Friedrich A. Hayek:La Constitution de la liberté - 12

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Friedrich A. Hayek:La Constitution de la liberté - 12


Anonyme


Chapitre 12 - L'apport américain : le constitutionnalisme
traduit par Raoul Audouin et Jacques Garello avec la collaboration de Guy Millière
Deuxième partie — La liberté et le droit
Chapitre 12 : L'apport américain : le constitutionnalisme


L'Europe ne semblait pas apte à devenir le berceau d'Etats libres. C'est d'Amérique que les idées simples selon lesquelles les hommes devraient mener leurs propres affaires, et la nation est responsable devant le Ciel des actes de l'Etat - des idées depuis longtemps encloses dans le coeur de penseurs isolés, et enfouies dans de gros ouvrages latins - ont jailli comme des conquérantes sur un monde qu'elles étaient destinées à changer, sous le nom de Droits de l'Homme.

Lord Acton


1. Les Pères fondateurs et la tradition britannique

« Lorsqu'en 1767 le Parlement britannique modernisé, désormais voué à réaliser le principe de la souveraineté parlementaire illimitée et non limitable, proclama qu'une majorité parlementaire pouvait mettre en vigueur toute loi qui lui semblait opportune, cela fut accueilli par des cris d'horreur dans les colonies d'Amérique. James Otis et Sam Adams au Massachusetts, Patrick Henry en Virginie, et d'autres personnalités en vue tout au long du rivage atlantique, parlèrent publiquement de trahison, et invoquèrent la Grande Charte. Une telle décision, pensaient-ils, détruisait l'essentiel de ce pour quoi leurs ancêtres britanniques avaient lutté, et ôtait sa saveur à cette belle liberté anglo-saxonne pour laquelle les sages et les patriotes d'Angleterre étaient morts » (1). C'est en ces termes qu'un Américain contemporain, partisan enthousiaste du pouvoir illimité de la majorité, décrit le début du mouvement qui conduisit à un nouvel effort pour garantir la liberté de l'individu.

Au début, ce mouvement se fondait entièrement sur les conceptions traditionnelles des libertés des anglais. Edmund Burke et d'autres sympathisants en Angleterre n'étaient pas les seuls à parler des colons comme « non seulement dévoués à la liberté, mais à la liberté selon les idées anglaises, et fondée sur les principes anglais » (2) ; les colons eux-mêmes soutenaient depuis longtemps cette façon de voir les choses (3). Ils avaient le sentiment de défendre les principes des Whigs de la révolution de 1688 (4) ; et pendant que les « hommes d'Etat whigs, se réjouissant de la résistance des Américains et réclamant qu'on leur accorde l'indépendance, portaient des toasts au général Washington (5), les colons de leur côté buvaient à la santé de William Pitt et des hommes politiques whigs qui les encourageaient (6) ».

En Angleterre, après la victoire complète du Parlement, l'idée que nul pouvoir ne devait être arbitraire, et que tout pouvoir devait être borné par une loi « plus haute », tendit à glisser dans l'oubli. Mais les colons, eux, l'avaient emportée avec eux, et la tournaient maintenant contre le Parlement. Ils protestaient non seulement parce qu'ils n'avaient pas de représentants au Parlement, mais aussi et surtout parce que ce Parlement ne reconnaissait aucune limite à ses pouvoirs. Par le biais de cette application du principe de limitation légale du pouvoir par des principes supérieurs au Parlement lui-même, l'initiative dans l'élaboration ultérieure de l'idéal d'un gouvernement de liberté passa aux mains des Américains.

Une chance singulière, que peut-être aucun autre peuple n'a eue en des semblables circonstances, fit que les colons avaient parmi leurs dirigeants un certain nombre de personnes connaissant remarquablement bien la philosophie politique. Et si sous de nombreux aspects, ce pays neuf était encore très arriéré, on pouvait dire que « c'est en science politique seulement que l'Amérique occupe le premier rang. Il y a six Américains du niveau des Européens les plus distingués, Smith et Turgot, Mill et Humboldt » (7). Ces hommes étaient en outre aussi imprégnés par la tradition classique que l'avaient été les penseurs anglais de la génération précédente, dont ils connaissaient à fond les idées.

2. La Constitution, appareil à limiter le pouvoir

Jusqu'à la rupture finale, les revendications et arguments présentés par les colons dans le conflit avec la mère patrie étaient entièrement fondés sur les droits et privilèges auxquels ils estimaient avoir droit en tant que sujets britanniques. Ce fut seulement lorsqu'ils constatèrent que la constitution anglaise, aux principes de laquelle ils faisaient fermement confiance, n'avait guère de consistance et ne pouvait être invoquée avec succès à l'encontre des prétentions du Parlement, qu'ils en conclurent que la fondation manquante devait absolument être proposée (8). Ils considérèrent comme un principe fondamental, qu'une « constitution stable » (9) était essentielle à tout système de gouvernement libre, et qu'une constitution signifiait un gouvernement limité (10). Du fait de leur propre histoire, ils étaient familiarisés avec des documents écrits définissant et circonscrivant les pouvoirs gouvernementaux, tels le Pacte du Mayflower et les chartes coloniales (11).

L'expérience leur avait aussi enseigné que toute constitution attribuant et distribuant les divers pouvoirs impliquait nécessairement que soient limités les pouvoirs de chaque autorité. Mais un document ne pouvait, à leurs yeux, s'appeler « constitution » s'il se contentait d'énoncer que tel organisme public, ou tel personnage, était habilité à dire que telle décision constitue une loi. Ils comprenaient bien que, dès lors qu'un document assignait des pouvoirs spécifiques à des autorités différentes, il limitait aussi les pouvoirs de ces autorités non seulement quant aux objets ou aux buts à atteindre, mais aussi quant aux méthodes à employer. Pour les colons, la liberté signifiait que les autorités publiques ne devaient avoir de pouvoirs qu'en vue d'actions spécifiquement requises par la loi, de sorte que personne ne détienne un pouvoir arbitraire (12).

Le concept de constitution se trouva ainsi étroitement associé à l'idée d'un gouvernement représentatif dans lequel l'organe représentatif n'aurait d'autres pouvoirs que ceux nettement circonscrits par le document lui conférant ces pouvoirs. La formule selon laquelle « tout pouvoir émane du peuple »se référait moins à l'élection périodique de représentants, qu'au fait que le peuple, organisé en corps constituant, avait le droit exclusif de définir les pouvoirs de la législature élue (13). La constitution était donc conçue comme une protection du peuple contre toute action arbitraire, qu'elle émane du pouvoir législatif ou des autres organes du gouvernement.

Une constitution destinée à limiter le pouvoir doit, outre des dispositions concernant la dévolution des pouvoirs, inclure des règles positives. Elle doit poser des principes généraux régissant les décisions du corps législatif. L'idée de constitution implique donc non seulement l'idée d'une hiérarchie des autorités ou pouvoirs, mais aussi celle d'une hiérarchie des lois et règles - où celles qui présentent un degré plus élevé de généralité et émanent d'une autorité plus élevée contrôlent le contenu des décisions plus spécifiques prises par une autorité déléguée.

3. Une Constitution de la liberté

L'idée d'une loi supérieure qui régisse la législation courante est extrêmement ancienne. Au XVIIIe siècle, on la concevait comme la loi de Dieu, ou de la Nature, ou de la Raison. Mais l'idée de formuler cette loi supérieure de manière explicite et exécutoire en la couchant sur le papier - sans être entièrement neuve - a été pour la première fois mise en pratique par les colons insurgés. Les colonies prises séparément ont procédé, en fait, aux premières expériences de codification de ce genre avec une base populaire plus large que celle d'un législateur ordinaire. Mais le modèle qui devait influencer profondément le monde entier fut la Constitution fédérale.

La différence fondamentale entre une constitution et les lois ordinaires est semblable à celle existant entre les lois en général et leur application par les tribunaux à un cas d'espèce : de même que le juge, en prononçant un verdict, est tenu par les lois générales, la législature en faisant des lois particulières est tenue par les principes plus généraux de la constitution. La justification de ces différences est analogue dans l'un et l'autre cas : de même qu'une décision judiciaire n'est considérée comme juste que si elle est conforme à une loi générale, les lois particulières ne sont tenues pour justes que si elles sont conformes à des principes plus généraux. Et tout comme nous souhaitons éviter que les juges puissent contrevenir à la loi pour une raison particulière, nous voulons empêcher le législateur d'enfreindre certains principes généraux sous le prétexte d'un but temporaire et immédiat.

Nous avons déjà étudié la raison de cette volonté dans un autre contexte (14). Elle est que tous les hommes, dans la poursuite d'objectifs immédiats, sont susceptibles - ou, en raison des limites de leur intellect, fatalement poussés - à violer des règles de conduite qu'ils voudraient néanmoins voir observées généralement. En raison des capacités restreintes de notre esprit, nos objectifs immédiats occupent largement notre champ de vision, et nous avons tendance à leur sacrifier des avantages à long terme. Dans notre conduite individuelle et dans notre conduite sociale, nous ne pouvons donc prendre des décisions spécifiques rationnelles ou cohérentes qu'en nous soumettant à des principes généraux, et en laissant de côté nos besoins momentanés. La législation, si on entend qu'elle tienne compte des effets globaux, ne peut pas plus se dispenser de principes directeurs que n'importe quelle autre activité humaine.

Le législateur, comme l'individu, hésitera davantage à prendre certaines mesures en vue d'un but immédiat et important, s'il lui faut pour cela nier explicitement des principes proclamés auparavant. Ne pas respecter une obligation ou une promesse, c'est autre chose qu'affirmer explicitement que contrats et promesses peuvent être rompus lorsque telle ou telle circonstance générale se présente. Faire une loi rétroactive, conférer des privilèges, ou infliger des punitions à des personnes bien précises par voie législative, c'est autre chose qu'annuler le principe selon lequel cela ne devrait jamais se faire. Et une législature enfreignant les droits de propriété, ou la liberté de parole, afin de parvenir à un résultat capital, c'est autre chose qu'une législature stipulant les conditions générales dans lesquelles ces droits peuvent être enfreints.

