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Ludwig von Mises:Politique économique - Troisième leçon — Interventionnisme


Anonyme


Troisième leçon — Interventionnisme

Une phrase célèbre, souvent citée, dit « Le gouvernement le meilleur, c'est celui qui gouverne le moins ». Je ne crois pas que ce soit là une image correcte du rôle d'un bon gouvernement. Le pouvoir politique doit faire tout ce pour quoi il est nécessaire, tout ce pour quoi il a été instauré. Il doit protéger les personnes, à l'intérieur du pays, contre les violence et les escroqueries des malfaiteurs, et il doit défendre le pays contre les ennemis étrangers. Telles sont les fonctions du gouvernement dans un régime libre, dans le cadre du système d'économie de marché.

En régime socialiste, c'est clair, le gouvernement est totalitaire, il n'y a rien qui reste hors de son domaine et de sa juridiction. Tandis qu'en économie de marché, le rôle principal du pouvoir politique est de garantir le fonctionnement sans heurts de l'économie de marché, contre la fraude et la violence, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.

Des gens qui ne sont pas d'accord avec cette définition diront peut-être : « Voici quelqu'un qui a la haine du pouvoir ». Rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. Ne puis-je dire que l'essence est un liquide extrêmement utile, nécessaire à bien des réalisations, mais que je n'en boirais pas pour autant parce que ce n'est pas la bonne façon de s'en servir ? Je ne suis pas un ennemi de l'essence, je ne déteste pas l'essence en disant cela. Je dis simplement que l'essence est très utile pour certains usages, mais impropre à d'autres usages. Si je dis que c'est le devoir de la puissance publique d'arrêter les meurtriers et autres criminels, mais que ce n'est pas son rôle de faire rouler les trains ou de dépenser de l'argent pour des choses inutiles, ce n'est pas détester le pouvoir ; c'est déclarer qu'il est bon à certaines fins mais pas bon à d'autres fins.

L'on a dit que dans la situation de notre époque nous n'avons plus une économie de marché libre. Dans les conditions actuelles, nous avons quelque chose appelé « économie mixte », les gens évoquent les nombreuses entreprises qui sont gérées et possédées par le gouvernement.

L'économie serait mixte, à ce que disent les gens, puisqu'il y a, en de nombreux pays, certaines institutions — comme le téléphone, le télégraphe, les chemins de fer — qui sont la propriété de l'État et gérées par lui. Il est parfaitement exact que ces institutions et entreprises sont gérées par le pouvoir politique. Mais ce fait à lui seul ne change pas le caractère de notre système économique. Il ne signifie même pas qu'il y ait « un peu de socialisme » au sein d'une économie qui par ailleurs est libre, une économie de marché. Car les pouvoirs publics, en gérant ces entreprises, restent soumis à la souveraineté du marché, ce qui veut dire soumis à la suprématie des consommateurs.

Prenons le cas des Postes, ou des chemins de fer, nationalisés. Le gouvernement doit embaucher les salariés qui y travaillent ; il doit aussi acheter les matières premières et autres choses nécessaires à leur fonctionnement. Et d'autre part, il « vend » ses services et fournitures au public. Cependant, bien qu'il fasse fonctionner ces entreprises au moyen des méthodes du système de l'économie libre, le résultat est, en général, un déficit. Le gouvernement, toutefois, est en mesure de financer ce déficit — du moins c'est ce que croient les membres du gouvernement et du parti au pouvoir.

Pour un individu, les choses vont différemment. Pour lui, la possibilité de gérer à perte quelque chose est fort limitée. Si le déficit n'est promptement écarté, si l'entreprise ne devient pas rentable (ou qu'au moins elle ne montre plus de perspectives de déficit prolongé) le personnage en question est mis en faillite et l'entreprise dit être fermée.

Pour le gouvernement, la situation n'est pas la même. Il peut gérer à perte, parce qu'il a le pouvoir de lever l'impôt sur le peuple. Et si les contribuables sont disposés à payer des impôts plus élevés afin de permettre aux pouvoirs publics de gérer une entreprise à perte — ce qui veut dire, d'une façon moins efficiente que ne le ferait une institution de droit privé — et si le public en général accepte de supporter une telle perte, alors bien entendu l'entreprise continuera.

