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Et Moi ? — Parviendrai-je au Moi et au Mien grâce au Libéralisme ? | Et Moi ? — Parviendrai-je au Moi et au Mien grâce au Libéralisme ? | ||
Qui le Libéral tient-il pour son semblable ? L'Homme ! Sois seulement un Homme | Qui le Libéral tient-il pour son semblable ? L'Homme ! Sois seulement un Homme | ||
— et tu en es un —, le Libéral t'appellera son frère. Il s'inquiète peu de tes | — et tu en es un —, le Libéral t'appellera son frère. Il s'inquiète peu de tes | ||
opinions et de tes sottises privées, du moment qu'il peut ne voir en toi que l' « Homme | opinions et de tes sottises privées, du moment qu'il peut ne voir en toi que l' « Homme | ||
». | ». | ||
Peu lui importe ce que tu es privatim, car s'il est logique, ses principes lui interdisent | Peu lui importe ce que tu es privatim, car s'il est logique, ses principes lui interdisent | ||
rigoureusement d'y attacher la moindre valeur ; il ne voit en toi que ce que tu es | rigoureusement d'y attacher la moindre valeur ; il ne voit en toi que ce que tu es | ||
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ou Paul, mais l'Homme, non pas le réel ou l'unique, mais ton essence ou ton concept, | ou Paul, mais l'Homme, non pas le réel ou l'unique, mais ton essence ou ton concept, | ||
non pas l'individu en chair et en os, mais l'Esprit. | non pas l'individu en chair et en os, mais l'Esprit. | ||
En tant que tu es Pierre, tu n'es pas son semblable, car il est Paul et non pas Pierre | |||
; en tant qu'Homme, tu es ce qu'il est. S'il est vraiment un Libéral et non un égoïste | En tant que tu es Pierre, tu n'es pas son semblable, car il est Paul et non pas Pierre; en tant qu'Homme, tu es ce qu'il est. S'il est vraiment un Libéral et non un égoïste | ||
inconscient, toi, Pierre, tu es, à ses yeux, comme si tu n'existais pas, ce qui, entre | inconscient, toi, Pierre, tu es, à ses yeux, comme si tu n'existais pas, ce qui, entre | ||
parenthèses, lui rend assez léger son « amour fraternel »; ce qu'il aime en toi, ce n'est | parenthèses, lui rend assez léger son « amour fraternel »; ce qu'il aime en toi, ce n'est | ||
pas Pierre, dont il ne sait rien et ne veut rien savoir, mais uniquement l'Homme. | pas Pierre, dont il ne sait rien et ne veut rien savoir, mais uniquement l'Homme. | ||
Ne rien voir en toi et en moi de plus que l' « Homme », C’est pousser à l’extrême | Ne rien voir en toi et en moi de plus que l'« Homme », C’est pousser à l’extrême | ||
la façon de voir chrétienne, d'après laquelle chacun n'est pour les autres qu'un concept | la façon de voir chrétienne, d'après laquelle chacun n'est pour les autres qu'un concept | ||
(par exemple un aspirant à la félicité, etc.). | (par exemple un aspirant à la félicité, etc.). | ||
Le Christianisme proprement dit nous réunit encore dans un concept moins | Le Christianisme proprement dit nous réunit encore dans un concept moins | ||
général : ainsi, nous sommes « les enfants de Dieu », ceux « que conduit l'Esprit de | général : ainsi, nous sommes « les enfants de Dieu », ceux « que conduit l'Esprit de | ||
Dieu | Dieu <ref>Épître aux Romains, VIII, 14.</ref>»; tous ne peuvent toutefois se vanter d'être les enfants de Dieu, mais « le | ||
même Esprit qui témoigne devant notre Esprit que nous sommes enfants de Dieu | même Esprit qui témoigne devant notre Esprit que nous sommes enfants de Dieu | ||
montre aussi ceux qui sont enfants du Diable | montre aussi ceux qui sont enfants du Diable <ref>1er épître de Jean, III, 10.</ref>». Pour être enfant de Dieu, il fallait | ||
n'être pas enfant du Diable, la famille divine excluait certains hommes. Il nous suffit, | n'être pas enfant du Diable, la famille divine excluait certains hommes. Il nous suffit, | ||
au contraire, pour être enfants des hommes, c'est-à-dire hommes, d'appartenir à | au contraire, pour être enfants des hommes, c'est-à-dire hommes, d'appartenir à | ||
