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Étienne Bonnot de Condillac:Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre - Récapitulation sommaire de la première partie


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30. RÉCAPITULATION SOMMAIRE DE LA PREMIÈRE PARTIE

La valeur des choses, ou l’estime que nous en faisons, fondée sur l’utilité, est en proportion avec nos besoins : d’où il résulte que le surabondant, considéré comme surabondant, n’a point de valeur, et qu’il n’en peut acquérir une, qu’autant qu’on juge qu’il deviendra nécessaire. Nos besoins sont naturels ou factices.

Dans l’homme isolé, les besoins naturels sont une suite de sa consommation. Dans l’homme citoyen, ils sont une suite de la constitution sans laquelle la société ne saurait subsister.

Ces besoins sont en petit nombre, et ne donnent de la valeur qu’aux choses de première nécessité. Les besoins factices, au contraire, se multiplient avec nos habitudes, et donnent de la valeur à une multitude de productions et de matières travaillées, que nous avons mises parmi les choses de seconde nécessité.

La valeur de ces choses, en proportion avec leur rareté et leur abondance, varie encore suivant l’opinion vraie ou fausse que nous avons de cette rareté et de cette abondance.

Ces valeurs, estimées par comparaison, sont ce qu’on nomme le prix des choses D’où il arrive que, dans les échanges, les choses sont réciproquement le prix l’une de l’autre, et que nous sommes tout-à-la-fois, sous divers rapports, vendeurs et acheteurs.

C’est par la concurrence des vendeurs et des acheteurs que se règlent les prix. Ils ne peuvent se régler qu’aux marchés, et ils y varieront peu, s’il est permis à chacun d’y apporter ce qu’il veut et la quantité qu’il veut.

Or les échanges qui se font dans les marchés sont ce qu’on nomme commerce.

Ils supposent, d’un côté, productions surabondantes, et, de l’autre, consommations à faire.

C’est donc le surabondant qui est dans le commerce, soit que les colons fassent par eux-mêmes leurs échanges, et alors le commerce se fait immédiatement entre les producteurs et les consommateurs ; soit que les échanges se fassent par l’entremise des marchands, trafiquants ou négociants, et alors les commerçants sont comme des canaux de communication entre les producteurs et les consommateurs.

Le surabondant, qui n’avait point de valeur entre les mains des producteurs, en acquiert une lorsqu’il est mis entre les mains des consommateurs. Le commerce donne donc de la valeur à des choses qui n’en avaient pas. Il augmente donc la masse des richesses.

Cette masse s’accroît encore avec les arts, qui, en donnant des formes aux matières premières, leur donnent une valeur, parce qu’ils les rendent propres à divers usages.

C’est à l’industrie du colon, de l’artisan, et du marchand, que la société doit toutes ses richesses. Cette industrie méritait un salaire. Ce salaire, réglé par la concurrence, règle les consommations auxquelles chacun a droit de prétendre, et les citoyens se trouvent distribués par classes.

Nous avons deux sortes de richesses : les richesses foncières, que nous devons au colon, et qui se remplacent ; les richesses mobilières, que nous devons à l’artisan ou à l’artiste, et qui s’accumulent.

Toutes ces richesses se produisent, se distribuent et se conservent en raison des travaux du colon, de l’artisan, de l’artiste, du marchand et de la puissance souveraine qui maintient l’ordre et la liberté.

Elles abondent surtout après la fondation des villes, parce qu’alors de plus grandes consommations donnent un nouvel essor à l’industrie. Les terres sont mieux cultivées, les arts se multiplient et se perfectionnent.

Tous ceux qui se partagent ces richesses acquièrent sur elles un droit de propriété, qui est sacré et inviolable. On acquiert ce droit soi-même par son travail, ou on l’acquiert parce qu’il a été cédé par ceux qui l’ont acquis. Dans un cas comme dans l’autre, on dispose seul dés choses qu’on a en propriété ; aucune puissance ne peut, sans injustice, y mettre un prix au-dessous de celui que nous y mettons nous-mêmes ; et c’est à la concurrence uniquement qu’il appartient de régler le prix de chaque chose.

Comme le champ est au colon qui le cultive, et que tous ceux qu’il emploie à la culture acquièrent un droit de co-propriété sur le produit : de même, dans toute entreprise, il y a un fonds qui appartient à ceux qui l’ont fourni, et un produit dont ils doivent faire part aux ouvriers qu’ils font travailler. Cette co-propriété est représentée par le salaire que l’usage règle, et dont personne ne doit être privé.

Les richesses s’étant multipliées, un commerce plus étendu fit sentir la nécessité d’apprécier avec plus de précision la valeur de chaque chose. On chercha donc une mesure commune.

Comme, dans les échanges, les valeurs se mesurent réciproquement, toute espèce de marchandises pouvait être employée à cet usage. On donna la préférence aux métaux, comme à la marchandise avec laquelle on pourrait plus commodément mesurer toutes les autres, et on créa la monnaie.

C’est donc parce qu’ils avaient une valeur comme marchandise que les métaux en eurent une comme monnaie, et, en devenant monnaie, ils ne cessèrent pas d’être marchandise.

L’usage de la monnaie, en facilitant les échanges, donna plus de mouvement au commerce, et augmenta la masse des richesses. Mais il fit tomber dans des méprises sur ce qu’on appelait valeur. Quand on crut voir le prix des choses dans une mesure qui, telle qu’une once d’argent, est toujours la même, on ne douta point qu’elles n’eussent une valeur absolue, et, parce qu’on jugea qu’elles ont une valeur égale toutes les fois qu’elles sont estimées égales en valeur à une même quantité d’argent, on supposa faussement que dans les échanges on donne toujours valeur égale pour valeur égale.