Ces dernières années, en de nombreux pays, les États ont accru le nombre des institutions nationalisées et entreprises publiques, dans une mesure telle que les déficits ont augmenté bien au delà de ce qui pouvait être levé comme impôts sur les citoyens. Ce qui se produit dans un tel cas n'est pas le sujet de cette conférence-ci. C'est l'inflation, et j'en parlerai demain. Je l'évoque seulement parce que l'économie mixte ne doit pas être confondue avec le problème de l'interventionnisme qui est le sujet à traiter ce soir.

Qu'est ce que l'interventionnisme ? Ce terme signifie que le pouvoir politique ne borne pas ses activités au maintien de l'ordre — ou, comme l'on disait il y a cent ans — à la « production de sécurité ». Interventionnisme signifie que le gouvernement entend faire davantage. Il a l'intention de modifier le cours des phénomènes de marché. Si quelqu'un proteste et dit que le gouvernement ne devrait pas s'immiscer dans l'économie, on lui répond le plus souvent « Mais le pouvoir s'en mêle toujours nécessairement. Quand il y a des agents de police dans les rues, c'est une intervention du pouvoir. Il intervient lorsqu'il empêche un cambriole de piller un magasin ou un individu de voler une voiture ». Toutefois, lorsque nous parlons d'interventionnisme et qu'il s'agit de le définir, ce dont nous parlons est l'intervention du pouvoir dans le jeu du marché. (Qu'on demande au gouvernement et à la police de protéger les citoyens, y compris évidemment les chefs d'entreprises et leur personnel, contre les attaques de pillards nationaux ou étrangers, c'est en fait ce qu'on attend normalement et nécessairement de tout gouvernement. Une telle protection n'est pas une immixtion, puisque c'est précisément la seule fonction légitime du pouvoir, que de produire de la sécurité.)

Ce à quoi nous pensons en parlant d'interventionnisme, c'est le désir des gouvernements de faire davantage que d'empêcher les violences et fraudes. L'interventionnisme, cela veut dire que le pouvoir ne manque pas seulement à protéger le fonctionnement régulier de l'économie de marché, mais en outre qu'il gêne le cours des divers phénomènes de marché, qu'il fausse les prix, les taux de salaires, les taux d'intérêts, et les profits.

Le pouvoir veut intervenir en vue de forcer les entrepreneurs à mener leurs affaires d'une façon autre que celle qu'ils auraient adoptée s'ils n'avaient obéi qu'aux consommateurs. Ainsi, toutes les mesures d'intervention gouvernementales sont dirigées contre la souveraineté des consommateurs et visent à la restreindre. Le gouvernement entend s'arroger le pouvoir, ou du moins une partie du pouvoir qui, dans une économie de marché libre, est aux mains des consommateurs.

Examinons un exemple d'interventionnisme, très populaire dans nombre de pays et qui a été essayé à maintes reprises par beaucoup de gouvernements, spécialement en temps d'inflation. Je veux parler de la direction des prix.

Les gouvernements recourent habituellement au contrôle des prix lorsqu'ils ont gonflés la circulation monétaire et que les gens se mettent à protester contre la hausse des prix qui en résulte. Il y a de nombreux cas historiques de méthodes de direction des prix qui ont échoué ; mais je n'en évoquerai que deux parce que, dans les deux cas, les gouvernements mirent une énergie extrême à imposer et faire respecter leur contrôle sur les prix.

Le premier exemple célèbre est celui de l'empereur romain Dioclétien, bien connu pour avoir été le dernier empereur romain qui ait persécuté les Chrétiens. Les empereurs romains, dans la seconde partie du troisième siècle ne disposaient que d'une seule méthode financière, qui était de falsifier la monnaie. Dans ces âges primitifs, avant l'invention de la presse à imprimer, l'inflation elle-même était primitive, pour ainsi dire. Elle comportait une fraude au niveau de la frappe des pièces, en particulier de l'argent, jusqu'à ce que la couleur de l'alliage en soit changée et le poids considérablement réduit. Le résultat de cet avilissement des monnaies joint à l'augmentation corrélative de la circulation fut une hausse des prix, suivie par un édit de contrôle des prix. Et les empereurs romains n'y allaient pas de main morte pour faire appliquer les lois ; ils ne considéraient pas que la mort fût une peine trop lourde pour un homme qui avait demandé un prix trop élevé. Ils firent respecter le contrôle des prix, mais en conséquence ils firent crouler la société. Cela finit par la désintégration de l'empire romain, et celle aussi de la division du travail.