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suffit que nous soyons tous deux enfants d'une même mère, l'espèce humaine : en tant | suffit que nous soyons tous deux enfants d'une même mère, l'espèce humaine : en tant | ||
que « né de l'homme », je suis ton semblable. | que « né de l'homme », je suis ton semblable. | ||
Que suis-je donc pour toi ? Suis-je ce moi en chair et en os qui va et vient ? Du | Que suis-je donc pour toi ? Suis-je ce moi en chair et en os qui va et vient ? Du | ||
tout ! Ce moi avec ses pensées, ses déterminations et ses passions est à tes yeux | tout ! Ce moi avec ses pensées, ses déterminations et ses passions est à tes yeux | ||
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s'appeler Jean ou Michel. Tu vois en moi non pas moi, le réel et le corporel, mais | s'appeler Jean ou Michel. Tu vois en moi non pas moi, le réel et le corporel, mais | ||
l'irréel, le fantôme — un Homme. | l'irréel, le fantôme — un Homme. | ||
Au cours des siècles chrétiens, toutes sortes de gens ont tour à tour passé pour | Au cours des siècles chrétiens, toutes sortes de gens ont tour à tour passé pour | ||
« nos semblables », mais toujours nous les avons jugés selon cet esprit que nous | « nos semblables », mais toujours nous les avons jugés selon cet esprit que nous | ||
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enfin celui qui montre un esprit et, un visage humains. Ainsi varia le fondement de | enfin celui qui montre un esprit et, un visage humains. Ainsi varia le fondement de | ||
l' « égalité ». | l' « égalité ». | ||
Du moment que l'on conçoit l'égalité comme égalité de l'esprit humain, on a | Du moment que l'on conçoit l'égalité comme égalité de l'esprit humain, on a | ||
découvert une égalité qui embrasse véritablement tous les hommes ; car qui oserait | découvert une égalité qui embrasse véritablement tous les hommes ; car qui oserait | ||
nier que nous, hommes, nous possédions un esprit humain, c'est-à-dire que nous | nier que nous, hommes, nous possédions un esprit humain, c'est-à-dire que nous | ||
n'ayons d'autre esprit qu'un esprit humain ? | n'ayons d'autre esprit qu'un esprit humain ? | ||
Sommes-nous pour cela plus avancés qu'au début du Christianisme ? Notre esprit | Sommes-nous pour cela plus avancés qu'au début du Christianisme ? Notre esprit | ||
devait alors être divin, aujourd'hui il doit être humain ; mais si le divin ne suffisait pas | devait alors être divin, aujourd'hui il doit être humain ; mais si le divin ne suffisait pas | ||
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Dieu nous a fait cruellement souffrir, l’ « Homme » est à même de nous martyriser | Dieu nous a fait cruellement souffrir, l’ « Homme » est à même de nous martyriser | ||
plus cruellement encore. | plus cruellement encore. | ||
Disons-le en quelques mots : si nous sommes hommes, cette qualité d'hommes | Disons-le en quelques mots : si nous sommes hommes, cette qualité d'hommes | ||
n'est que le moindre en nous, et n'a de signification et d'importance que comme une | n'est que le moindre en nous, et n'a de signification et d'importance que comme une | ||
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entre autres qualités, un homme, de même que je suis, par exemple, un être vivant, un | entre autres qualités, un homme, de même que je suis, par exemple, un être vivant, un | ||
animal, un Européen, un Berlinois, etc.; mais l'estime de celui qui ne priserait en moi | animal, un Européen, un Berlinois, etc.; mais l'estime de celui qui ne priserait en moi | ||
que l'homme ou le Berlinois me serait fort indifférente. Pourquoi ? Parce qu'il apprécierait | que l'homme ou le Berlinois me serait fort indifférente. Pourquoi ? Parce qu'il apprécierait | ||
une de mes propriétés et non Moi. | une de mes propriétés et non Moi. | ||
De même pour l'esprit. Je puis compter au nombre de mes attributs un esprit | De même pour l'esprit. Je puis compter au nombre de mes attributs un esprit | ||