Préciser officiellement les conditions dans lesquelles de tels actes de la part du législateur seraient légitimes aurait probablement des effets avantageux, même si c'était le législateur lui-même qui était chargé de rédiger le texte. Mais ce serait comme si un juge se voyait requis de formuler les principes sur lesquels il appuie son jugement, et il est clair qu'il serait plus efficace qu'un autre organisme ait le pouvoir exclusif de modifier les principes de base, surtout si on voulait que la procédure à ce niveau puisse être lente, et laisser plus de temps pour apprécier à sa juste valeur l'importance du motif invoqué pour la demande de révision. On doit noter ici que les assemblées constituantes ou les assemblées similaires chargées de poser les principes généraux d'organisation du pouvoir ne se voient reconnaître de compétence que pour cette seule mission, et non pour adopter des lois particulières (15).

L'expression « appel du peuple ivre au peuple à jeûn », qu'on utilise souvent à ce propos, souligne un seul des nombreux aspects d'un vaste problème et, par la légèreté de sa forme, a probablement davantage contribué à obscurcir qu'à éclairer l'extrême importance de celui-ci. Le problème n'est pas tant de donner le temps aux passions de se calmer - même si cela peut être précieux - que de prendre en compte l'inaptitude de l'homme, en général, à percevoir clairement les nombreuses conséquences d'une décision, et de souligner à quel point il lui est indispensable de penser à la généralisation et aux principes qu'elle implique, s'il entend rendre l'ensemble de ses décisions cohérentes entre elles.

Il ne saurait y avoir pour les hommes de « manière plus efficace de servir leur intérêt que d'observer de façon universelle et inflexible les règles de la justice » (16).

Il n'est guère besoin de souligner qu'un système constitutionnel ne suppose pas une limitation absolue de la volonté du peuple, mais seulement une subordination des objectifs immédiats aux objectifs à long terme. Dans les faits, cela implique une limitation des moyens offerts à une majorité momentanée qui poursuit des objectifs immédiats, par le biais de principes généraux posés par une autre majorité pour une plus longue période. En d'autres termes, cela veut dire qu'on consent à suivre la volonté d'une majorité momentanée sur des problèmes particuliers dans la mesure où on considère que cette majorité restera fidèle à des principes généraux posés antérieurement par une instance plus large.

Cette division de l'autorité implique davantage de choses qu'il ne semble d'abord. Elle implique une reconnaissance des insuffisances du pouvoir de raisonnement volontaire, et une préférence accordée aux principes éprouvés, plutôt qu'aux solutions ad hoc ; elle implique aussi que la hiérarchie des règles ne s'arrête pas nécessairement aux règles explicitées dans le droit constitutionnel. Comme les forces qui régissent l'esprit individuel, les forces génératrices d'ordre social jouent à de multiples niveaux, et les constitutions elles-mêmes reposent sur, ou présupposent, un assentiment sous-jacent à des principes plus fondamentaux - principes qui peuvent n'avoir jamais été exprimés, mais qui rendent possible et précèdent le consentement et les lois fondamentales écrites. Nous ne devons pas croire que, parce que nous avons appris à élaborer délibérément des lois, toutes les lois doivent être délibérément faites par une agence humaine (17).

Au contraire, un groupe humain peut former une société capable de légiférer parce qu'il a déjà en commun des convictions qui rendent possibles la discussion et la persuasion, et auxquelles les règles détaillées doivent se conformer pour être acceptées comme légitimes (18).

Il en découle que nul homme et nulle instance humaine n'a licence totale d'imposer au reste des gens n'importe quelle loi. L'avis inverse, qui sous-tend la conception hobbesienne de la souveraineté (19) (et le positivisme juridique qui en est issu), dérive d'un rationalisme erroné qui imagine une raison autonome et auto-déterminée, et néglige le fait que toute la pensée rationnelle se meut dans un cadre non rationnel de croyances et d'institutions. Le constitutionnalisme signifie que tout pouvoir repose sur la certitude qu'il sera exercé selon des principes communément admis, et que les personnes auxquelles le pouvoir sera conféré seront choisies parce qu'on pensera qu'elles sont vraisemblablement les plus aptes à faire ce qu'il faut, et non pas parce qu'on pensera que tout ce qu'elles feront sera bien. Il repose en dernier ressort, sur l'idée que le pouvoir n'est finalement pas un fait physique, mais un état de l'opinion qui fait que les gens obéissent (20).

Seul un démagogue peut considérer comme « antidémocratique » la limitation que les décisions à long terme et les principes généraux reconnus par le peuple imposent au pouvoir des majorités momentanées. Cette limitation a été conçue pour protéger les gens contre ceux auxquels ils sont forcés de confier le pouvoir, et elle est le seul moyen par lequel le peuple peut fixer le contour de l'ordre dans lequel il souhaite vivre. Il est inévitable qu'en acceptant des principes généraux, on se lie les mains dans les cas où il s'agit de problèmes particuliers. Mais c'est seulement à la condition de s'interdire certains procédés, considérés comme intolérables, que la majorité d'aujourd'hui se protégera quand elle sera demain minorité.

L'adhésion ferme à des principes stables donne en fait au peuple plus de contrôle sur la nature générale de l'ordre politique que si on s'en remettait seulement à des décisions successives portant sur des problèmes spécifiques. Une société libre a sans aucun doute besoin de moyens de borner les pouvoirs du gouvernement qui soient permanents, quel que soit le problème particulier du moment. Et la constitution que la nouvelle nation d'Amérique allait se donner n'était pas tant conçue comme la règle du pouvoir, que comme la constitution de la liberté, la constitution qui protégerait l'individu contre toute coercition arbitraire.

4. Constitutions nationales et Déclarations des droits

Les onze années qui s'écoulèrent entre la Déclaration d'Indépendance et l'élaboration finale de la Constitution fédérale furent une période d'expérimentation des principes du constitutionnalisme par les treize nouveaux Etats. Sous certains aspects, leurs constitutions respectives montrent plus clairement que la Constitution ultime de l'Union, à quel point la limitation de tout pouvoir gouvernemental était l'objet propre du constitutionnalisme. Cela apparaît surtout dans la place prééminente réservée partout aux droits individuels inviolables, qui étaient énumérés soit au sein même de ces documents constitutionnels, soit dans des « Bills of Rights » distincts (21). Bien que plusieurs de ces textes n'étaient que la réaffirmation des droits dont en fait les colons jouissaient (22), et dont ils pensaient qu'ils y avaient pleinement droit depuis toujours ; et bien que les autres aient été rédigés hâtivement en fonction de débats en cours, l'ensemble montrait bien ce que le constitutionnalisme signifiait pour les Américains. En certains passages, ils anticipent sur beaucoup des principes qui inspireront la Constitution fédérale (23). Le principal souci de tous était - comme l'exprima le Bill of Rights préliminaire à la constitution du Massachusetts en 1780 - que le gouvernement soit un « gouvernement de lois, et non d'hommes » (24).

Le plus célèbre de ces Bills of Rights, celui de Virginie, qui fut rédigé et adopté avant la Déclaration d'Indépendance, et modelé sur des précédents en Angleterre ou aux colonies, a largement servi de modèle non seulement pour ceux des autres Etats mais aussi pour la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et, par là, pour tous les autres documents européens du même genre (25). En substance, les diverses déclarations de droits des Etats américains et leurs dispositions essentielles sont désormais familières à tout le monde (26). Certaines de ces dispositions, toutefois, qui n'apparaissent qu'occasionnellement, méritent d'être mentionnées ; ainsi la prohibition des lois rétroactives qui figure dans quatre Bills of Rights, ou celle des « perpétuités et monopoles » qui figure dans deux (27). Significative aussi est la façon solennelle dont, en certaines constitutions, est proclamé le principe de la séparation des pouvoirs (28) - nonobstant qu'en pratique il ait été honoré « plus par infractions que par application ». Un autre trait qui revient souvent, qui paraîtra simplement une fleur de rhétorique aux lecteurs d'aujourd'hui, mais qui pour les hommes de l'époque était très important, est l'appel aux « principes fondamentaux du gouvernement libre », que contiennent plusieurs des constitutions (29), et l'avertissement souvent répété que « la référence fréquente aux principes fondamentaux est absolument nécessaire pour sauvegarder la bénédiction qu'est la liberté » (30).

Il est vrai que beaucoup de ces admirables principes restèrent largement théoriques et que les législatures des Etats devinrent bientôt aussi proches de la prétention à l'omnipotence que l'avait été le Parlement britannique. En fait, « sous la plupart des constitutions révolutionnaires la législature fut réellement omnipotente et l'exécutif d'autant plus faible. Presque tous ces instruments conféraient au pouvoir législatif une compétence pratiquement illimitée. Dans six des constitutions, rien ne figurait qui empêchât la législature d'amender la constitution par le vote d'une loi ordinaire » (31). Même lorsqu'il n'en était pas ainsi, les législatures enfreignirent souvent sans précautions la constitution, et davantage encore ces droits non écrits des citoyens que les constitutions avaient pour but de protéger. Mais le développement de garde-fous contre de tels abus demandait du temps. La principale leçon de la période de Confédération fut, que le seul fait d'écrire sur le papier une constitution ne changeait pas grand-chose, tant qu'on n'a pas prévu explicitement la procédure nécessaire pour la faire respecter » (32).

5. La découverte du fédéralisme : diviser le pouvoir, c'est le limiter

On souligne parfois le fait que la Constitution américaine est le produit d'un dessein et que, pour la première fois dans l'histoire moderne, un peuple a délibérément construit le système de gouvernement sous lequel il entendait vivre. Les Américains eux-mêmes avaient vivement conscience de la nature unique de leur entreprise, et en un certain sens, il est exact qu'ils furent guidés par un esprit de rationalisme, un désir de construction délibérée et de procédure pragmatique plus proches de ce que nous avons appelé la « tradition française » que de « l'anglaise » (33). Cette attitude fut souvent renforcée par une méfiance générale envers la tradition, et une fierté exubérante devant le fait que la nouvelle structure était entièrement de leur propre fabrication. Elle était plus justifiée en l'occurrence que dans bien des exemples analogues ; elle n'en était pas moins essentiellement erronée. Il est instructif d'observer à quel point la structure de gouvernement qui a finalement pris corps diffère de toute construction clairement prévue au départ ; et à quel point le résultat a découlé de hasards historiques, ou de l'application de principes hérités à une situation nouvelle. Ce que la Constitution fédérale a contenu de nouveau s'y est trouvé par l'application de principes traditionnels, ou par la perception encore imprécise des conséquences d'idées générales.

