Différences entre les versions de « Franz Oppenheimer:L'Etat, ses origines, son évolution et son avenir - Introduction »

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Bluntschli en proclamant l'Etat « personnification du peuple » ouvre le long défilé de ces théoriciens qui baptisent ou l'Etat, ou la Société, ou encore un mélange quelconque de ces deux ingrédients du nom de « supra-organisme ». Cette opinion est aussi intenable que celle de sir Henry Maine faisant s'élever l'Etat de la famille par les degrés : « gens, maison et tribu ». L'Etat n'est pas une « unité associative » comme le croit le juriste Jellinek. Le vieux Boehmer{{ref|3}} se rapproche de la vérité lorsqu'il écrit que ''denique regnorum praecipuorum ortus et incrementa perlustrans vim et latrocinia potentiœ initia fuisse apparebit'' ; mais néanmoins Carey est dans l'erreur lorsqu'il fait provenir l'Etat d'une bande de brigands qui se seraient érigés en maîtres sur leurs compagnons. Beaucoup de ces définitions contiennent une parcelle plus ou moins grande de vérité mais aucune n'est entièrement satisfaisante et la plupart sont radicalement fausses.
Bluntschli en proclamant l'Etat « personnification du peuple » ouvre le long défilé de ces théoriciens qui baptisent ou l'Etat, ou la Société, ou encore un mélange quelconque de ces deux ingrédients du nom de « supra-organisme ». Cette opinion est aussi intenable que celle de sir Henry Maine faisant s'élever l'Etat de la famille par les degrés : « gens, maison et tribu ». L'Etat n'est pas une « unité associative » comme le croit le juriste Jellinek. Le vieux Boehmer{{ref|3}} se rapproche de la vérité lorsqu'il écrit que ''denique regnorum praecipuorum ortus et incrementa perlustrans vim et latrocinia potentiœ initia fuisse apparebit'' ; mais néanmoins Carey est dans l'erreur lorsqu'il fait provenir l'Etat d'une bande de brigands qui se seraient érigés en maîtres sur leurs compagnons. Beaucoup de ces définitions contiennent une parcelle plus ou moins grande de vérité mais aucune n'est entièrement satisfaisante et la plupart sont radicalement fausses.


==b) La conception sociologique de l'Etat==
==La conception sociologique de l'Etat==


Qu'est-ce donc que l'Etat au sens sociologique ? L'Etat est, entièrement quant à son origine, et presque entièrement quant à sa nature pendant les premiers stages de son existence, une organisation sociale imposée par un groupe vainqueur à un groupe vaincu, organisation dont l'unique but est de réglementer la domination du premier sur le second en défendant son autorité contre les révoltes intérieures et les attaques extérieures.
Qu'est-ce donc que l'Etat au sens sociologique ? L'Etat est, entièrement quant à son origine, et presque entièrement quant à sa nature pendant les premiers stages de son existence, une organisation sociale imposée par un groupe vainqueur à un groupe vaincu, organisation dont l'unique but est de réglementer la domination du premier sur le second en défendant son autorité contre les révoltes intérieures et les attaques extérieures.
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Et cette domination n'a jamais eu d'autre but que l’exploitation économique du vaincu par le vainqueur.
Et cette domination n'a jamais eu d'autre but que l’exploitation économique du vaincu par le vainqueur.


Aucun Etat primitif dans toute l'histoire universelle n'a eu une origine autre{{ref|4}}. Là où une tradition digne de foi informe différemment il s’est toujours agi de la fusion de deux Etats primitifs déjà entièrement développés s'unissant en un ensemble d'organisation plus complexe ; ou encore nous nous trouvons en présence d'une variante humaine de la fable des moutons prenant l'ours pour roi afin qu'il les défende contre les loups. Mais même dans ce cas la forme et la substance de l'Etat sont exactement les mêmes que dans « l'Etat-Loup» pur et simple.  
Aucun Etat primitif dans toute l'histoire universelle n'a eu une origine autre{{ref|4}}. Là où une tradition digne de foi informe différemment, il s’est toujours agi de la fusion de deux Etats primitifs déjà entièrement développés s'unissant en un ensemble d'organisation plus complexe ; ou encore nous nous trouvons en présence d'une variante humaine de la fable des moutons prenant l'ours pour roi afin qu'il les défende contre les loups. Mais même dans ce cas la forme et la substance de l'Etat sont exactement les mêmes que dans « l'Etat-Loup » pur et simple.  