chrétien, un esprit loyal, etc., et cet esprit est ma propriété ; mais je ne suis pas cet | chrétien, un esprit loyal, etc., et cet esprit est ma propriété ; mais je ne suis pas cet | ||
esprit : il est à moi, et je ne suis pas à lui. | esprit : il est à moi, et je ne suis pas à lui. | ||
Nous retrouvons donc chez les Libéraux l'ancien mépris des Chrétiens pour le | Nous retrouvons donc chez les Libéraux l'ancien mépris des Chrétiens pour le | ||
Moi, pour le Pierre ou le Paul en chair et en os. Au lieu de me prendre pour ce que je | Moi, pour le Pierre ou le Paul en chair et en os. Au lieu de me prendre pour ce que je | ||
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alliance honorable, ce n'est que pour l'amour de — ma bourse : on épouse ce que j'ai | alliance honorable, ce n'est que pour l'amour de — ma bourse : on épouse ce que j'ai | ||
et non ce que je suis. Le Chrétien s'attaque à mon esprit et le Libéral à mon humanité. | et non ce que je suis. Le Chrétien s'attaque à mon esprit et le Libéral à mon humanité. | ||
Mais si l'esprit, cet esprit qu'on ne regarde pas comme la propriété du Moi réel et | Mais si l'esprit, cet esprit qu'on ne regarde pas comme la propriété du Moi réel et | ||
corporel, mais comme le Moi lui-même, est un fantôme, l'Homme dans lequel on veut | corporel, mais comme le Moi lui-même, est un fantôme, l'Homme dans lequel on veut | ||
reconnaître non un de mes attributs mais le Moi proprement dit n'est, lui non plus, | reconnaître non un de mes attributs mais le Moi proprement dit n'est, lui non plus, | ||
qu'un fantôme, une pensée, un concept. | qu'un fantôme, une pensée, un concept. | ||
C'est pourquoi le Libéral tourne éternellement, sans pouvoir en sortir, dans le | C'est pourquoi le Libéral tourne éternellement, sans pouvoir en sortir, dans le | ||
même cercle où est enfermé le Chrétien. Comme l'Esprit de l'humanité, c'est-à-dire | même cercle où est enfermé le Chrétien. Comme l'Esprit de l'humanité, c'est-à-dire | ||
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t'efforcer de devenir pleinement Homme. Effort aussi stérile que celui du Chrétien | t'efforcer de devenir pleinement Homme. Effort aussi stérile que celui du Chrétien | ||
pour devenir pleinement esprit bienheureux ! | pour devenir pleinement esprit bienheureux ! | ||
Aujourd'hui que le Libéralisme a proclamé l'Homme, on peut dire que le Christianisme | Aujourd'hui que le Libéralisme a proclamé l'Homme, on peut dire que le Christianisme | ||
a été ainsi poussé à ses dernières conséquences, et que dès l'origine le Christianisme | a été ainsi poussé à ses dernières conséquences, et que dès l'origine le Christianisme | ||
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et l'Homme, et l'on émet ce voeu : « Devenez conformes à la véritable essence de | et l'Homme, et l'on émet ce voeu : « Devenez conformes à la véritable essence de | ||
l'espèce. » | l'espèce. » | ||
La religion de l'Humanité n'est que la dernière métamorphose de la religion | La religion de l'Humanité n'est que la dernière métamorphose de la religion | ||
chrétienne. Le Libéralisme, en effet, est une religion, attendu qu'il me sépare de mon | chrétienne. Le Libéralisme, en effet, est une religion, attendu qu'il me sépare de mon | ||
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». Par les formes mêmes qu'il revêt, le Libéralisme trahit encore sa nature de | ». Par les formes mêmes qu'il revêt, le Libéralisme trahit encore sa nature de | ||
religion : il réclame une dévotion fervente à l'être suprême, l'Homme, « une foi qui | religion : il réclame une dévotion fervente à l'être suprême, l'Homme, « une foi qui | ||
agisse et donne des preuves de son zèle, une ferveur qui ne s'attiédisse point <ref>Bruno BAUER : Judenfrage, p. 61.</ref>». Mais, | |||