Lorsque la Convention fédérale, chargée de « rendre la constitution du pouvoir fédéral plus adéquate aux exigences de l'Union », se réunit à Philadelphie en mai 1787, les chefs du mouvement fédéraliste se trouvèrent placés devant deux problèmes. Alors que tout le monde convenait que les pouvoirs de la confédération étaient insuffisants et devaient être renforcés, le souci dominant restait de limiter les pouvoirs du gouvernement en tant que tel, et l'un des motifs, et non des moindres, pour aller en ce sens était la volonté de faire échec aux usurpations de pouvoir des législatures des Etats (34). L'expérience de la première décennie d'indépendance avait déplacé légèrement les préoccupations, et les avait fait passer de la protection contre le gouvernement discrétionnaire à la création d'un seul gouvernement commun efficace. Mais elle avait fourni aussi de nouvelles raisons de suspecter la façon dont les législatures usaient de leur pouvoir. On ne pensait guère que la solution du premier problème fournirait aussi la réponse au second, et que le transfert de certains pouvoirs essentiels à un gouvernement central, alors que les autres restaient confiés aux divers Etats, placerait du même coup des bornes à tout gouvernement. Apparemment, c'est de Madison que vint l'idée que « le problème de créer des garde-fous pour les droits privés, et celui de confier des pouvoirs adéquats au gouvernement national, n'étaient en fin de compte qu'un seul et même problème, dans la mesure où un gouvernement national renforcé pouvait faire contrepoids aux prérogatives exagérées des législatures d'Etats » (35). Ainsi se fit la grande découverte dont Lord Acton disait : « De tous les butoirs opposables à la démocratie, le plus efficace et le plus sympathique fut le fédéralisme... Le système fédéral limite et restreint le pouvoir souverain en le divisant, et en n'assignant au gouvernement que certains droits précis. C'est la seule méthode pour discipliner non seulement la majorité, mais le pouvoir du peuple entier, et cela fournit la plus solide base à une Seconde Chambre, qui s'est avérée la garantie essentielle de la liberté dans toute démocratie authentique » (36).

La raison pour laquelle une division des pouvoirs entre différentes autorités réduit toujours le pouvoir de quiconque en exerce un, n'est pas toujours comprise. Elle n'est pas seulement que les autorités distinctes, par jalousie mutuelle, s'empêcheront l'une l'autre d'excéder leurs compétences. Elle est surtout que certaines formes de coercition nécessitent l'emploi conjoint et coordonné de pouvoirs différents ou de moyens multiples ; et que si ces moyens sont entre diverses mains, personne ne peut exercer ces formes de coercition. L'exemple le plus familier est fourni par les diverses formes de contrôle économique, qui ne peuvent être efficaces que si l'autorité qui les exerce peut aussi contrôler le mouvement des personnes et des biens à travers les frontières de son territoire. Si l'autorité concernée ne peut contrôler ce mouvement, elle ne peut, quand bien même elle a par ailleurs le contrôle des événements à l'intérieur, poursuivre une politique qui requiert l'usage conjoint des deux pouvoirs. Le gouvernement fédéral est ainsi de façon très concrète un gouvernement limité (37).

L'autre aspect essentiel de la Constitution qui doit retenir notre attention est la façon dont elle garantit les droits individuels. Les motifs pour lesquels il fut d'abord décidé de ne pas inclure dans la Constitution une Déclaration des Droits, et les considérations qui finirent par convaincre ceux mêmes qui s'étaient opposés à la décision, sont également significatifs. L'argumentation contre l'inclusion fut explicitement présentée par Alexander Hamilton dans le Federalist : « (Les déclarations des droits sont) sont non seulement inutiles dans la constitution proposée, mais elles seraient même dangereuses. Elles comporteraient diverses exceptions à des pouvoirs qui ne sont pas conférés, et offriraient ainsi un prétexte spécieux à réclamer davantage de pouvoirs qu'il n'en a été conféré. Pourquoi, en effet, déclarer que certaines choses ne doivent pas être faites, si le pouvoir de les faire n'est donné à personne ? Pourquoi dire, par exemple, que la liberté de la presse ne doit pas être restreinte, s'il n'est pas donné de pouvoir permettant d'imposer des restrictions ? Je n'affirme pas qu'une disposition dans ce sens conférerait un pouvoir de réglementation, mais elle fournirait à des gens enclins à usurper, une raison plausible pour réclamer ce pouvoir. Ils pourraient souligner assez logiquement que la constitution n'a pas à se trouver encombrée par l'absurde idée de pourvoir contre l'abus d'une autorité dont personne ne dispose, et que la clause contre la restriction de la liberté de presse a pour implication claire que le droit d'édicter des règlements appropriés à ce sujet puisse être attribué au gouvernement national. Ceci pourrait servir de spécimen aux nombreux leviers qui seraient fournis à la doctrine de pouvoirs constructifs si on cédait à un zèle inconsidéré en faveur des déclarations de droits » (38).

L'objection fondamentale était donc que la Constitution devait viser à protéger des droits individuels beaucoup plus nombreux que ceux qu'un document pourrait énumérer ; et qu'en énumérer quelques-uns serait vraisemblablement interprété comme signifiant que le reste n'est pas protégé (39). L'expérience a montré qu'il y avait de bonnes raisons de craindre qu'aucune déclaration de droits ne puisse énoncer tous les droits compris dans « les principes généraux qui sont communs à nos institutions » (40) et qu'en choisir quelques-uns pouvait sembler signifier que les autres n'étaient pas garantis. Par ailleurs, on a pu voir très vite que la Constitution était obligée de conférer au gouvernement des pouvoirs qu'il pouvait utiliser pour enfreindre des droits individuels mal protégés ; et que dans la mesure où certains de ces droits avaient été déjà mentionnés dans le corps de la Constitution, il pouvait être utile d'annexer à celle-ci un catalogue plus complet. « Une Déclaration des droits », a-t-on dit par la suite, « est importante et peut souvent être indispensable où que ce soit, en ce qu'elle définit les pouvoirs effectivement conférés au gouvernement par le peuple. Telle est la justification de tous les »Bills of rights » dans la mère patrie, comme dans les constitutions et lois des colonies, ou dans les constitutions des Etats » ; et encore : « Une déclaration des droits est une protection importante contre les comportements injustes et oppressifs susceptibles d'émaner du peuple lui-même » (41).

Ce péril, si clairement perçu a l'époque, se trouva conjuré par cette clause restrictive (incluse dans le Neuvième Amendement) stipulant que « l'énumération de certains droits dans cette Constitution ne doit pas être interprétée comme niant ou minimisant d'autres droits conservés par le peuple ». Le sens de cette clause a été par la suite complètement oublié (42).

Nous devons au moins mentionner brièvement un autre trait de la Constitution américaine, de peur qu'il semble que l'admiration sans réserve que les défenseurs de la liberté vouent à la Constitution américaine (43) doive s'étendre aussi à un aspects particuliers, qui passe pour un produit de la même tradition. La doctrine de la séparation des pouvoirs a conduit à la formation d'une république présidentielle dans laquelle le chef de l'Exécutif reçoit son pouvoir directement du peuple et, en conséquence, peut appartenir à un parti autre que celui qui dispose de la majorité dans la législature. Nous verrons plus loin que l'interprétation de la doctrine sur laquelle repose cet arrangement n'est nullement nécessaire à l'objectif que cette interprétation entend servir. Il est difficile de comprendre la raison d'ériger cet obstacle devant l'efficacité de l'Exécutif ; et on peut être d'avis que les autres points forts de la Constitution ne sembleraient que plus appréciables, s'ils n'étaient pas combinés avec cette disposition.

6. Le pourvoi pour inconstitutionnalité

Si nous admettons que le but de la Constitution était en grande partie de freiner les législateurs, il devient évident que des dispositions devaient être prises pour soumettre leurs décisions à des contraintes comparables à celles qui accompagnent les lois ordinaires, c'est-à-dire le recours possible aux tribunaux et cours de justice. Il n'est dès lors pas surprenant qu'un historien avisé estime que « le pourvoi pour inconstitutionnalité (judicial review), loin d'être une invention américaine, est aussi ancien que le droit constitutionnel lui-même, et que sans lui le constitutionnalisme n'aurait jamais pris corps » (44). Etant donné le caractère du mouvement qui avait conduit à envisager une constitution écrite, il peut sembler curieux qu'on n’ait jamais pu mettre en doute la nécessité de tribunaux habilités à déclarer des lois inconstitutionnelles (45). Ce qui est important, de toutes façons, est que, pour plusieurs des rédacteurs de la Constitution, la possibilité de ce pourvoi était évidemment nécessaire, que lorsque l'occasion s'en présenta au cours des discussions qui suivirent l'adoption de la Constitution, ils exposèrent leur opinion de manière assez explicite (46) ; et que très vite une décision de la Cour suprême fit de cette possibilité une « loi du pays ». La procédure avait déjà été appliquée par les tribunaux de divers Etats à l'égard de leurs constitutions respectives (dans certains cas avant même que la Constitution fédérale ait été adoptée) (47), ce bien qu'aucune des constitutions d'Etat ne l'ait formellement établie, et il semblait évident que les tribunaux fédéraux devaient avoir le même pouvoir vis-à-vis de la Constitution fédérale. L'intervention du Chief Justice Marshall dans le procès Marbury contre Madison où le principe est stipulé, est justement célèbre pour la précision avec laquelle elle récapitule les raisons d'être d'une constitution écrite (48).