La très mince provision d'histoire apprise dans notre enfance suffit pour nous permettre de reconnaître la vérité de cette assertion générale. Partout nous voyons une belliqueuse tribu barbare envahir le territoire d'un peuple plus pacifique, s’y établir comme aristocratie et y fonder son Etat. En Mésopotamie invasion sur invasion, Etat sur Etat : Babyloniens, Amorites, Assyriens, Arabes, Mèdes, Perses, Macédoniens, Parthes, Mongols, Seldjoukides, Tartares et Turcs ; sur la terre du Nil Hyksos, Nubiens, Perses, Grecs, Romains, Arabes et Turcs ; en Grèce les Etats Doriens de type caractéristique ; en Italie Romains, Ostrogoths, Lombards, Francs. et Germains ; en Espagne Carthaginois, Romains, Visigoths, Arabes ; en Gaule Romains, Francs, Burgondes, Normands ; en Angleterre Saxons et Normands. Les flots des belliqueuses peuplades se déversent sur l'Inde jusqu'à l'Insulinde, et sur la Chine ; et il en est de même dans les colonies européennes dès que le conquérant y trouve un élément de population sédentaire déjà établi. Lorsque cet élément fait défaut, lorsque la population du pays envahi se compose de chasseurs nomades qu'il est possible de détruire mais jamais d'asservir, on en est quitte pour importer des contrées lointaines la masse humaine corvéable et exploitable : c'est la traite, l'esclavage.
La très mince provision d'histoire apprise dans notre enfance suffit pour nous permettre de reconnaître la vérité de cette assertion générale. Partout nous voyons une belliqueuse tribu barbare envahir le territoire d'un peuple plus pacifique, s’y établir comme aristocratie et y fonder son Etat. En Mésopotamie, invasion sur invasion, Etat sur Etat : Babyloniens, Amorites, Assyriens, Arabes, Mèdes, Perses, Macédoniens, Parthes, Mongols, Seldjoukides, Tartares et Turcs ; sur la terre du Nil, Hyksos, Nubiens, Perses, Grecs, Romains, Arabes et Turcs ; en Grèce, les Etats Doriens de type caractéristique ; en Italie, Romains, Ostrogoths, Lombards, Francs et Germains ; en Espagne, Carthaginois, Romains, Visigoths, Arabes ; en Gaule, Romains, Francs, Burgondes, Normands ; en Angleterre, Saxons et Normands. Les flots des belliqueuses peuplades se déversent sur l'Inde jusqu'à l'Insulinde, et sur la Chine ; et il en est de même dans les colonies européennes dès que le conquérant y trouve un élément de population sédentaire déjà établi. Lorsque cet élément fait défaut, lorsque la population du pays envahi se compose de chasseurs nomades qu'il est possible de détruire mais jamais d'asservir, on en est quitte pour importer des contrées lointaines la masse humaine corvéable et exploitable : c'est la traite, l'esclavage.


