le monde désire voir la situation s'améliorer dans son propre pays. Un meilleur niveau de vie entraîne aussi un niveau de vie plus élevé de culture et de civilisation.

Par conséquent, je suis tout à fait de cet avis ; le but ultime est d'élever le niveau de vie partout. Mais je ne suis pas d'accord sur les mesures à adopter pour atteindre ce but. En effet, quelles mesures peuvent y parvenir ?

Ce n'est pas le protectionnisme, ni l'interventionnisme gouvernemental, ni le syndicalisme ; et ce n'est certainement pas la violence des syndicats (appelée, par euphémisme, négociation collective, alors que c'est en fait une négociation avec un revolver sous le nez). Pour parvenir au but proposé, à mon avis il n'existe qu'un seul chemin ! C'est une méthode qui prend du temps. Certaines gens diront : elle est trop lente. Mais il n'y a pas de raccourci conduisant à un paradis terrestre. Il faut du temps, et il faut travailler. Cependant, cela ne prend pas réellement aussi longtemps que les gens le pensent, et à la fin, l'égalisation s'effectuera.

Aux environs de 1840, dans les régions occidentales de l'Allemagne — en Souabe et au Wurtemberg, qui étaient l'une des régions les plus industrialisées du monde — l'on disait : « Nous ne pourrons jamais atteindre le niveau des Britanniques. Les Anglais sont partis bien avant nous, ils seront toujours en tête. » Trente ans plus tard les Anglais disaient : « La concurrence allemande, nous ne pouvons lui résister, il faut faire quelque chose contre sa menace. » A ce moment-là, c'est certain, le niveau de vie allemand s'élevait rapidement et, dès cette époque, approchait rapidement de celui de la Grande-Bretagne. Et aujourd'hui, le revenu par tête des Allemands n'est en rien inférieur à celui des Anglais.

Au centre de l'Europe, il y a un petit pays, la Suisse, que la nature a très chichement doté. Il n'a pas de mines de charbon, pas de minerais, pas de ressources naturelles. Mais son peuple, au long des siècles, a toujours pratiqué une politique capitaliste. Les Suisses sont parvenus au plus haut des niveaux de vie de l'Europe continentale, et leur pays compte parmi les grands centres de civilisation du monde. Je ne vois pas pourquoi un pays comme l'Argentine — qui est beaucoup plus important que la Suisse à la fois quant à sa population et quant aux dimensions géographiques — ne parviendrait pas au même niveau de vie élevé, après quelques années de politique de bonne qualité. Mais, comme je l'ai souligné, il faut que la politique soit la bonne.