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J'ai voulu examiner ces programmes sociaux non seulement sous leur forme fasciste et communiste, mais aussi dans le collectivisme progressif des Etats démocratiques, en essayant de déterminer si une société peut être planifiée et dirigée pour vivre dans l'abondance et en paix. Il s'agissait pour moi de savoir, non pas si un tel résultat était désirable, mais s'il était réalisable. Je pensai d'abord que malgré toutes les difficultés qu'il y aurait à trouver des organisateurs suffisamment sages et désintéressés, une classe dirigeante bien éduquée parviendrait peut-être à réaliser cet idéal. Mais je finis par m'apercevoir qu'un tel ordre social n'est même pas réalisable en théorie, qu'il serait non seulement difficile à administrer, mais encore dépourvu de toute signification et qu'il est aussi illusoire que le mouvement perpétuel. Je finis par comprendre qu'une société dirigée doit être belliqueuse et pauvre, et que si elle n'est ni belliqueuse ni pauvre elle est indirigeable. Je compris alors qu'une société prospère et pacifique doit être libre. Si elle n'est libre, elle ne saurait être ni prospère ni pacifique. | J'ai voulu examiner ces programmes sociaux non seulement sous leur forme fasciste et communiste, mais aussi dans le collectivisme progressif des Etats démocratiques, en essayant de déterminer si une société peut être planifiée et dirigée pour vivre dans l'abondance et en paix. Il s'agissait pour moi de savoir, non pas si un tel résultat était désirable, mais s'il était réalisable. Je pensai d'abord que malgré toutes les difficultés qu'il y aurait à trouver des organisateurs suffisamment sages et désintéressés, une classe dirigeante bien éduquée parviendrait peut-être à réaliser cet idéal. Mais je finis par m'apercevoir qu'un tel ordre social n'est même pas réalisable en théorie, qu'il serait non seulement difficile à administrer, mais encore dépourvu de toute signification et qu'il est aussi illusoire que le mouvement perpétuel. Je finis par comprendre qu'une société dirigée doit être belliqueuse et pauvre, et que si elle n'est ni belliqueuse ni pauvre elle est indirigeable. Je compris alors qu'une société prospère et pacifique doit être libre. Si elle n'est libre, elle ne saurait être ni prospère ni pacifique. | ||
Il me fallut ensuite un certain temps pour me rendre compte que je n'avais pas fait une découverte. C'était là la vérité essentielle qu'avaient enseignée les libéraux du XVIIIe siècle au début de l'ère moderne. Je lus alors avec un intérêt renouvelé les écrits dans lesquels Adam Smith et certains de ses contemporains avaient souligné que le souverain doit être « entièrement déchargé d'une tâche dans l'accomplissement de laquelle il sera toujours exposé à d'innombrables erreurs, et qu'aucune connaissance et aucune sagesse humaines ne sauraient jamais suffire à remplir convenablement : à savoir la charge de diriger l'industrie des individus, et de l'orienter vers les emplois les plus appropriés à l'intérêt de la société. »<ref>''Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Livre IV, ch. 9, édition de 1890. </ref> | Il me fallut ensuite un certain temps pour me rendre compte que je n'avais pas fait une découverte. C'était là la vérité essentielle qu'avaient enseignée les libéraux du XVIIIe siècle au début de l'ère moderne. Je lus alors avec un intérêt renouvelé les écrits dans lesquels Adam Smith et certains de ses contemporains avaient souligné que le souverain doit être « entièrement déchargé d'une tâche dans l'accomplissement de laquelle il sera toujours exposé à d'innombrables erreurs, et qu'aucune connaissance et aucune sagesse humaines ne sauraient jamais suffire à remplir convenablement : à savoir la charge de diriger l'industrie des individus, et de l'orienter vers les emplois les plus appropriés à l'intérêt de la société. »<ref>''Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Livre IV, ch. 9, édition de 1890. </ref> Je me rendis compte peu à peu qu'Adam Smith n'aurait jamais considéré le grand capitalisme du XIXe siècle comme le « système évident et simple de la liberté naturelle » qu'il avait imaginé ; car il avait très prudemment assigné au souverain le devoir de protéger autant que possible « chaque membre de la société contre l'injustice et l'oppression exercées par tout autre membre » ; et tout son livre montre bien qu'il avait en vue quelque chose de plus substantiel que le droit égal du pauvre et du riche à se montrer durs en affaires. | ||
Et pourtant la doctrine d'Adam Smith et des grands libéraux du XVIIIe siècle a servi à défendre beaucoup d'injustices et d'oppressions. Dans la vieillesse d'Herbert Spencer, le libéralisme était devenu une négation monstrueuse, dressée comme une barrière contre tous les instincts généreux de l'humanité. C'est pourquoi, dans la seconde moitié de ce livre, j'ai entrepris une tâche qui, je le crains, dépasse mes moyens. J'ai essayé de découvrir pourquoi le développement de la doctrine libérale s'est trouvé arrêté, et pourquoi le libéralisme a perdu son influence sur les affaires du monde. Pour y parvenir, j'ai cherché à découvrir le contenu de la conception libérale de la vie, la logique de ses principes et les rudiments de son intuition ; ensuite j'ai voulu souligner certains points capitaux sur lesquels, faute de tenir les promesses du libéralisme, les libéraux ont cessé de mettre en évidence la signification des évènements, et par conséquent de retenir l'attention des peuples. | |||
L'essai que voici est ambitieux et difficile : je ne prétends pas qu'il représente une solution définitive. Toute ce que je sais jusqu'à présent, c'est comment il faut marcher ; quelque autre trouvera peut-être dans mon livre une piste qui le mènera plus loin. Je l'espère du moins. L'objet de la recherche en vaut la peine car, s'ils la mènent à bonne fin, les hommes retrouveront peut-être la conviction qui animait leurs aïeux : à savoir que le progrès s'acquiert en s'affranchissant des privilèges, du pouvoir, de la contrainte, de l'autorité, et non pas en les restaurant. | |||
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