C'est quinze-cents ans plus tard, que la même falsification de la monnaie se produisit pendant la Révolution Française. Mais cette fois-là, une autre méthode fut employée. La technique de création de monnaie s'était considérablement perfectionnée. Il n'était plus nécessaire pour les Français de recourir à la falsification des pièces : ils disposaient de la presse à imprimer. Et la presse à imprimer était de grand débit. Le résultat fut, de nouveau, une hausse inouïe des prix. Mais pendant la révolution Française l'obéissance aux prix officiels était obtenue par une autre méthode qu'au temps de l'empereur Dioclétien ; il y avait eu aussi du progrès dans la méthode d'exécution capitale des coupables. Vous vous rappelez tous la fameuse machine inventée par le docteur J.I. Guillotin. Malgré la guillotine, les Français ne purent, eux non plus, faire aboutir leurs lois sur les prix. Lorsque Robespierre lui-même fut conduit en charrette à la guillotine, les gens sur son passage criaient « Foutu, le maximum ! »

Je voulais évoquer cela, parce que l'on dit souvent : « Ce qu'il faut pour rendre le contrôle des prix effectif et efficace, c'est simplement davantage d'énergie et de brutalité ». Or, il est certain que Dioclétien fut vraiment brutal, et de même la Révolution Française. Malgré cela, les mesures de contrôle des prix échouèrent complètement aux deux époques.

Analysons maintenant les raisons de cet échec. Le gouvernement entend le peuple se plaindre du prix du lait, qui a augmenté. Or le lait est assurément très important, surtout pour la génération montante, pour les enfants. En conséquence, le gouvernement décrète un prix plafond pour le lait ; ce prix maximum est plus bas que le prix potentiel qu'aurait déterminé le marché. Et les gouvernants se disent : « Nous sommes certains d'avoir fait tout le nécessaire pour qu'il soit possible aux parents pauvres d'acheter autant de lait qu'il leur faut pour nourrir leurs enfants ».

Mais qu'est-ce qui arrive ensuite ? D'une part, le prix abaissé du lait amène une augmentation de la demande de lait ; les gens qui ne pouvaient s'en procurer au prix plus élevé antérieur, peuvent en acheter au prix réduit décrété par le gouvernement.

D'autre part, quelques-uns des producteurs de lait, ceux qui produisent au coût le plus élevé — c'est-à-dire les producteurs marginaux — maintenant produisent à perte parce que le prix fixé par le gouvernement est inférieur à leur coût total. Voilà le point important dans une économie de marché.

L'entrepreneur privé, le producteur à son compte, ne peut pas indéfiniment supporter des pertes. Et quand il ne peut vendre du lait q'à perte, il réduit la production destinée au marché. Il peut vendre quelques vaches pour la boucherie, ou au lieu de lait, il peut vendre des produits laitiers, par exemple de la crème, du beurre ou du fromage.

C'est ainsi que l'intervention du gouvernement faussant le prix du lait aura pour résultat moins de lait qu'auparavant, alors que la demande de lait a augmenté. Il y aura des gens qui, tout en étant disposés à payer le prix officiel, ne trouveront pas à acheter du lait. Par suite, les gens qui craignent d'en manquer se hâteront d'arriver au magasin, il leur faudra attendre dehors. Les longues files d'attente devant les magasins sont un aspect typique des villes où le gouvernement a décrété des prix maximum pour les denrées qu'il considère comme les plus importantes. Voilà ce qui s'est produit partout où le prix du lait a été taxé. Les économistes l'avaient toujours annoncé ; les économistes sérieux, bien entendu, et ils ne sont pas nombreux.