Les colonies européennes dont les lois ne permettent plus de suppléer par l'importation d'esclaves à l'absence d'une population indigène sédentaire semblent au premier abord constituer une exception à cette règle. L'une de ces colonies, les États-Unis d'Amérique, est devenue une des plus importantes formations politiques de l'histoire mondiale. La contradiction apparente est expliquée là par le fait que la masse humaine « taillable et corvéable à merci » s'importe d'elle-même, émigrant en masse hors des Etats primitifs comme hors de ces Etats, arrivés à un plus haut degré de civilisation et possédant déjà la liberté de domicile mais dans lesquels l'extorsion a atteint un point insoutenable. Nous avons ici, s'il nous est permis d'employer cette figure, une contamination à distance de la « maladie d'Etat ", une contamination causée par des foyers d'infection éloignés. Dans les colonies où l'immigration est peu importante, soit en raison du grand éloignement rendant le voyage trop coûteux, soit par suite de mesures prohibitives, les conditions sociales se rapprochent déjà de ce but final de l'évolution de l'Etat qu'il est possible dès maintenant de reconnaitre comme inévitable, mais pour lequel il nous manque encore le terme scientifique. Une fois de plus dans la dialectique de l'évolution une transformation quantitative est devenue transformation qualitative : l'ancienne forme s'est remplie d'un nouveau contenu. Nous y avons encore un « Etat », c'est-à-dire une stricte organisation de la vie sociale collective assurée par un pouvoir coercitif mais ce n'est plus « l'Etat » au vieux sens du mot, ce n'est plus l'instrument de la domination politique, de l'exploitation économique d'un groupe social par un autre groupe, ce n'est plus l’Etat de classes mais un Etat qui semble être véritablement le résultat d'un Contrat social. Les colonies australiennes se rapprochent beaucoup de ces conditions, si nous en exceptons la province féodale de Queensland avec son exploitation de Canaques à demi esclaves, et l'idéal est presque entièrement atteint en Nouvelle-Zélande.
Les colonies européennes dont les lois ne permettent plus de suppléer par l'importation d'esclaves à l'absence d'une population indigène sédentaire semblent au premier abord constituer une exception à cette règle. L'une de ces colonies, les États-Unis d'Amérique, est devenue une des plus importantes formations politiques de l'histoire mondiale. La contradiction apparente est expliquée là par le fait que la masse humaine « taillable et corvéable à merci » s'importe d'elle-même, émigrant en masse hors des Etats primitifs comme hors de ces Etats, arrivés à un plus haut degré de civilisation et possédant déjà la liberté de domicile mais dans lesquels l'extorsion a atteint un point insoutenable. Nous avons ici, s'il nous est permis d'employer cette figure, une contamination à distance de la « maladie d'Etat », une contamination causée par des foyers d'infection éloignés. Dans les colonies où l'immigration est peu importante, soit en raison du grand éloignement rendant le voyage trop coûteux, soit par suite de mesures prohibitives, les conditions sociales se rapprochent déjà de ce but final de l'évolution de l'Etat qu'il est possible dès maintenant de reconnaitre comme inévitable, mais pour lequel il nous manque encore le terme scientifique. Une fois de plus dans la dialectique de l'évolution une transformation quantitative est devenue transformation qualitative : l'ancienne forme s'est remplie d'un nouveau contenu. Nous y avons encore un « Etat », c'est-à-dire une stricte organisation de la vie sociale collective assurée par un pouvoir coercitif mais ce n'est plus « l'Etat » au vieux sens du mot, ce n'est plus l'instrument de la domination politique, de l'exploitation économique d'un groupe social par un autre groupe, ce n'est plus l’Etat de classes mais un Etat qui semble être véritablement le résultat d'un Contrat social. Les colonies australiennes se rapprochent beaucoup de ces conditions, si nous en exceptons la province féodale de Queensland avec son exploitation de Canaques à demi esclaves, et l'idéal est presque entièrement atteint en Nouvelle-Zélande.


Tant que l'on n'aura pas atteint un ''communis consensus'' quant à l'origine et la nature de l’Etat historique, ou, ce qui revient au même, de l’Etat au sens sociologique, c'est en vain que l’on tentera d'imposer un nouveau terme pour désigner ces formes supérieures de l'organisation sociale. En dépit de toutes les protestations le nom d’Etat leur reste et leur restera sans doute toujours. Afin d'avoir une emprise sur la nouvelle conception nous désignerons ici cette forme par le terme « Fédération libre ».
Tant que l'on n'aura pas atteint un ''communis consensus''{{ref|5}} quant à l'origine et la nature de l’Etat historique, ou, ce qui revient au même, de l’Etat au sens sociologique, c'est en vain que l’on tentera d'imposer un nouveau terme pour désigner ces formes supérieures de l'organisation sociale. En dépit de toutes les protestations le nom d’Etat leur reste et leur restera sans doute toujours. Afin d'avoir une emprise sur la nouvelle conception nous désignerons ici cette forme par le terme « Fédération libre ».


L'examen rapide des Etats historiques passés et présents devrait être complété ici, si la place nous le permettait, par une étude des faits que nous procure l'ethnologie sur les Etats non compris dans l'horizon de notre histoire si faussement qualifiée d'universelle. Qu'il nous suffise d'affirmer ici que nulle part notre règle ne souffre d'exception. Dans l'archipel malais comme dans le grand laboratoire sociologique africain, dans tous les pays du globe où l'évolution des races a dépassé la période de sauvagerie primitive, l'Etat est né de la subjugation d'un groupe humain par un autre groupe et sa raison d'être est, et a toujours été, l'exploitation économique des asservis.
L'examen rapide des Etats historiques passés et présents devrait être complété ici, si la place nous le permettait, par une étude des faits que nous procure l'ethnologie sur les Etats non compris dans l'horizon de notre histoire si faussement qualifiée d'universelle. Qu'il nous suffise d'affirmer ici que nulle part notre règle ne souffre d'exception. Dans l'archipel malais comme dans le grand laboratoire sociologique africain, dans tous les pays du globe où l'évolution des races a dépassé la période de sauvagerie primitive, l'Etat est né de la subjugation d'un groupe humain par un autre groupe et sa raison d'être est, et a toujours été, l'exploitation économique des asservis.
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