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Et Moi ? — Parviendrai-je au Moi et au Mien grâce au Libéralisme ?
Et Moi ? — Parviendrai-je au Moi et au Mien grâce au Libéralisme ?
Qui le Libéral tient-il pour son semblable ? L'Homme ! Sois seulement un Homme
Qui le Libéral tient-il pour son semblable ? L'Homme ! Sois seulement un Homme
— et tu en es un —, le Libéral t'appellera son frère. Il s'inquiète peu de tes
— et tu en es un —, le Libéral t'appellera son frère. Il s'inquiète peu de tes
opinions et de tes sottises privées, du moment qu'il peut ne voir en toi que l' « Homme
opinions et de tes sottises privées, du moment qu'il peut ne voir en toi que l' « Homme
».
».
Peu lui importe ce que tu es privatim, car s'il est logique, ses principes lui interdisent
Peu lui importe ce que tu es privatim, car s'il est logique, ses principes lui interdisent
rigoureusement d'y attacher la moindre valeur ; il ne voit en toi que ce que tu es
rigoureusement d'y attacher la moindre valeur ; il ne voit en toi que ce que tu es
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ou Paul, mais l'Homme, non pas le réel ou l'unique, mais ton essence ou ton concept,
ou Paul, mais l'Homme, non pas le réel ou l'unique, mais ton essence ou ton concept,
non pas l'individu en chair et en os, mais l'Esprit.
non pas l'individu en chair et en os, mais l'Esprit.
En tant que tu es Pierre, tu n'es pas son semblable, car il est Paul et non pas Pierre
 
; en tant qu'Homme, tu es ce qu'il est. S'il est vraiment un Libéral et non un égoïste
En tant que tu es Pierre, tu n'es pas son semblable, car il est Paul et non pas Pierre; en tant qu'Homme, tu es ce qu'il est. S'il est vraiment un Libéral et non un égoïste
inconscient, toi, Pierre, tu es, à ses yeux, comme si tu n'existais pas, ce qui, entre
inconscient, toi, Pierre, tu es, à ses yeux, comme si tu n'existais pas, ce qui, entre
parenthèses, lui rend assez léger son « amour fraternel »; ce qu'il aime en toi, ce n'est
parenthèses, lui rend assez léger son « amour fraternel »; ce qu'il aime en toi, ce n'est
pas Pierre, dont il ne sait rien et ne veut rien savoir, mais uniquement l'Homme.
pas Pierre, dont il ne sait rien et ne veut rien savoir, mais uniquement l'Homme.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 151
 
Ne rien voir en toi et en moi de plus que l' « Homme », C’est pousser à l’extrême
Ne rien voir en toi et en moi de plus que l'« Homme », C’est pousser à l’extrême
la façon de voir chrétienne, d'après laquelle chacun n'est pour les autres qu'un concept
la façon de voir chrétienne, d'après laquelle chacun n'est pour les autres qu'un concept
(par exemple un aspirant à la félicité, etc.).
(par exemple un aspirant à la félicité, etc.).
Le Christianisme proprement dit nous réunit encore dans un concept moins
Le Christianisme proprement dit nous réunit encore dans un concept moins
général : ainsi, nous sommes « les enfants de Dieu », ceux « que conduit l'Esprit de
général : ainsi, nous sommes « les enfants de Dieu », ceux « que conduit l'Esprit de
Dieu 1 »; tous ne peuvent toutefois se vanter d'être les enfants de Dieu, mais « le
Dieu <ref>Épître aux Romains, VIII, 14.</ref>»; tous ne peuvent toutefois se vanter d'être les enfants de Dieu, mais « le
même Esprit qui témoigne devant notre Esprit que nous sommes enfants de Dieu
même Esprit qui témoigne devant notre Esprit que nous sommes enfants de Dieu
montre aussi ceux qui sont enfants du Diable 2 ». Pour être enfant de Dieu, il fallait
montre aussi ceux qui sont enfants du Diable <ref>1er épître de Jean, III, 10.</ref>». Pour être enfant de Dieu, il fallait
n'être pas enfant du Diable, la famille divine excluait certains hommes. Il nous suffit,
n'être pas enfant du Diable, la famille divine excluait certains hommes. Il nous suffit,
au contraire, pour être enfants des hommes, c'est-à-dire hommes, d'appartenir à
au contraire, pour être enfants des hommes, c'est-à-dire hommes, d'appartenir à
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suffit que nous soyons tous deux enfants d'une même mère, l'espèce humaine : en tant
suffit que nous soyons tous deux enfants d'une même mère, l'espèce humaine : en tant
que « né de l'homme », je suis ton semblable.
que « né de l'homme », je suis ton semblable.
Que suis-je donc pour toi ? Suis-je ce moi en chair et en os qui va et vient ? Du
Que suis-je donc pour toi ? Suis-je ce moi en chair et en os qui va et vient ? Du
tout ! Ce moi avec ses pensées, ses déterminations et ses passions est à tes yeux
tout ! Ce moi avec ses pensées, ses déterminations et ses passions est à tes yeux
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s'appeler Jean ou Michel. Tu vois en moi non pas moi, le réel et le corporel, mais
s'appeler Jean ou Michel. Tu vois en moi non pas moi, le réel et le corporel, mais
l'irréel, le fantôme — un Homme.
l'irréel, le fantôme — un Homme.