Mais quel est le bilan du contrôle des prix par le pouvoir ? Les gouvernants sont désappointés ; ils entendaient agir en faveur de la satisfaction accrue des gens qui désirent du lait ; mais en fait, leur désir est moins satisfait qu'auparavant. Avant que le gouvernement n'intervînt, le lait était cher, mais on pouvait en acheter. Maintenant, il n'y a plus qu'une quantité insuffisante de lait. Donc la consommation totale de lait diminue. Les enfants en reçoivent moins et non pas davantage. La mesure suivante, à laquelle le gouvernement recourt à présent, c'est le rationnement. Mais rationner signifie seulement que certains seront privilégiés et auront du lait alors que les autres n'en auront pas du tout. Qui en reçoit et qui n'en reçoit pas est, évidemment, toujours fixé de manière arbitraire. Un décret peut par exemple, décider que les enfants de moins de quatre ans auront du lait, et que ceux de plus de quatre ans, ou entre quatre et six ans, recevront une ration moindre de moitié que celle des enfants au-dessous de quatre ans. Quoi que fasse le gouvernement, le fait demeure que la quantité de lait disponible au total a diminué. Ainsi, le peuple est moins satisfait qu'avant. Alors le gouvernement interroge les producteurs de lait (car il n'est pas assez imaginatif pour le trouver tout seul) : « Pourquoi ne produisez-vous pas autant de lait qu'avant ? ». Et il reçoit la réponse : « Nous ne pouvons pas le faire, parce que les coûts de production sont plus élevés que le prix maximum que le gouvernement a fixé ». Là-dessus, le gouvernement étudie le coût des divers facteurs de production, et observe que l'un de ces facteurs est le fourrage.

« Bien » disent les autorités, « le même contrôle que nous avons décidé concernant le lait s'appliquera désormais au fourrage. Nous fixerons un prix pour le fourrage ; grâce à ce maximum, vous pouvez nourrir votre bétail à moindre prix, avec une dépense moindre. Tout, dès lors, ira bien ; vous pourrez produire plus de lait, et vous en vendrez davantage. »

Mais que se produit-il alors ? La même histoire se répète avec le fourrage, et vous comprenez pour quelles raisons. La production de fourrage diminue et le gouvernement est de nouveau placé devant un dilemme.

Le gouvernement organise une nouvelle enquête, pour découvrir ce qui ne va pas du côté de la production de fourrage. Et il reçoit une explication des producteurs de fourrage exactement semblable à celle que lui avaient donnée les producteurs de lait. Dès lors le gouvernement doit faire un pas de plus, puisqu'il ne veut pas abandonner le principe de la réglementation des prix. Il fixe des prix plafond pour les biens de production qui sont nécessaires au fourrage ; et la même histoire se répète.

En même temps qu'il commence à réglementer le prix du lait, le gouvernement fait de même concernant les oeufs, la viande et les autres produits de première nécessité. Et chaque fois, il obtient le même résultat, partout les conséquences sont les mêmes. Une fois que le pouvoir fixe un prix maximum pour les biens de consommation, il lui faut remonter en amont le processus de production de plus en plus loin, fixant un prix maximum pour toutes sortes de biens de production, y compris naturellement le prix du travail, parce que sans la réglementation des salaires, le « contrôles des coûts » par le gouvernement n'aurait pas de sens.

De plus, le gouvernement ne peut pas borner son immixtion dans le marché aux seuls articles qu'il considère comme nécessaires à la vie, tels que le lait, le beurre, les oeufs, la viande. Il doit, nécessairement l'étendre aux articles de luxe parce que s'il n'en limitait pas le prix, capitaux et main-d'oeuvre abandonneraient la production des biens de première nécessité et se tourneraient vers la production de choses que les dirigeants considèrent comme du luxe superflu. Ainsi, l'intervention limitée à un petit nombre de prix de biens de consommation entraîne toujours des conséquences — et ceci est important à observer — qui sont même moins satisfaisantes que la situation antérieure : avant que le gouvernement ne s'en mêle, le lait et les oeufs étaient chers ; après ils ont commencé à disparaître du marché.

Le gouvernement considérait que ces articles étaient si importants, qu'il devait intervenir ; il voulait augmenter la quantité disponible et améliorer l'approvisionnement. Le résultat fut inverse : l'intervention limitée a entraîné une situation qui — du point de vue du gouvernement même — est encore moins satisfaisante que l'état de choses antérieur, auquel le gouvernement voulait remédier. Et comme le gouvernement va de plus en plus loin, il arrivera finalement à un point où tous les prix, tous les taux de salaire, tous les taux d'intérêt, en bref tout dans le système économique entier, est décidé par le gouvernement. Et cela, clairement, c'est le socialisme.