On a souvent fait remarquer que pendant les cinquante-quatre ans qui ont suivi cette décision, la Cour suprême n'eut pas d'autre occasion d'affirmer son pouvoir. A quoi on peut répondre qu'au cours de cette période, la procédure en question fut fréquemment employée par les tribunaux d'Etat, et que son non-usage par la Cour suprême n'aurait valeur d'argument que si on pouvait montrer qu'elle n'y avait pas recouru dans des cas où elle aurait dû le faire (49). De plus, il est certain que c'est précisément au cours de cette période que l'ensemble de la doctrine constitutionnelle qui est à la base du recours pour inconstitutionnalité s'est développée jusqu'à maturation. Cette période vit la publication de nombreux textes remarquables sur les garanties judiciaires de la liberté individuelle qui méritent une place dans l'histoire de la liberté proche de celle des textes anglais des XVIIe et XVIIIe siècles. Dans un exposé plus exhaustif que celui-ci, les apports de James Wilson, de John Marshall, Joseph Story, James Kent et Daniel Webster seraient dignes d'une attention particulière. La réaction postérieure contre leurs idées a quelque peu masqué la grande influence que cette génération de juristes a eue sur l'évolution de la tradition politique américaine (50).

Nous ne pouvons manquer d'évoquer ici un autre développement de la doctrine constitutionnelle pendant cette période. Il s'agit de la reconnaissance de ce qu'un système fondé sur la séparation des pouvoirs postule une distinction claire entre les lois proprement dites et ces autres décisions du pouvoir législatif qui ne sont pas des règles générales. On trouve dans les débats d'alors des références constantes au concept de « lois générales, formulées par délibération, dans un climat de sérénité, et sans qu'on puisse savoir qui elles concerneraient » (51). Il y est beaucoup question de l'indésirabilité des décisions « spéciales » du législateur par opposition aux décisions « générales » (52), et les jugements des tribunaux soulignaient fréquemment que les lois proprement dites devraient être « des règles publiques générales applicables de manière égale à tous les membres de la communauté en des circonstances similaires » (53). Diverses tentatives furent faites pour incorporer cette distinction dans les constitutions d'Etat (54), jusqu'à ce qu'elle fût considérée comme l'une des limitations capitales imposées à la législation. Tout cela, à quoi s'ajoute la prohibition explicite des lois rétroactives par la Constitution fédérale (prohibition limitée aux lois pénales de façon assez inexplicable par une décision de la Cour suprême à ses débuts) (55), indique comment on entendait que les règles constitutionnelles contrôlent le contenu de la législation.

7. La curieuse histoire de la « due procédure »

Lorsque vers le milieu du siècle, la Cour suprême retrouva une occasion d'affirmer sa compétence pour juger de la constitutionnalité de la législation du Congrès, l'existence de ce pouvoir n'était guère contestée. Le problème était devenu plutôt de préciser la nature des limitations que la Constitution (ou les principes constitutionnels) pouvait imposer au contenu des lois. Pour un temps, les décisions prises invoquèrent sans plus « la nature essentielle de tout gouvernement de liberté » et les « principes fondamentaux de la civilisation ». Mais graduellement, l'idéal de souveraineté populaire gagnant du terrain, ce qu'avaient redouté les adversaires d'une énumération explicite de droits protégés se produisit : il devint de doctrine reconnue que les tribunaux n'avaient pas la faculté de « déclarer nul et non avenu un acte législatif parce qu'à leur avis il serait en contradiction avec un " esprit " censé imprégner la constitution, mais qui ne transparaît pas dans les termes » (56). La signification du Neuvième Amendement était oubliée, et semble l'être restée depuis (57).

Ainsi liés par les dispositions explicites de la Constitution, les juges de la Cour suprême dans la seconde moitié du siècle se trouvèrent dans une situation singulière quand ils rencontrèrent des utilisations du pouvoir législatif qu'à leur avis, la Constitution avait l'intention d'empêcher, mais que le texte de la Constitution ne prohibait pas explicitement. En fait, ils s'étaient auparavant privés d'une arme que le Quatorzième Amendement aurait pu leur fournir. L'interdiction faite aux Etats de « faire ou d'appliquer toute loi qui réduirait les privilèges ou immunités de citoyens des Etats-Unis » avait été, en moins de cinq ans, réduite «à la nullité de fait » par une décision de la Cour (58). La suite de la même clause, selon laquelle « un Etat ne devra ni priver une personne de la vie, de la liberté, ou de sa propriété, sans la due procédure (due process) légale, ni dénier à aucune personne sous sa juridiction l'égale protection des lois », devait néanmoins revêtir une importance imprévue.

La stipulation de « due procédure » de cette clause répète, en faisant référence explicite à la législation d'Etat, ce que le Cinquième Amendement et diverses constitutions d'Etats avaient prescrit de façon semblable. En général, la Cour suprême avait interprété la clause selon ce qui était indubitablement son sens original : « procédure édictée pour l'application de la loi ». Mais dans le dernier quart du siècle, quand, d'une part, la doctrine reçue devint que seule la lettre de la Constitution pouvait fonder la Cour à déclarer une loi inconstitutionnelle, et quand, d'autre part, la Cour se trouva devant des lois de plus en plus fréquemment contraires à la Constitution, elle se raccrocha à n'importe quoi et interpréta ce qui était une règle de procédure comme s'il s'agissait d'une règle de fond. Les clauses de « due procédure » des Cinquième et Quatorzième Amendements étaient les seules dans la Constitution à faire mention de la propriété. Au cours des cinquante années suivantes, elles devinrent donc les bases sur lesquelles la Cour suprême édifia un corps de droit concernant non seulement les libertés individuelles, mais aussi le dirigisme économique gouvernemental, y compris l'utilisation du pouvoir de police et du pouvoir fiscal (59).

Les résultats de ce développement historique étrange, et pour partie accidentel, ne fournissent pas d'enseignements généraux justifiant que nous nous attardions sur les questions complexes qu'ils soulèvent concernant le droit constitutionnel américain. Peu de gens sont satisfaits de la situation qui en a résulté. Investie d'une autorité si imprécise, la Cour a été inévitablement amenée à statuer, non pas sur le fait de savoir si une loi se situait au-delà des pouvoirs spécifiques conférés aux législateurs ou si une législation avait enfreint des principes généraux, écrits ou non écrits, dont on avait confié la protection à la Constitution - mais sur le bien-fondé des objectifs en vue desquels le législateur avait employé ses pouvoirs. Son problème est devenu d'estimer si les objectifs visés étaient « raisonnables » (60), autrement dit si la nécessité invoquée dans le cas concerné était assez importante pour justifier le recours à certains pouvoirs, sans considérer si dans d'autres cas ce recours pouvait se justifier. La Cour a ainsi outrepassé clairement sa propre mission, et s'est attribué abusivement ce qui équivaut à des pouvoirs législatifs. Cela a conduit à des conflits avec l'opinion publique et avec l'Exécutif dont l'autorité de la Cour a indéniablement souffert.

8. La grande crise de 1937

Bien que pour beaucoup d'Américains ce soit de l'histoire récente et encore familière, nous ne pouvons passer complètement sous silence le paroxysme de la lutte entre l'Exécutif et la Cour suprême qui a occupé la scène politique aux Etats-Unis depuis l'époque du premier Roosevelt et la campagne contre la Cour suprême menée par les progressistes conduits par le Sénateur La Follette. Le conflit de 1937, bien qu'il ait amené la Cour à se replier en deçà de ses positions extrêmes, a débouché aussi sur une réaffirmation des principes fondamentaux de la tradition américaine - ce qui revêt une importance durable.

Au moment où la plus sévère dépression économique des temps modernes arrivait à son point culminant, la présidence des Etats-Unis échut à l'une de ces figures extraordinaires auxquelles Walter Bagehot pensait en écrivant : « un homme de génie, à la voix séduisante et aux idées courtes, qui discourt et affirme non seulement que telle amélioration proposée est bonne en elle-même, mais qu'elle est la meilleure chose au monde, et la source maîtresse de toutes les autres bonnes choses... » (61). Profondément certain de savoir mieux que quiconque ce qu'il fallait faire, Franklin D. Roosevelt estimait que c'était la fonction de la démocratie en temps de crise que de donner des pouvoirs illimités à l'homme qui lui inspirait confiance, même si, ce faisant, elle « forgeait de nouveaux instruments de pouvoir qui, dans certaines mains, seraient dangereux » (62).

Il était inévitable qu'une telle attitude, consistant à tenir pour légitime n'importe quel moyen si les objectifs étaient désirables, conduise rapidement à un heurt frontal avec la Cour suprême qui, depuis un demi-siècle, avait pris l'habitude de juger du caractère « raisonnable » de la législation. Et il est probablement exact que lorsqu'elle a pris sa décision la plus sensationnelle, déclarant à l'unanimité inconstitutionnelle la loi créant la NRA - National Recovery Administration (Administration du redressement national), elle épargna au pays une loi mal conçue, et se comporta conformément à ses droits constitutionnels. Mais ensuite, sa faible majorité conservatrice entreprit d'annuler l'une après l'autre - et sur des bases beaucoup plus contestables - les diverses mesures arrêtées par le président, si bien que celui-ci finit par se convaincre que le seul moyen de les faire aboutir était, soit de restreindre les pouvoirs de la Cour suprême, soit d'en modifier la composition. Le conflit trouva son terme dans ce qu'on appela le « Court Packing Bill » (le décret de bourrage de la Cour). La réélection du président à une majorité sans précédent en 1936 renforça suffisamment sa position pour qu'il tente de pousser son avantage par le biais d'un décret spécial, mais elle sembla aussi convaincre la Cour que le programme du président était largement approuvé. La Cour en conséquence renonça à ses positions extrêmes, inversa ses jugements sur plusieurs questions majeures, et cessa d'invoquer la clause de la « due procédure » comme limitation substantielle de la législation. Le président se trouva ainsi privé de ses plus forts arguments contre elle. Et son projet fut complètement refusé par le Sénat où pourtant son parti avait une large majorité ; son prestige en reçut un coup sévère au moment même où sa popularité était à son sommet.

