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Étienne Bonnot de Condillac:Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre - Mœurs simples d’une nation isolée chez qui le commerce est libre


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3. MŒURS SIMPLES D'UNE NATION ISOLÉE CHEZ QUI LE COMMERCE JOUIT D'UNE LIBERTÉ ENTIÈRE

Placés à-peu-près sous le même ciel, les peuples que nous observons, jouissent en général des mêmes productions; seulement avec plus ou moins d’abondance, suivant la nature du sol et l’industrie des cultivateurs. Une denrée, rare dans une province, sera commune dans une autre, ou une denrée, commune ailleurs, sera rare.

Ces peuples ont, pour commercer entr’eux, un fonds dans les productions dont chacun d’eux surabonde ; et, à mesure du progrès des arts, ils ont un autre fonds dans leur industrie.

Ce double fonds leur fournit de quoi faire des échanges de toutes espèces ; et par ces échanges, tous jouissent des mêmes productions et des mêmes commodités.

On jouit des mêmes productions, parce qu’avec le surabondant de celles qui croissent dans ses terres, on se procure celles qui n’y croissent pas.

On jouit des mêmes commodités, parce que ou l’on cultive les mêmes arts, ou l’on commerce avec ceux qui les cultivent.

Or ce sont les besoins que nous nous sommes faits, et les moyens que nous employons pour y satisfaire, qui sont nos coutumes, nos usages, nos habitudes, en un mot, nos mœurs.

Les besoins sont les mêmes pour tous les peuples que nous supposons : les moyens d’y satisfaire sont aussi les mêmes. Les mœurs sont donc les mêmes encore.

Pour leur donner de nouvelles mœurs, il faudrait donc transporter chez eux des productions étrangères à leur sol, ou des commodités étrangères à leurs arts.

Mais non-seulement ils ont les mêmes mœurs : je dis encore que leurs mœurs sont simples, et ne peuvent être que simples. C’est qu’il leur est impossible de connaître le luxe.

Nous avons vu que le luxe consiste dans ces jouissances qui sont le partage d’un petit nombre à l’exclusion du plus grand ; que ces jouissances n’ont lieu, qu’autant qu’on dédaigne les choses communes, pour rechercher les choses rares et d’un grand prix ; et qu’enfin les choses ne sont rares et d’un grand prix, que parce qu’elles viennent d’un pays éloigné, ou parce qu’elles sont travaillées avec beaucoup d’art.

Or, d’après nos suppositions, aucune rareté étrangère ne peut arriver chez les peuples que nous observons. Il ne sera pas plus en leur pouvoir de se procurer des ouvrages, auxquels un grand travail donnerait un grand prix. Comme personne ne serait assez riche pour les payer, aucun artisan n’imaginera d’en faire.

Nous venons de prouver qu’il ne peut pas y avoir, chez de pareils peuples, de ces fortunes disproportionnées, qui se forment des dépouilles d’une multitude de familles réduites à la misère. Comment ce désordre pourrait-il avoir lieu dans un pays, où le commerce, seul moyen de se procurer de l’aisance, baisse et se relève alternativement d’une province à l’autre, et entretient partout les richesses à-peu-près au même niveau, ou tend continuellement à les y ramener ?

Or dès que les richesses n’iront pas se perdre dans un petit nombre de familles, il n’y aura pas de ces jouissances exclusives, qui insultent à la misère publique, et qui semblent effacer du nombre des hommes la plus grande partie des citoyens.

Je ne veux pas dire que tous participeront également aux mêmes jouissances ; sans doute que tous, par exemple, ne porteront pas du drap d’une égale finesse : mais tous porteront du drap. Chacun, suivant son état, jouira des commodités que procurent les arts. Chacun sera dans l’abondance et dans l’aisance, parce que tous auront l’usage des choses dont leur condition leur permet de se faire des besoins ; et si les fortunes ne sont pas égales, ce sera uniquement parce que les talents ne sont pas égaux. Mais encore un coup, personne ne pourra faire des dépenses excessives, parce que personne ne pourra s’enrichir exclusivement.

Je ne vois qu’un moyen pour introduire le luxe parmi ces peuples, ce serait de substituer des privilèges exclusifs à la liberté du commerce. Alors il y aurait bientôt une grande disproportion entre les fortunes ; et des choses, auparavant communes, deviendraient rares par le haut prix auquel elles seraient portées. En pareil cas, le verre et la faïance, par exemple, seraient un luxe ; et c’est ainsi que la porcelaine et les glaces en sont un chez nous.





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