Ce que je viens de vous dire ici, cette explication schématique et théorique, est exactement ce qui s'est produit dans les pays qui on tenté d'établir une réglementation des prix, lorsque les dirigeants ont été assez obstinés pour avancer pas à pas jusqu'au bout du chemin.

C'est ce qui est arrivé pendant la Première Guerre mondiale, en Allemagne et en Angleterre. Examinons la situation dans ces deux pays. L'un et l'autre firent l'expérience de l'inflation. Les prix montèrent, et les deux gouvernements imposèrent une réglementation des prix. Commençant par un petit nombre de prix, au début pour le lait et les oeufs, il leur fallut aller de plus en plus avant. Plus la guerre durait, et plus l'inflation s'accentuait. Et après trois ans de guerre les Allemands — comme toujours systématiques — élaborèrent un vaste plan. Ils le dénommèrent Plan Hindenburg ; tout ce que l'on considérait comme bon en Allemagne à l'époque était ainsi baptisé.

Le plan Hindenburg signifiait que le système économique allemand, en son entier, devait être régi par le gouvernement : prix, salaires, profits... tout. Et la bureaucratie se mit immédiatement en devoir de l'appliquer. Mais avant qu'elle en ait vu le bout, la débâcle se produisit ; l'empire allemand s'effondra, l'appareil bureaucratique entier disparut, la révolution produisit ses effets sanglants — les choses en restèrent là.

En Angleterre l'on commença de la même façon ; mais après un temps, au printemps de 1917, les États-Unis entrèrent dans la guerre et approvisionnèrent les Britanniques de toutes choses en quantité suffisante. C'est pourquoi la route vers le socialisme, la route de la servitude, se trouva interrompue.

Avant qu'Hitler ne parvint au pouvoir, le Chancelier Brüning introduisit de nouveau la réglementation des prix en Allemagne, pour les raisons habituelles. Hitler la maintint en vigueur, même avant que la guerre n'éclate. Car dans l'Allemagne d'Hitler, il n'y eut pas d'entreprise privée, pas d'initiative privée. Dans l'Allemagne d'Hitler, exista un système de socialisme qui ne différait de celui des Russes que dans la mesure où la terminologie et les étiquettes du système économique libre étaient conservées. Il y avait bien des entreprises que l'on appelait « privées ». Mais le propriétaire n'était plus désormais un entrepreneur ; le propriétaire était appelé « dirigeant d'établissement » (en allemand : Betriebsführer).

L'Allemagne entière était organisée en une hiérarchie de führers ; il y avait le Suprême Führer, Hitler bien sûr, et puis de moindres führers échelonnés jusqu'aux plus petits führers. A la tête d'une entreprise se trouvait le Betriebsführer. Et les ouvriers de l'entreprise étaient désignés par un mot qui, au Moyen Âge, avait signifié la suite d'un seigneur féodal : la Gefolgschaft. Et la totalité de ces gens avaient à exécuter les ordres d'une institution qui avait un nom interminable : Reichsführerwirtschaftsministerium, à la tête de laquelle se trouvait un célèbre gros homme, nommé Goering, constellé de joyaux et de décorations.

Et de cet organisme ministériel au nom interminable, partaient tous les ordres indiquant à toutes les entreprises ce qu'elles devaient produire, en quelle quantité, où s'adresser pour obtenir les matières premières, à quel prix les acheter, à qui vendre les produits et à quel prix. Les travailleurs avaient ordre de travailler dans telle usine, pour tel salaire déterminé par décret gouvernemental. La totalité du système économique se trouvait désormais régie dans tous les détails par le gouvernement.

Le Betriebsführer, le commandement de l'établissement, n'avait pas le droit de conserver pour lui-même le profit ; il recevait l'équivalent d'un salaire : s'il voulait recevoir davantage, il devait, par exemple, notifier : « je suis très malade, j'ai besoin d'une opération immédiate et cette opération coûtera 500 marks » ; après quoi il devait demander au commandant du district (le Gauführer ou Gauleiter), une autorisation de prélever plus que le salaire qui lui était attribué. Les prix n'étaient plus des prix, les salaires n'étaient plus des salaires, tout cela n'était que des termes quantitatifs dans un système socialiste.