agisse et donne des preuves de son zèle, une ferveur qui ne s'attiédisse point | |||
comme le Libéralisme est une religion humaine, ses adeptes font profession d'être | comme le Libéralisme est une religion humaine, ses adeptes font profession d'être | ||
tolérants envers les adeptes des autres religions (juive, chrétienne, etc.) ; c'est de cette | tolérants envers les adeptes des autres religions (juive, chrétienne, etc.) ; c'est de cette | ||
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comme de pures « sottises privées », envers lesquelles on se comporte très libéralement | comme de pures « sottises privées », envers lesquelles on se comporte très libéralement | ||
en considération de leur insignifiance même. | en considération de leur insignifiance même. | ||
On peut la nommer la religion d'État, la religion de l' « État libre », non dans | On peut la nommer la religion d'État, la religion de l' « État libre », non dans | ||
l'ancien sens de religion prônée et privilégiée par l'État, mais parce qu'elle est la | l'ancien sens de religion prônée et privilégiée par l'État, mais parce qu'elle est la | ||
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d'eux tienne le lien du sang pour sacré, et qu'il prouve, envers ce lien de la piété, un | d'eux tienne le lien du sang pour sacré, et qu'il prouve, envers ce lien de la piété, un | ||
respect qui sanctifie chacun de ses parents. | respect qui sanctifie chacun de ses parents. | ||
Quelle est l'idée la plus haute que l'État, puisse se proposer de réaliser ? C'est | Quelle est l'idée la plus haute que l'État, puisse se proposer de réaliser ? C'est | ||
bien celle d'être une véritable Société humaine, une société dans laquelle puisse être | bien celle d'être une véritable Société humaine, une société dans laquelle puisse être | ||
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l'État l'hôte d'une prison (d'une maison de fous ou d'une maison de santé, d'après le | l'État l'hôte d'une prison (d'une maison de fous ou d'une maison de santé, d'après le | ||
Communisme). | Communisme). | ||
Il est facile de définir en termes sèchement techniques ce qu'on entend par un | Il est facile de définir en termes sèchement techniques ce qu'on entend par un | ||
non-homme : c'est un homme qui ne correspond pas au concept Homme, comme | non-homme : c'est un homme qui ne correspond pas au concept Homme, comme | ||
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moins d'admettre cette hypothèse que le concept Homme peut être séparé de l'homme | moins d'admettre cette hypothèse que le concept Homme peut être séparé de l'homme | ||
existant, l'essence du phénomène ? On dit : Il paraît un homme, mais n'en est pas un. | existant, l'essence du phénomène ? On dit : Il paraît un homme, mais n'en est pas un. | ||
Il y a bien des siècles que les hommes se contentent de cette « pétition de principe | Il y a bien des siècles que les hommes se contentent de cette « pétition de principe | ||
»! Et ce qu'il y a de plus fort, c'est que pendant tout ce temps il n'a existé que des | »! Et ce qu'il y a de plus fort, c'est que pendant tout ce temps il n'a existé que des | ||
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je réduis à n'être plus qu'un de mes attributs, une de mes propriétés, cet Homme qui | je réduis à n'être plus qu'un de mes attributs, une de mes propriétés, cet Homme qui | ||
était jusqu'ici exclusivement mon idéal, mon devoir, mon essence ou mon concept et | était jusqu'ici exclusivement mon idéal, mon devoir, mon essence ou mon concept et | ||
qui planait comme tel au-dessus de moi et au-delà de moi, si je fais en sorte que | qui planait comme tel au-dessus de moi et au-delà de moi, si je fais en sorte que | ||
l'Homme ne soit plus que mon humanité, ma manière d'être, et que ce que je fais ne | l'Homme ne soit plus que mon humanité, ma manière d'être, et que ce que je fais ne |
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