C'est surtout en raison du brillant rapport du Comité juridique du Sénat, réaffirmant le rôle traditionnel de la Cour, que cet épisode apporte une conclusion appropriée à notre rappel de la contribution américaine à l'idéal de liberté dans l'état de Droit. Quelques passages caractéristiques de ce document peuvent être cités ici. Le Comité part du postulat que la préservation du système constitutionnel américain est « incommensurablement plus importante... que l'adoption immédiate de toute loi, si avantageuse qu'elle puisse être ». Il déclare (opter) « pour la continuation et la perpétuation du gouvernement par la loi, en tant que distinct du gouvernement par des hommes ; et en cela nous ne faisons que réaffirmer les principes de base de la Constitution des Etats-Unis ». Et poursuit : « Si la Cour de dernière instance devait être tenue de répondre à un sentiment qui prévaut au moment présent, politiquement imposé, cette Cour deviendrait finalement subordonnée à la pression de l'opinion publique, qui peut en la circonstance épouser la passion d'une foule hostile à des considérations plus posées et plus durables... On ne pourrait trouver dans tous les écrits et actes des grands hommes d'Etat une philosophie du gouvernement libre, plus belle ou plus rigoureuse que celle qu'on trouve dans les décisions de la Cour suprême lorsqu'elle traite des grands problèmes relatifs aux droits de l'homme » (63).

Jamais hommage plus vibrant n'a été rendu par un organe législatif à la Cour qui limite ses pouvoirs. Et nulle personne qui, aux Etats-Unis, a vécu cet événement ne peut douter que cet hommage exprimait les sentiments de la grande majorité de la population (64).

9. Influence du modèle américain

Si incroyablement réussie qu'ait été l'expérimentation du constitutionnalisme en Amérique, - et je n'ai pas connaissance d'une autre constitution écrite qui ait eu une longévité équivalente - elle n'en reste pas moins l'expérimentation d'un mode nouveau d'agencement du pouvoir, et nous ne devons pas la considérer comme contenant toute la sagesse possible en ce domaine. Les traits principaux de la Constitution américaine se sont cristallisés à un stade si précoce de la compréhension de ce que signifie une constitution, et on a si peu recouru au pouvoir d'amendement pour incorporer dans le document écrit les leçons apprises, qu'à certains égards ses parties non écrites sont plus instructives que son texte. Pour nos objectifs dans ce livre, les principes généraux qui en sont la charpente sont de toutes façons plus importants que ses aspects particuliers.

Le point capital est qu'il a été établi aux Etats-Unis que le législateur est lié par des règles générales ; qu'il doit traiter les problèmes particuliers de telle sorte que le principe sous-jacent puisse être appliqué dans d'autres cas, et que s'il enfreint un principe jusqu'alors observé, il doit, même si le principe n'a jamais été formulé, reconnaître l'infraction et se plier à une procédure complexe afin de vérifier si les convictions fondamentales du peuple ont réellement changé. Le pourvoi pour inconstitutionnalité n'est pas un obstacle absolu au changement, et le pis qu'il puisse faire est de ralentir le processus et d'obliger l'organe constituant soit à répudier, soit à réaffirmer le principe en cause.

La pratique qui consiste à restreindre par des principes généraux la poursuite d'objectifs immédiats par le gouvernement est en partie une précaution contre les glissements ; à cette fin, le pourvoi pour inconstitutionnalité requiert pour complément l'usage normal de quelque chose comme un référendum, ou un appel au peuple dans son ensemble, afin de décider ce qui servira de principe général. De plus, un gouvernement qui ne peut appliquer de coercition envers le citoyen qu'en conformité avec des règles générales préétablies, et non pour des buts spécifiques à court terme, ne peut aller de pair avec n'importe quel ordre économique ; si la coercition n'est utilisable que selon des règles générales, le gouvernement ne peut tenter d'entreprendre certaines taches. C'est pourquoi il est vrai « que, reconduit à son essence, le libéralisme est le constitutionnalisme, un gouvernement de lois, non d'hommes » (65) - si par « libéralisme », bien sûr, on entend ce que ce nom signifiait encore aux Etats-Unis lors de l'affrontement de 1937, où le libéralisme des défenseurs de la Cour suprême fut attaqué en tant que « doctrine minoritaire » (66). En ce sens, les Américains ont été capables de défendre leur liberté en défendant leur Constitution.

Nous allons voir maintenant comment sur le Continent européen au début du XIXe siècle, le mouvement libéral inspiré de l'exemple américain en vint à considérer comme son but essentiel l'établissement du constitutionnalisme et de l'Etat de Droit.


Notes

La citation placée en tête du chapitre est prise dans Lord ACTON, History of Fredom, p. 55.

(1) E. MIMMS Jr, The Majority of the People, New York, 1941, p. 7L

(2) E. Burke, « Speech on Conciliation with America » (1775), dans Works, III, 49. L'influence prépondérante des idéaux anglais sur la Révolution américaine paraît étonner davantage l'érudit européen, que les historiens américains contemporains.- Cf. en particulier O. VOSSLER, Die amerikanischen Revolutionsideale in ihrem Verhaltnis zu den europaischen (supplément n. 17 à la Historische Zeitschrift, Munich, 1929.- Mais voir aussi C. H. McILWAIN, The American Revolution, New York, 1923, spécialement p. 156-60 et 183-91.

(3) Voir par exemple la réponse faite par le législateur du Massachusetts au gouverneur Bernard en 1769 (citée par A. C. McLAUCHLIN, A Constitutional History of the United States, New York, 1935, p. 67, d'après les Massachusetts State Papers, p. 172-73) dans laquelle il est exposé qu'« Aucun temps ne peut être mieux utilisé qu'à oeuvrer à la préservation des droits découlant de la constitution britannique, et à insister sur des points que, même si Votre Excellence les considère comme non essentiels, nous estimons être leurs meilleurs remparts. Aucun trésor ne peut être mieux dépensé, qu'à garantir cette ancienne et vraie liberté anglaise, qui donne de la saveur à tous les autres plaisirs ».

(4) Cf. Arthur LEE, The Political Detection... Letters signed Junius Americanus, Londres, 1770, p. 73 : « En principe, cette dispute est essentiellement la même qui, au siècle dernier persista entre le peuple de ce pays et le roi Charles Ier... Le Roi et les Communes peuvent différer par le nom, mais un pouvoir illimité les rend en fait identiques, sauf qu'il est infiniment plus redoutable entre plusieurs qu'en un seul » et E. BURKE, « An Appeal from the New to the Old Whigs » (1791), dans Works, VI, 123, où il dit que les Américains, au moment de leur Révolution « se trouvent, vis-à-vis de l'Angleterre, dans la même relation que l'Angleterre vis-à-vis du Roi Jacques II en 1688 ».- Sur l'ensemble de cette question, voir G. H. GUTTRIDGE, English Whiggism and the American Revolution, Berkeley, University of California Press, 1942.

(5) Lord ACTON, Lectures on Modem History, Londres, 1906, p. 218.

(6) Voir C. ROSSITER, Seedtime of the Republic, New York, 1953, p. 360, où il cite (d'après le Newport Mercury du 19 mai 1766) un toast porté par « Un Fils de Liberté du Bristol County, Massachusetts » : « Notre devise est : Magna Charta, the British constitution, PITT and Liberty for ever ! ».

(7) ACTON, Hist. of Freedom, p. 578.

(8) Un récapitulatif bref mais excellent de l'influence de ces idées se trouve dans R. A. HUMPHREYS, « The Rule of Law and the American Revolution » : Law Quarterly Review, volume LIII, 1937.- Voir aussi J. WALTER JONES, « Acquired and Guaranteed Rights », dans Cambridge Legal Essays, Cambridge, Cambridge University Press, 1926.- C. F. MULLETT, Fundamental Law and the American Revolution, 1760-1776, Columbia University Thesis, New York, 1933 et A. M. BALDWIN, The New England Clergy and the American Revolution, Durham, NC, Duke University Press, 1928.- Cf. aussi la remarque de Lord ACTON, Hist. of Freedom, p. 56, selon laquelle les Américains « firent davantage ; car ayant soumis toutes les autorités civiles à la volonté du peuple, ils entourèrent la volonté populaire de restrictions que le législateur anglais n'aurait pas supporté ».

(9) L'expression « fixed constitution » constamment employée par James Otis et Samuel Adams provient apparemment de A. DE VATTELL, Law of Nations, Londres, 1767, livre I, chap. 3, sect. 34. L'exposé le plus connu des conceptions étudiées dans le texte se trouve dans la « Massachusetts Circular Letter » du 11 février 1768 (cité dans W. MacDONALD, Documentary Source Book of American History, New York, 1929, p. 146-50) dont le paragraphe le plus important est celui-ci : « La Chambre a humblement présenté au ministère les sentiments de ses membres : que la Haute Cour du Parlement de Sa Majesté est le pouvoir législatif suprême pour tout l'empire ; que dans tous les Etats libres la constitution est fixe, et que, comme le suprême législateur dérive ses pouvoir et autorité de la constitution, il ne peut outrepasser les liens de celle-ci, sans détruire ses propres fondements ; que la constitution certifie et limite à la fois la souveraineté et l'allégeance, et qu'en conséquence, les sujets américains de Sa Majesté, qui se reconnaissent liés par les liens de l'allégeance, ont équitablement titre à l'entière jouissance des règles fondamentales de la Constitution britannique, et que c'est un droit essentiel, inaltérable, par nature inclus dans la Constitution britannique en tant que loi fondamentale et toujours tenu pour sacré et irrévocable par les sujets du royaume, que ce qu'un homme a honnêtement acquis est absolument sien, qu'il peut le donner mais qu'on ne peut le lui ôter sans son consentement ; que par conséquent les sujets américains peuvent, indépendamment de toute considération de charte de droits, avec une fermeté décente appropriée au caractère d'hommes libres et de sujets, affirmer ce droit naturel et constitutionnel ».