Maintenant, laissez-moi vous dire comment ce système s'effondra. Un jour, après des années de combats, les armées étrangères entrèrent en Allemagne. Elles s'efforcèrent de maintenir en vigueur ce système d'économie dirigée autoritairement ; mais il aurait fallu la brutalité d'un Hitler pour qu'il continue à marcher, et sans ce ressort il ne fonctionna plus.

Et tandis que cela se passait en Allemagne, la Grande-Bretagne — pendant la Seconde Guerre mondiale — fit exactement ce que faisait l'Allemagne : débutant par le contrôle des prix d'un petit nombre d'articles, le gouvernement britannique commença petit à petit (comme Hitler l'avait fait en temps de paix, dès avant le début de la guerre) à soumettre de proche en proche à son contrôle sans cesse plus strict, la vie économique, de telle sorte qu'à la fin des hostilités, il était arrivé à quelque chose de semblable à du socialisme intégral.

La Grande-Bretagne n'avait pas été menée au socialisme par le gouvernement travailliste parvenu au pouvoir en 1945. La Grande-Bretagne était devenue socialiste pendant la guerre, par le fait du gouvernement dont Sir Winston Churchill était le Premier ministre. Le gouvernement travailliste conserva simplement le système de socialisme qu'avait déjà instauré le gouvernement de Sir Winston Churchill. Et cela, en dépit d'une vive résistance de la population.

Les nationalisations britanniques n'eurent guère de portée ; la nationalisation de la banque d'Angleterre était simplement nominale, parce qu'elle était déjà sous le contrôle complet du gouvernement. C'était la même chose pour la nationalisation des chemins de fer et de l'industrie sidérurgique. Le « socialisme de guerre », comme on l'appelait — c'est-à-dire le régime interventionniste s'étendant graduellement — avait déjà virtuellement nationalisé le système.

La différence entre les systèmes allemand et britannique n'était pas importante, car les gens qui les dirigeraient avaient été nommés par leur gouvernement et, dans un cas comme dans l'autre, devaient exécuter, en tout point, les ordres du gouvernement. Comme je l'ai dit déjà, le système des nazis allemands conservait les appellations et le vocabulaire de l'économie capitaliste de libre marché. Mais les mots signifiaient tout autre chose ; il ne s'agissait que de décrets du pouvoir.

C'était vrai également pour le système britannique. Quand le parti Conservateur revint au pouvoir, quelques réglementations furent abrogées. Maintenant nous avons en Angleterre des tendances opposées, l'une en faveur du maintien des contrôles, l'autre favorable à leur abolition. (Il ne faut pas oublier cependant qu'en Angleterre, les conditions de vie sont fort différentes de celles prévalant en Russie). La même chose est vraie concernant d'autres pays qui dépendent des importations d'aliments et de matières premières et, par conséquent, doivent exporter des produits manufacturés. A l'égard de pays qui dépendent fortement de leur commerce extérieur, un système de contrôle gouvernemental est tout simplement impraticable.

Ainsi, dans toute la mesure où il reste de la liberté économique (et il en reste une proportion substantielle dans les pays tels que la Norvège, l'Angleterre, la Suède), c'est en raison de la nécessité de conserver le commerce d'exportation. Précédemment, j'ai retenu l'exemple du lait, non parce que j'ai préférence spéciale pour le lait, mais parce que pratiquement tous les gouvernements — en tout cas, la plupart d'entre eux — dans les dernières décennies ont réglementé les prix du lait, des oeufs ou du beurre.

Je voudrais évoquer en quelques mots en autre exemple, c'est celui de la réglementation des loyers. Lorsqu'un gouvernement fixe les loyers, la première conséquence est que des gens qui auraient déménagé pour un appartement moins vaste lorsque le nombre de personnes vivant au foyer changeait, ne le feront plus désormais. Par exemple, pensez à ces parents dont les enfants quittaient la maison quand ils devenaient adultes, se mariaient ou allaient travailler dans d'autres villes. De tels parents jadis changeaient de logement, en louaient de plus petits et moins chers. Ce ne fut plus nécessaire lorsque le contrôle des loyers fut instauré.