L’argent ne facilite le commerce que parce qu’on le donne continuellement en échange. Il se ramasse pour se distribuer, il se distribue pour se ramasser, et, ne cessant de passer et de repasser d’une main dans une autre, il circule continuellement.

Pourvu que cette circulation se fasse librement, il importe peu qu’il y ait plus ou moins d’argent dans le commerce. La quantité en peut être moindre, comme plus grande. On ne saurait la déterminer avec précision. On peut seulement conjecturer que, quelle qu’elle soit, elle est tout au plus égale en valeur à la valeur des productions qui se consomment dans les villes.

La circulation de l’argent se nomme change lorsque, par l’échange de deux sommes qui sont à distance, on leur fait en quelque sorte franchir à toutes deux un intervalle pour remplacer l’une et l’autre.

Le change est devenu une branche de commerce, dans laquelle l’argent est la seule marchandise qui s’achète et qui se vend. Les opérations, qui en sont simples, se règlent d’après les dettes réciproques qui sont entre les villes, et elles assurent le plus grand bénéfice aux négociants qui ont gagné la confiance.

Comme l’argent a un prix dans le change, il en a un dans le prêt, et ce prix est ce qu’on nomme intérêt. Or l’argent, dans le commerce, ayant un produit, celui qui le prête doit avoir un intérêt dans ce produit, comme un propriétaire doit en avoir un dans le produit d’une terre qu’il donne ou prête à ferme. Cet intérêt, qui hausse et baisse suivant les circonstances, ne peut être réglé que dans les places de commerce. Il est juste lorsqu’il ne met à l’argent que le prix que les commerçants y ont mis librement et publiquement : il est usuraire lorsque ce prix est arbitraire et clandestin.

Les métaux dont on fait les monnaies, plus rares ou plus abondants, suivant qu’on les emploie à plus ou moins d’usages, tendent à se rendre également communs chez les nations qui ont entr’elles un commerce libre et jamais interrompu. C’est pourquoi leur valeur relative se règle, dans tous les marchés de ces nations, comme elle se réglerait dans un seul. Chez toutes, l’or et l’argent ont chacun le même prix, parce que, chez toutes, ces métaux sont dans le même rapport l’un à l’autre.

Comme un commerce libre et jamais interrompu tend à rendre l’or et l’argent également communs chez plusieurs nations, et donne, par cette raison, à chacun de ces métaux un même prix chez toutes : de même un commerce libre et jamais interrompu tendrait à rendre le blé également commun chez plusieurs nations, et lui donnerait chez toutes le même prix.

Ce prix, fondé sur la quantité relativement à la consommation, serait le vrai prix pour toutes, parce qu’il serait le plus avantageux à chacune. Alors les salaires se proportionneraient toujours au prix permanent des blés : ils ne monteraient jamais trop haut, ils ne descendraient jamais trop bas ; et chaque chose serait constamment à son vrai prix.

Mais, lorsque le commerce n’est pas libre, si le blé manque chez une nation, il continue de manquer, et il monte à un prix excessif qui est au détriment du consommateur ; et, s’il est surabondant chez une autre, il continue de l’être, et il tombe à un vil prix qui est au détriment du producteur. Il n’y a donc plus de vrai prix : il n’y a que cherté ou bon marché, c’est-à-dire, lésion pour l’acheteur ou pour le vendeur.

C’est alors que, le nombre des marchands n’étant pas aussi grand qu’il peut l’être, le monopole, qui s’établit sur les ruines de la liberté, met le blé en vente en trop grande ou en trop petite quantité, suivant qu’il est de son intérêt d’en faire baisser ou hausser le prix. Cependant, s’il importe qu’il s’en vende toujours parce qu’on en consomme toujours, il n’importe pas moins qu’il ne s’en mette en vente qu’autant qu’on a besoin d’en consommer. Or cette proportion ne sera saisie que lorsque le plus grand nombre possible de marchands fera circuler les blés partout avec un mouvement prompt et jamais interrompu.

C’est parce que cette circulation a toujours été plus ou moins arrêtée que l’Europe ne peut pas avoir dans le blé une mesure propre à déterminer les valeurs dans des époques différentes et dans des lieux différents. Dès que les grains ne sauraient être à leur vrai prix, dès qu’ils ne peuvent pas avoir un prix permanent, comment seraient-ils une mesure commune pour toutes les époques et pour tous les lieux ?

La liberté peut seule donner à chaque chose son vrai prix, et faire fleurir le commerce. C’est alors que l’ordre s’établit naturellement, que les productions en tous genres se multiplient comme les consommations ; que toutes les terres sont mises en valeur ; que chaque citoyen trouve sa subsistance dans son travail, et que l’abondance se répand. Elle se répand, dis je, tant que les mœurs sont simples : mais la misère commence avec le luxe.

Pour entretenir cette abondance, il faut une puissance qui protège les arts et le commerce, c’est-à-dire, qui maintienne l’ordre et la liberté. Cette puissance a des dépenses à faire, et c’est aux propriétaires seuls à payer les subsides ou les impôts dont elle a besoin.

Si cette puissance maintient l’ordre et la liberté, une nation, qui s’occupera de tout sans préférence exclusive, sera aussi riche qu’elle peut l’être. Que, dans tous les gouvernements, on protège donc également les travaux de toutes espèces, et que sans restriction, sans interruption, on permette d’exporter et d’importer les choses même les plus nécessaires ; alors toutes les nations seront riches, et leurs richesses respectives seront en raison de la fertilité du sol et de l’industrie des habitants.

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