(10) L'expression la plus usitée était « limited constitution », forme dans laquelle avait été insérée l'idée d'une constitution limitant les pouvoirs du gouvernement. Voir spécialement le Federalist, n. LXXVIII, Ad. M. Beloff, Oxford,1948, p. 397, où Alexandre HAMILTON donne la définition que voici : « Par constitution limitée, je veux dire qu'elle contient certaines exceptions spécifiées à l'autorité législative ; telles, par exemple, qu'elle ne prononcera pas de décret de mort civile et confiscation, pas de loi rétroactive, etc. Des limitations de ce genre ne peuvent être assurées en pratique que par les tribunaux ; le devoir de ceux-ci est de déclarer nuls tous les actes contraires à la teneur manifeste de la constitution. Sans quoi, toutes les réservations de droits ou privilèges seraient sans effet aucun ».

(11) Cf. J. WALTER JONES, op. cit., p. 229 et s. : «A l'époque de la dispute avec la métropole, les colons étaient par conséquent bien informés de deux idées plus ou moins étrangères au courant général de la pensée juridique anglaise - la doctrine des droits de l'homme, et la possibilité (voire la nécessité - car ils étaient désormais en lutte contre un Parlement) de limiter le pouvoir législatif par une constitution écrite ».

Pour toute l'analyse qui suit, je me suis beaucoup inspiré de deux auteurs américains, C. H. McILWAIN et E. S. CORWIN, dont je préfère énumérer ici les ouvrages principaux, plutôt que de multiplier les références ponctuelles :

C. H. McILWAIN, The High Court of Parliament and Its Supremacy, New Haven, Yale University Press, 1910 ; The American Revolution, New York, 1923 ; « The English Common Law Barrier against Absolutism » : American Historical Review, volume XLIX, 1943-44 ; Constitutionalism and the Changing World, Cambridge, Cambridge University Press, 1939 ; Constitutionalism, Ancient and Modern, éd. rev., Ithaca, NY, Cornell University Press, 1947.

E. S. CORWIN, The Doctrine of Judicial Review, Princeton, Princeton University Press, 1914 ; The Constitution and What It Means Today, Princeton, Princeton University Press, 1920, nouvelle édition, 1954 ; « The Progress of Constitutional Theory between the Declaration of Independence and the Meeting of the Philadelphia Convention » : American Historical Review, volume XXX, 1924-25 ; « Judicial Review in Action » : University of Pennsylvania Law Review, volume LXXIV, 1925-26 ; « The " Higher Law " Background of American Constitutional Law » : Harvard Law Review, volume XLII, 1929, réimprimé dans les « Great Seal Books », Ithaca, NY, Cornell University Press, 1955 ; Liberty against Government, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1948 et son édition de The Constitution of the United States of America : Analysis and Interpretation, Washington, Government Printing Office, 1953. Plusieurs des articles cités et quelques-uns qui le seront encore, sont rassemblés dans Selected Essays on Constitutional Law, Committee of the Association of American Law Schools, volume I, Chicago, 1938.

(12) Cf. HUMPHREYS, op. cit., p. 90 : « La définition même de la liberté était la possibilité d'échapper à la domination arbitraire ». C'était la définition même de la liberté, qu'être exempt de domination arbitraire.

(13) Sur le caractère dérivé du pouvoir de toute assemblée représentative dans le processus d'élaboration d'une Constitution, voir particulièrement McLAUGHLIN, op. cit., p. 109.

(14) Voir ci-dessus, chap. IV, sect. 8 et chap. VII, sect. 6 et sur l'ensemble, cf. HUME, Treatise, II, 300-304.

(15) Voir John LILBURNE, Legal Fundamental Liberties of 1649 (partiellement repris dans Puritanism and Liberty, Ad. A. S. P. Woodhouse, Chicago, University of Chicago Press, 1951, p. 344), où, prévoyant l'organisation de ce que nous appellerions une assemblée constituante, il stipulait explicitement que « ces personnes ne devraient pas exercer un pouvoir législatif, mais seulement dessiner les fondations d'un juste gouvernement, et les proposer aux personnes compétentes dans chaque pays, pour les faire agréer. Lequel agrément devrait être au-dessus de la loi, et par conséquent, les obligations, limitations et étendue des missions envers l'instance législative du parlement, contenues dans l'Agrément, devraient être rédigées sous la forme d'un contrat qui serait mutuellement signé ». Importante aussi à cet égard est la résolution issue de la réunion municipale de Concord, Massachusetts, le 21 octobre 1776 (réimprimée dans S. E. MORISON, Sources and Documents Illustrating the American Revolution, Oxford, Oxford University Press, 1923, p. 177) qui déclarait que l'assemblée législative n'était pas l'assemblée appropriée pour élaborer une Constitution, « d'abord parce nous pensons qu'une Constitution, au sens propre du terme, signifie un système de principes établis pour garantir le sujet dans la possession de ses droits et privilèges, contre tout empiétement de ceux qui gouvernent. Deuxièmement, parce que le corps qui établit une Constitution a logiquement le pouvoir de la changer. Troisièmement, parce qu'une Constitution modifiable par le législateur suprême n'offre pas de sécurité au sujet contre les empiétements de la branche gouvernementale sur l'un quelconque ou sur tous ses droits et privilèges ». Ce fut à l'évidence le souhait général d'empêcher que l'autorité ultime intervienne dans les affaires des particuliers et non l'impraticabilité de celle-ci, qui poussa les pères de la Constitution américaine à rejeter unanimement la démocratie directe telle qu'elle avait existé dans la Grèce antique.

(16) D. HUME, Treatise, Il, 300 et ibid. , p. 303.

(17) Voir ci-dessus, chap XI, spécialement notes (4) et (6).

(18) Sur l'idée de légitimité, voir G. FERRERO, The Principles of Power, Londres, 1942.

(19) Cela n'est pas vrai du concept originaire de souveraineté introduit par Jean BODIN.- Cf. C. H. McILWAIN, Constitutionalism and the Changing World, chap. II.

(20) Comme l'ont souligné D. HUME et une longue lignée de théoriciens jusqu'à F. WIESER qui a élaboré l'idée de façon très complète dans Das Gesetz der Macht, Vienne, 1926.

(21) Voir Roscoe POUND, The Development of Constitutional Guarantees of Liberty, New Haven, Yale University Press, 1957. Il existe de nombreux textes en langue allemande sur l'origine des déclarations de droits. On peut citer ici G. JELLINEK, Die Erklarung der Menschenund Burgerrechte, 3e éd., Munich, 1919, Ad. W. Jellinek (qui contient une approche des débats tels qu'ils se sont déroulés depuis la première publication de l'ouvrage en 1895).- J. HASHAGEN, « Zur Entstehungsgeschichte der nordamerikanischen Erklarungen der Menschenrechte » : Zeitschrift fur die gesamte Staatswissenschaft, volume LXXVIII, 1924.- G. A. SALANDER, Vom Werden der Menschenrechte, Leipzig, 1926 et O. VOSSLER, « Studien zur Erklarung der Menschenrechte » : Historische Zeitschrift, volume CXLII, 1930.

(22) W. C. WEBSTER, «A Comparative Study of the State Constitutions of the American Revolution » : Annals of the American Academy of Political and Social Science, IX, 1897, 415.

(23) Ibid., p. 418.

(24) Constitution of Massachusetts (1780), première partie, art. XXX. Bien que cette clause n'apparaisse pas encore dans le projet original de John ADAMS, elle est inspirée par la même façon de penser.

(25) Pour une analyse de cette relation, voir les ouvrages cités dans la note (20) ci-dessus.

(26) Cf. WEBSTER, op. cit., p. 386 : « Chacun de ces documents déclarait que nul ne devait être privé de sa liberté sauf par la loi ou le jugement de ses pairs ; que quiconque, lorsqu'il était poursuivi en justice, devait avoir droit à une copie de la mise en accusation le concernant, de même qu'à se procurer conseil et témoignages ; et que personne ne devait être obligé de déposer contre soi-même. Tous maintenaient soigneusement le droit de procès par jury, garantissaient la liberté de presse et des élections libres, interdisaient les mandats généraux et les armées permanentes en temps de paix, prohibaient l'attribution de titres de noblesse, d'honneurs héréditaires et de privilèges exclusifs. Tous ces documents, excepté ceux de Virginie et du Maryland, garantissaient les droits de réunion, de pétition et de consignes aux représentants. Tous, sauf ceux du Vermont et de Pennsylvanie interdisaient l'exigence de cautions excessives, la condamnation à des amendes excessives, à des chatiments inhabituels, la suspension des lois par des autorités autres que le législatif, et l'imposition fiscale sans représentation ».

(27) Constitution de Caroline du Nord, art. XXIII.- Cf. Constitution du Maryland, « Déclaration des droits », art. 41 : « Que les monopoles sont détestables, contraires à l'esprit du libre gouvernement et des principes de commerce, et ne devraient pas être tolérés ».

(28) Voir spécialement la Constitution du Massachusetts, première partie, « Déclaration des droits », art. XXX : « Dans le gouvernement de cette république, le département législatif ne devra jamais exercer les pouvoirs exécutif et judiciaire, ni l'un des deux ; l'exécutif ne devra jamais exercer les pouvoirs législatif et judiciaire, ni l'un des deux ;... ce afin qu'il puisse y avoir un gouvernement par les lois, et non par les hommes ».

(29) Constitution du Massachusetts, art. XXIV.

(30) Cette phrase figure d'abord dans le projet de Déclaration des droits de Virginie rédigé en mai 1766 par George MASON (voir K. M. ROWLAND, The Life of George Mason, New York, 1892, p. 435 et s.), puis dans la section 15 de la déclaration telle qu'elle fut adoptée. Voir aussi la Constitution du New Hampshire, art. XXXVIII et celle du Vermont, art. XVIII. (Comme il semble n'exister aucune collection des constitutions en vigueur en 1787, j'utilise The Constitutions of All the United States, Lexington, Ky, 1817, qui ne donne pas toujours les dates d'impression des textes. En conséquence, quelques-unes des références indiquées dans cette note et les suivantes, peuvent se rapporter à des amendements postérieurs à la Constitution fédérale). Sur l'origine de la clause, voir le livre annoncé de G. STOURZH, The Pursuit of Greatness.