A Vienne, en Autriche, au début des années vingt, où le contrôle des loyers était bien entré dans les habitudes, le montant qu'un propriétaire recevait pour la location d'un appartement moyen, en vertu de la réglementation, représentait seulement le double du prix d'un ticket de tramway de la régie municipale. Vous pouvez imaginer si les gens étaient incités à changer de logement. Et d'un autre côté, il n'y avait pas de construction de maisons neuves. Une situation analogue régna aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale ; elle subsiste dans plusieurs villes actuellement.

L'une des principales raisons pour lesquelles nombre de municipalités aux États-Unis sont de grandes difficultés financières, est que les loyers y sont réglementés et qu'il s'ensuit une disette de logements.

Aussi le gouvernement a-t-il dépensé des milliards pour faire construire des immeubles neufs. Mais pourquoi s'est-il produit une telle disette de logements ? La crise du logement s'est installée exactement pour la même raison que le lait s'est raréfié après l'instauration d'un prix taxé du lait. Le sens de ces faits est celui-ci : lorsque le pouvoir impose des entraves au marché, il est progressivement poussé vers le socialisme.

Et c'est là la réponse qu'il faut faire aux gens qui disent : « Nous ne sommes pas socialistes, nous ne souhaitons pas que le gouvernement réglemente tout. Nous comprenons que cela est mauvais. Mais pourquoi le gouvernement devrait-il ne pas intervenir un petit peu dans le jeu du marché ? Pourquoi ne devrait-il jamais empêcher certaines choses qui sont choquantes ? »

Ces gens parlent de « politique de juste milieu ». Ils ne se rendent pas compte du fait que l'immixtion isolée, c'est-à-dire celle qui porte seulement sur une petite partie du système économique, conduit à une situation que le gouvernement — et les gens qui ont demandé son intervention — trouvent finalement pire que celle qu'on entendait modifier : les gens qui réclament une réglementation des loyers sont furieux lorsqu'ils constatent qu'il y a disette de logements, que l'on manque d'appartements et de maisons.

Mais ce manque d'habitations a été créé précisément par l'intervention du gouvernement, par la fixation des loyers au-dessous du niveau que les gens auraient eu à accepter dans un marché libre.

L'idée qu'il y aurait un tiers système entre le capitalisme et le socialisme, comme disent ses partisans — un système aussi éloigné du socialisme qu'il l'est du capitalisme mais qui garde les avantages et écarte les inconvénients de l'un et de l'autre — cette idée est absolument dépourvue de sens. Les gens qui croient à l'existence d'un tel mythe sont facilement lyriques lorsqu'ils vantent les merveilles de l'interventionnisme. On ne peut que dire qu'ils se trompent. L'ingérence du pouvoir dont ils font l'éloge entraîne des situations dont eux-mêmes sont mécontents.

L'un des problèmes que j'aborderai plus tard est celui du protectionnisme. Le gouvernement essaie d'isoler le marché intérieur du marché mondial. Il introduit des tarifs douaniers qui relèvent le prix intérieur d'un article donné au-dessus du prix du marché mondial, permettant ainsi aux producteurs nationaux de former des cartels. Par la suite, ces cartels deviennent la cible du gouvernement ; celui-ci les attaque, déclarant : « dans ces conditions, une législation anti-cartels est indispensable ».

Telle est précisément la situation de la plupart des gouvernements européens. Aux États-Unis, il y a d'autres motifs encore invoqués pour renforcer la législation anti-trust, et le gouvernement fait campagne contre le spectre du monopole.

Il est absurde de voir le gouvernement — qui crée, par son intervention, la situation dans laquelle il devient possible de constituer des cartels à l'échelle nationale — dénoncer l'entreprise privée en disant : « Il y a des cartels, par conséquent le gouvernement doit faire régner l'ordre dans l'activité économique ». Il serait beaucoup plus simple d'éviter la formation des cartels en mettant fin à l'intervention du pouvoir sur le marché, puisque c'est cette ingérence qui rend possible la constitution de cartels.