(31) WEBSTER, op. cil., p. 398.

(32) Cf. J. MADISON, à la fin du Federalist, n. XLVIII : « Une simple démarcation sur parchemin des limites constitutionnelles séparant les divers départements, n'est pas une protection suffisante contre des empiétements qui conduiraient à une concentration tyrannique de tous les pouvoirs de gouvernement dans les mêmes mains ».

(33) On rapporte (M. OAKESHOTT, « Rationalism in Politics » : Cambridge Journal, I,t, 1947, 151) que John JAY disait en 1777 : « Les Américains sont le premier peuple auquel le Ciel ait fourni l'occasion de choisir par délibération les formes de gouvernement sous lesquelles ils entendent vivre. Toutes les autres Constitutions ont tiré leur existence de la violence ou de circonstances accidentelles, et sont donc probablement plus éloignées de leur perfection ». Ce à quoi on peut comparer l'éloquente déclaration de John DICKINSON à la Convention de Philadelphie (M. FARRAND Ed., The Records of the Federal Convention of 1787, édition révisée, New Haven, Yale University Press, 1937, en date du 13 août, Il, 278) « L'expérience doit être notre seul guide. La raison peut nous égarer. Ce ne fut pas la Raison qui découvrit le singulier et admirable mécanisme de la Constitution britannique. Ce ne fut pas la Raison qui inventa... le bizarre et - aux yeux de ceux qui sont gouvernés par la raison - absurde système du procès devant jury. Des hasards, probablement, ont provoqué ces découvertes, et l'expérience leur a donné sa sanction. C'est donc elle notre guide ».

(34) James MADISON, à la Convention de Philadelphie fit observer que les objectifs essentiels du gouvernement de la nation étaient « la nécessité de procurer plus efficacement la sécurité des droits privés et l'administration régulière de la justice. Les obstacles sur ces plans furent sans aucun doute les maux qui, plus que toute autre chose, ont provoqué la réunion de cette Convention » (Records of the Federal Constitution, I, 133).- Voir aussi le célèbre passage des Notes on the State of Virginia de Thomas JEFFERSON, cité par MADISON dans le Federalist, n. XLVIII, p. 254: « Tous les pouvoirs du gouvernement, législatif, exécutif et judiciaire, aboutissent à l'Assemblée législative. Leur concentration dans les mêmes mains, c'est précisément la définition du gouvernement despotique. Ce mal ne sera pas atténué s'ils sont exercés par une pluralité de mains plutôt que par une seule. Cent soixante-treize despotes seront vraisemblablement plus oppressifs qu'un seul. Que ceux qui en doutent considèrent la république de Venise. Il nous sera tout aussi peu avantageux de les choisir par nous-mêmes. Le despotisme électif n'est pas le but pour lequel nous avons combattu ; nous avons combattu pour un gouvernement qui serait fondé sur des principes de liberté, mais aussi et surtout pour un gouvernement dans lequel les pouvoirs d'agir seraient si divisés et équilibrés entre différents corps de magistratures, qu'aucun de ceux-ci ne pourrait franchir ses limites légales sans se trouver effectivement arrêté ou restreint par les autres... (Les branches autres que législative) ont ainsi en plusieurs occasions pris des décisions de droit qui auraient dû être laissés à la controverse judiciaire ; et la direction par l'exécutif, pendant tout la durée de sa session, est devenue habituelle et familière ». La conclusion de R. E. HUMPHREY (op. cit., p. 98) est donc la bonne, même concernant Jefferson, l'idole des démocrates doctrinaires par la suite : « Telle était la République que les auteurs de la Constitution fédérale ont voulu construire. Ils n'entendaient pas faire que l'Amérique soit sans danger pour la démocratie, mais que la démocratie soit sans danger pour l'Amérique. Du Lord Chief Justice Coke à la Cour suprême des Etats-Unis, la route est longue, mais claire. L'Etat de droit, que le XVIIe siècle a placé plus haut que Roi et Parlement, que les Puritains ont exalté en matière tant civile qu'ecclésiastique, que les philosophes ont vu comme le principe gouvernant l'univers, et que les colons ont invoqué contre l'absolutisme du Parlement, devenait désormais le principe essentiel de la fédération ».

(35) E. S. CORWIN, American Historical Review, XXX, 1925, 536 ; le passage continue de la façon suivante : « Il restait à la Convention constitutionnelle, tout en adoptant l'idée principale de Madison, à appliquer celle-ci au moyen de la procédure de judicial review (pourvoi pour inconstitutionnalité). Et on ne peut douter que cette détermination fut appuyée par une compréhension croissante au sein de la Convention, de l'idée de judicial review ».

(36) Lord ACTON, Hist. of Freedom, p. 98.

(37) Cf. mon Essai sur « The Aconomic Conditions of Inter-State Federalism » : New Commonwealth Quarterly, volume V, 1939, repris dans mon Individualism and Economic Order, Londres et Chicago, 1948.

(38) Federalist, n. LXXXIV, Ed. Beloff, p. 439 et s.

(39) Un exposé de cette conception plus clair encore que le passage de Hamilton cité dans le texte, a été fait par James WILSON au cours du débat sur la Constitution à la Convention de Pennsylvanie (The Debates in the Several State Conventions, on the Adoption of the Federal Constitution, Ed. J. Elliot, Philadelphie et Washington, 1863, Il, 436) : WILSON disait qu'un « Bill of rights » serait très imprudent, car « dans toute société il y a nombre de pouvoirs et de droits qui ne peuvent être énumérés de manière spécifique. Une déclaration de droits annexée à une constitution est une énumération des pouvoirs non délégués. Si nous entreprenons une énumération, tout ce qui n'est pas énuméré est présumé délégué ». James MADISON, toutefois, semble avoir eu dès le départ la position qui a finalement prévalu. Dans une lettre importante à Jefferson, datée du 17 octobre 1788 (citée ici d'après The Complete Madison, Ad. S. K. Padover, New York, 1953, p. 253), trop longue pour être reproduite ici in extenso, il écrivait : « Mon opinion a toujours été en faveur d'une déclaration des droits ; à condition qu'elle soit construite de telle sorte qu'elle ne suppose pas des pouvoirs sur ce qui n'est pas inclus dans l'énumération... L'invasion de droits privés est ce qui est principalement à craindre, non pas du fait d'actes de gouvernement contraires aux intentions des constituants, mais du fait d'actes où le gouvernement n'est que le simple instrument d'une majorité de constituants. Cela est une vérité de grande importance, mais insuffisamment examinée encore... Quelle utilité, pourra-t-on demander alors, peut avoir une déclaration des droits dans un gouvernement populaire ?... Les vérités politiques déclarées avec cette solennité acquièrent par degrés le caractère de maximes fondamentales du libre gouvernement, et lorsqu'elles s'incorporent dans le sentiment national, elles amortissent les impulsions nées de l'intérêt et de la passion... ».

(40) John MARSHALL dans Fletcher v. Peck, 10 US (6 Cranch), 48, 1810.

(41) Joseph STORY, Commentaries on the Constitution, Boston, 1833, III, 718-20.

(42) Cf. L. W. DUNBAR, « James Madison and the Ninth Amendment » : Virginia Law Review, volume XLII, 1956. Il est significatif que l'un des meilleurs spécialistes de la Constitution américaine cite incorrectement dans un essai bien connu (E. S. CORWIN, « The Higher Law Background, etc. »., réimpression 1955, p. 5) le texte du neuvième amendement et que la citation n'ait pas été corrigée vingt-cinq ans plus tard lors de la réimpression du texte, apparemment parce que personne ne s'est aperçu de la substitution d'une phrase de six mots, à la phrase de onze mots figurant dans le texte authentique !

(43) Cette admiration était largement partagée par des libéraux du XIXe siècle tels que W. E. GLADSTONE, qui qualifia un jour la Constitution américaine d'« ouvrage le plus admirable jamais accompli hors des sentiers battus d'une époque, par le cerveau et la volonté des hommes ».

(44) C. H. McILWAIN, Constitutionalism and the Changing World, p. 278.- Cf. E. S. CORWIN, « The Basic Doctrine of American Constitutional Law », 1914, repris dans Selected Essays on Constitutional Law, I, 105 : « L'histoire de la judicial review est, en d'autres termes l'histoire des limitations constitutionnelles ».- Voir aussi G. DIETZE, « America and Europe - Decline et Emergence of Judicial Review » : Virginia Law Review, volume XLIV.

(45) Tous les arguments à l'appui du refus ont récemment été réfutés en détail par W. W. CROSSKEY, Politics and the Constitution in the History of the United States, Chicago, Chicago University Press, 1953.

(46) Voir principalement Alexander HAMILTON dans le Federalist, n. LXXVIII, p. 399 : « Chaque fois qu'une loi particulière contrevient à la constitution, il est du devoir des tribunaux judiciaires d'adhérer à la seconde et de ne pas tenir compte de la première » ; ainsi que James MADISON, Debates and Proceedings in the Congress, I, Washington, 1834, 439, où il déclare que « les tribunaux doivent se considérer tout particulièrement comme les gardiens de ces droits ; ils seront le rempart infranchissable contre toute usurpation de pouvoir dans le législatif et l'exécutif ; ils seront naturellement amenés à résister à tout empiétement sur les droits expressément stipulés par la Constitution dans la Déclaration des droits » ; et aussi ce qu'il écrit à George Thompson, le 30 juin 1825 (cité dans The Complete Madison, Ad. S. K. Padover, p. 344) : « Aucune doctrine ne peut être saine qui dispense un législateur du contrôle d'une constitution. Celle-ci est tout autant une loi pour le législateur que les décisions du législateur le sont pour les actes de l'individu ; et bien que les règles en question puissent toujours être modifiées par ceux qui les ont édictées, elles ne peuvent l'être par d'autres autorités ; et sûrement pas, par les personnes qui ont été choisies par le peuple pour faire exécuter les règles. C'est là un principe si vital, et qui a fait si justement la fierté de notre gouvernement populaire, que son déni ne peut ni durer longtemps ni s'étendre loin ». Voir aussi les conceptions exprimées par le sénateur MASON et le gouverneur MORRIS dans les débats au Congrès concernant l'abrogation de la loi de 1801 sur l'organisation judiciaire, conceptions citées dans McLAUGHLIN, op. cit., p. 291.- Voir enfin les conférences de James WILSON prononcées à l'Université de Pennsylvanie en 1792 (Works, Ed. J. D. Andrews, Chicago, 1896, 1, 416-17), où il présente le pourvoi pour inconstitutionnalité (judicial review) comme « le résultat nécessaire de la répartition du pouvoir faite par la constitution, entre le législatif et le judiciaire ».