L'idée que l'intervention du pouvoir politique constitue une « solution » aux problèmes économiques conduit, dans tous les pays, à des situations qui, à tout le moins, sont fortement insatisfaisantes et fréquemment, sont rigoureusement chaotiques.

Si le gouvernement ne s'arrête pas à temps, il aboutira au socialisme. Et cependant, l'ingérence du pouvoir dans les affaires économiques reste extrêmement populaire. Aussitôt que quelqu'un trouve à se plaindre de quelque événement dans le monde, il dit : « Le gouvernement devrait faire quelque chose à cet égard. A quoi bon avons-nous un gouvernement ? Il devrait faire ceci ou cela ». Or, c'est là un vestige caractéristique des façons de voir de l'ancien temps, des époques qui ont précédé celle de la liberté moderne, celle des formes modernes de pouvoirs constitutionnels, du gouvernement représentatif ou républicain moderne.

Pendant des siècles, la doctrine affirmée et acceptée par tous était qu'un roi, ayant reçu le sacre, était le messager de Dieu ; il avait plus de sagesse que ses sujets, et il avait des pouvoirs surnaturels. Jusqu'au début du dix-neuvième siècle, les gens atteints de certaines maladies espéraient leur guérison s'ils pouvaient toucher la main du roi. Les médecins avaient, d'ordinaire, de meilleures recettes, pourtant ils conseillaient à leurs patients d'essayer celle consistant à toucher le roi.

Cette conception de l'excellence d'un gouvernement paternel, cette croyance en des pouvoirs surnaturels ou surhumains des monarques héréditaires disparurent graduellement ; ou du moins, nous les pensions disparues. Mais elles sont revenues quand même ! Il y a eu un professeur allemand, nommé Werner Sombart (je l'ai connu fort bien), réputé dans le monde entier, docteur honoris causa de nombreuses universités et membre d'honneur de l'American Economic Association. Ce professeur a écrit un livre dont la traduction anglaise a été publiée par la Princeton University Press. Il existe également une traduction en français et probablement aussi en espagnol — du moins j'espère que cette dernière est disponible parce qu'ainsi vous pourrez vérifier ce que je vais vous dire. Dans ce livre, publié en notre siècle et non pas dans des temps d'ignorance, « Sir » Werner Sombart, Professeur de sciences économiques, dit tout simplement ceci : « Le Führer, notre Führer » — il parle bien entendu d'Hitler — « reçoit ses ordres directement de Dieu, le Führer de l'Univers. »

J'ai déjà parlé de cette hiérarchie des führers, et dans cette hiérarchie j'ai mentionné Hitler comme le « Führer Suprême »... Mais il y a, d'après Werner Sombart, un Führer encore plus élevé, Dieu, Führer de l'Univers. Et Dieu, à ce qu'il écrit, donne Ses ordres directement à Hitler. Évidemment, le Professeur Sombart disait très modestement : « Nous ne savons pas comment Dieu communique avec le Führer. Mais le fait est indéniable. »

Alors, si vous apprenez qu'un tel livre peut être publié en langue allemande, le langage parlé par une nation qui fut jadis saluée comme « la Nation des philosophes et des poètes », si vous le voyez traduit en anglais et en français, vous ne devez pas être surpris que même un petit bureaucrate se considère plus sage et meilleur que les simples citoyens et entende se mêler de tout, bien qu'il ne soit qu'un pauvre petit bureaucrate et non pas le célèbre Professeur Werner Sombart, membre honoraire de tout et tout.

Y a-t-il un remède à de pareilles choses ? Laissez-moi vous dire : oui, il y a un remède. Ce remède est le pouvoir des citoyens ; il fait qu'ils empêchent de s'établir un régime autocratique de cette sorte-là, qui s'arroge pour lui-même une sagesse supérieure à celle du citoyen ordinaire. Telle est la différence fondamentale entre la liberté et la servitude.

Les nations socialistes ont usurpé le nom de démocratie. Les Russes appellent leur propre système une Démocratie Populaire ; c'est probablement parce qu'ils soutiennent que le peuple est représenté dans la personne du dictateur. Je pense qu'il y a eu un certain dictateur, ici en Argentine, à qui la bonne réponse a été faite. Espérons que tous les autres dictateurs, dans d'autres pays, se verront opposer une réponse semblable.