(47) Même une analyse critique récente, celle de CROSSKEY, op. cit., II, 943, résume la situation en disant que « diverses données montrent que la notion fondamentale de judicial review rencontrait une certaine adhésion en Amérique pendant la période coloniale ».

(48) Marbury v. Madison, 5 US (1 Cranch), 137, 1803 ; voici quelques passages de cette décision mémorable : « Le Gouvernement des Etats-Unis a été solennellement qualifié de gouvernement par les lois, et non par les hommes. Il cessera sans doute de mériter cette haute appellation si les lois ne fournissent aucun remède à une violation d'un droit légalement acquis... La question de savoir si une décision législative contraire à la Constitution, peut devenir une loi du pays, intéresse profondément les Etats-Unis, mais dont fort heureusement la complexité n'est pas aussi grande que l'intérêt. Il semble seulement nécessaire de reconnaître certains principes censés être fermement établis depuis longtemps pour trancher... Les pouvoirs du législateur sont définis et limités ; et pour que ces limites ne soient pas méconnues ou oubliées, la constitution a été mise par écrit. A quoi servirait-il que des pouvoirs soient limités, et à quoi servirait-il que ces limitations soient consignées par écrit, si ces barrières pouvaient à tout moment être franchies par ceux qu'elles devaient arrêter ? La différence entre gouvernements à pouvoir limité et gouvernements à pouvoir illimité est abolie si ces limites n'enferment pas ceux à qui on les destine, et si les décisions prohibées et les décisions autorisées sont également exécutoires... Il est catégoriquement du domaine et du devoir de l'autorité judiciaire de dire ce qu'est la loi. Ceux qui appliquent la règle à des cas particuliers doivent absolument exposer et interpréter la règle. Si deux lois sont en conflit l'une avec l'autre, les tribunaux doivent décider de l'effet de chacune ».

(49) Cf. R. H. JACKSON, The Struggle for Judicial Supremacy, New York, 1941, p. 36-37 où il suggère que « cela peut avoir été le résultat non seulement de l'abstention du judiciaire, mais aussi du fait qu'il y avait peu de lois émanant du Congrès susceptibles de heurter la mentalité conservatrice. Laissez faire, jusqu'à un certain point, était la philosophie du législateur, aussi bien que de la Cour. C'est en partie ce fait qui a masqué les potentialités de Marbury v. Madison, et plus encore de Dred Scott ».

(50) Sur la grande influence de la pensée juridique parmi les hommes politiques américains de cette époque, voir particulièrement Tocqueville, Democracy, I, chap. XVI, 272-80. Peu de faits sont aussi caractéristiques du changement d'atmosphère que la baisse de la réputation d'hommes comme Daniel WEBSTER, dont les exposés concrets de théorie constitutionnelle étaient jadis considérés comme des classiques, mais sont maintenant largement ignorés. Voir particulièrement ses arguments dans l'affaire Darmouth et dans Luther v. Borden, in Writings and Speeches of Daniel Webster (national edition, volumes X et XI, Boston, 1903, spécialement X, 219: « Par loi du pays, on entend la loi générale, la loi qui écoute avant de condamner, qui procède par enquête, et ne rend de jugement qu'après audience contradictoire. Le sens est que tout citoyen verra sa vie, sa liberté et sa propriété placées sous la protection de règles générales qui régissent la société. Tout ce qui peut être promulgué sous forme de loi n'est donc pas considéré comme loi du pays ». Egalement ibid., X, 232, où il souligne que le peuple « a fort sagement choisi de prendre le risque des inconvénients occasionnels causés par l'insuffisance de pouvoir afin qu'il puisse y avoir des bornes fixes à l'exercice de celui-ci, et une sécurité permanente contre ses abus ». Voir aussi, ibid., XI, 224: « J'ai dit que c'est un principe du système américain, que les gens limitent leurs gouvernements, celui de la nation et celui de l'état. Ils le font, mais c'est un autre principe, également vrai, certain, et suivant ma façon de voir les choses, également important, que les gens souvent se limitent eux-mêmes. Ils mettent des bornes à leur propre pouvoir. Ils ont choisi de garantir les institutions qu'ils ont établies contre les impulsions soudaines de simples majorités. Toutes nos institutions foisonnent de tels exemples. Ce fut leur grand principe conservateur que, en constituant les organes de gouvernement, de tout faire pour assurer leur oeuvre contre des changements hâtifs demandés par de simples majorités ».

(51) Ex parte Bollman, 8 U9, S (4 Cranch), 75, p. 46, 1807.

(52) Voir E. S. CORWIN, « The Basic Doctrine, etc. », p. 111, comme cité plus haut en note (45).

(53) Ibid., p. 112.

(54) Voir les Constitutions d'Arkansas, V, 25 ; Georgie, I, iv, 1 ; Kansas, Il, 17 ; Michigan, VI, 30 et Ohio, II, 25 ; et pour l'analyse de ce caractère, voir H. VON MANGOLDT, Rechtsstaatsgedanke und Regierungsformen in den Vereinigten Staaten von Amerika, Assen, 1938, p. 315-18.

(55) Calder v. Bull, 3 U.S. (3 Dall) 386, 388, 1798.- Cf. Corwin, « The Basic Doctrine etc. », p. 102-11.

(56) T M. COOLEY, A Treatise on the Constitutional Limitations, etc., ire éd., Boston, 1868, p. 173.

(57) Cf. R. H. JACKSON, The Supreme Court in the American System of Government, Cambridge, Harvard University Press, 1955, p. 74.

(58) « L'affaire de l'abattoir », 83 US (16 Wallace), 36, 1873.- Cf. Corwin, Liberty against Government, p. 122.

(59) Dans l'édition standard annotée par E. S. Corwin de la Constitution des Etats-Unis, sur les 1 237 pages, 215 sont consacrées à la jurisprudence touchant au quatorzième amendement, 136 seulement à la « clause de commerce » !

(60) Cf. le commentaire dans E. FREUND, Standards of American Legislation, Chicago, Chicago University Press, 1917, p. 208 : « Le seul critère suggéré est celui du " caractère raisonnable ". Du point de vue de la science du droit, il est difficile d'imaginer quelque chose de moins satisfaisant ».

(61) W. BAGEHOT, « The Metaphysical Basis of Toleration » (1875), dans Works, VI, 232.

(62) Cité par Dorothy THOMPSON, Essentials of Democracy, I (premier de trois « Town Hall Pamphlets », publiés sous ce titre), New York, 1938, p. 21.

(63) Reorganization of the Federal Judiciary : Adverse Report from the (Senate) Committee on the Judiciary Submitted to Accompany S, 1392, 75e Congrès, première session, Senate Rept., n. 711, 7 juin 1937, p. 8, 15 et 20.- Cf. aussi p. 19: « Les Cours ne sont pas parfaites, les juges non plus. Le Congrès n'est pas parfait, les Sénateurs et les Représentants non plus. L'Exécutif n'est pas parfait. Ces branches du pouvoir et les administrations sous leurs ordres sont peuplées d'êtres humains qui, pour la plupart, s'efforcent de vivre selon la dignité et l'idéalisme d'un système qui a été conçu pour réaliser le maximum possible de justice et de liberté pour le peuple. Nous détruirons le système si nous le rabaissons au niveau inévitablement imparfait de ses exécutants. Nous renforcerons le système et nous-mêmes, nous affermissons la justice et la liberté pour tous lorsque, avec patience et modération, nous le maintenons au niveau élevé voulu par ceux qui l'ont conçu.

« Les difficultés, et même les retards occasionnés pour la confection de la loi ne sont pas un prix trop élevé pour notre système. La démocratie constitutionnelle progresse grâce à la certitude plutôt qu'à la vitesse. La sûreté et la continuité de la marche de notre civilisation vers le progrès sont beaucoup plus importantes pour nous et pour ceux qui viendront après nous, que l'adoption aujourd'hui d'une loi quelle qu'elle soit. La Constitution des Etats-Unis fournit d'amples possibilités à l'expression de la volonté populaire de faire aboutir telles réformes et tels changements que les gens peuvent trouver essentiels à leur bien-être présent et futur... Telle est la charte par laquelle le peuple a confié ses pouvoirs à ceux qui le gouvernent ».

(64) Je n'oublierai pas facilement comment ce sentiment fut exprimé par le chauffeur de taxi de Philadelphie dans la voiture duquel j'entendis la radio annoncer la mort soudaine du président Roosevelt. Je pense qu'il parlait pour la grande majorité des gens lorsque après un éloge manifestement sincère du président, il conclut par ces mots : « Mais il n'aurait pas dû essayer de bricoler la Cour suprême ; non, il n'aurait jamais dû faire ça ! ». Le caractère choquant de l'affaire avait sans aucun doute été profondément ressenti.

(65) C. H. McILWAIN, Constitutionalism and the Changing World, New York, 1939, p. 286.- Cf. aussi F. L. NEUMANN, The Democratic and the Authoritarian State, Glencoe, III, 1957, p. 31.

(66) Voir M. LERNER, « Minority Rule and the Constitutional Tradition », dans The Constitution Reconsidered, Ed. Conyers Read, New York, Columbia University Press, 1938, p. 199 et s.