Au cours des siècles chrétiens, toutes sortes de gens ont tour à tour passé pour
Au cours des siècles chrétiens, toutes sortes de gens ont tour à tour passé pour
« nos semblables », mais toujours nous les avons jugés selon cet esprit que nous
« nos semblables », mais toujours nous les avons jugés selon cet esprit que nous
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enfin celui qui montre un esprit et, un visage humains. Ainsi varia le fondement de
enfin celui qui montre un esprit et, un visage humains. Ainsi varia le fondement de
l' « égalité ».
l' « égalité ».
Du moment que l'on conçoit l'égalité comme égalité de l'esprit humain, on a
Du moment que l'on conçoit l'égalité comme égalité de l'esprit humain, on a
découvert une égalité qui embrasse véritablement tous les hommes ; car qui oserait
découvert une égalité qui embrasse véritablement tous les hommes ; car qui oserait
nier que nous, hommes, nous possédions un esprit humain, c'est-à-dire que nous
nier que nous, hommes, nous possédions un esprit humain, c'est-à-dire que nous
n'ayons d'autre esprit qu'un esprit humain ?
n'ayons d'autre esprit qu'un esprit humain ?
Sommes-nous pour cela plus avancés qu'au début du Christianisme ? Notre esprit
Sommes-nous pour cela plus avancés qu'au début du Christianisme ? Notre esprit
devait alors être divin, aujourd'hui il doit être humain ; mais si le divin ne suffisait pas
devait alors être divin, aujourd'hui il doit être humain ; mais si le divin ne suffisait pas
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Dieu nous a fait cruellement souffrir, l’ « Homme » est à même de nous martyriser
Dieu nous a fait cruellement souffrir, l’ « Homme » est à même de nous martyriser
plus cruellement encore.
plus cruellement encore.
Disons-le en quelques mots : si nous sommes hommes, cette qualité d'hommes
Disons-le en quelques mots : si nous sommes hommes, cette qualité d'hommes
n'est que le moindre en nous, et n'a de signification et d'importance que comme une
n'est que le moindre en nous, et n'a de signification et d'importance que comme une
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entre autres qualités, un homme, de même que je suis, par exemple, un être vivant, un
entre autres qualités, un homme, de même que je suis, par exemple, un être vivant, un
animal, un Européen, un Berlinois, etc.; mais l'estime de celui qui ne priserait en moi
animal, un Européen, un Berlinois, etc.; mais l'estime de celui qui ne priserait en moi
1 Épître aux Romains, VIII, 14.
2 1er épître de Jean, III, 10.
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 152
que l'homme ou le Berlinois me serait fort indifférente. Pourquoi ? Parce qu'il apprécierait
que l'homme ou le Berlinois me serait fort indifférente. Pourquoi ? Parce qu'il apprécierait
une de mes propriétés et non Moi.
une de mes propriétés et non Moi.
De même pour l'esprit. Je puis compter au nombre de mes attributs un esprit
De même pour l'esprit. Je puis compter au nombre de mes attributs un esprit
chrétien, un esprit loyal, etc., et cet esprit est ma propriété ; mais je ne suis pas cet
chrétien, un esprit loyal, etc., et cet esprit est ma propriété ; mais je ne suis pas cet
esprit : il est à moi, et je ne suis pas à lui.
esprit : il est à moi, et je ne suis pas à lui.
Nous retrouvons donc chez les Libéraux l'ancien mépris des Chrétiens pour le
Nous retrouvons donc chez les Libéraux l'ancien mépris des Chrétiens pour le
Moi, pour le Pierre ou le Paul en chair et en os. Au lieu de me prendre pour ce que je
Moi, pour le Pierre ou le Paul en chair et en os. Au lieu de me prendre pour ce que je
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alliance honorable, ce n'est que pour l'amour de — ma bourse : on épouse ce que j'ai
alliance honorable, ce n'est que pour l'amour de — ma bourse : on épouse ce que j'ai
et non ce que je suis. Le Chrétien s'attaque à mon esprit et le Libéral à mon humanité.
et non ce que je suis. Le Chrétien s'attaque à mon esprit et le Libéral à mon humanité.
Mais si l'esprit, cet esprit qu'on ne regarde pas comme la propriété du Moi réel et
Mais si l'esprit, cet esprit qu'on ne regarde pas comme la propriété du Moi réel et
corporel, mais comme le Moi lui-même, est un fantôme, l'Homme dans lequel on veut
corporel, mais comme le Moi lui-même, est un fantôme, l'Homme dans lequel on veut
reconnaître non un de mes attributs mais le Moi proprement dit n'est, lui non plus,
reconnaître non un de mes attributs mais le Moi proprement dit n'est, lui non plus,
qu'un fantôme, une pensée, un concept.
qu'un fantôme, une pensée, un concept.
C'est pourquoi le Libéral tourne éternellement, sans pouvoir en sortir, dans le
C'est pourquoi le Libéral tourne éternellement, sans pouvoir en sortir, dans le
même cercle où est enfermé le Chrétien. Comme l'Esprit de l'humanité, c'est-à-dire
même cercle où est enfermé le Chrétien. Comme l'Esprit de l'humanité, c'est-à-dire
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t'efforcer de devenir pleinement Homme. Effort aussi stérile que celui du Chrétien
t'efforcer de devenir pleinement Homme. Effort aussi stérile que celui du Chrétien
pour devenir pleinement esprit bienheureux !
pour devenir pleinement esprit bienheureux !
Aujourd'hui que le Libéralisme a proclamé l'Homme, on peut dire que le Christianisme
Aujourd'hui que le Libéralisme a proclamé l'Homme, on peut dire que le Christianisme
a été ainsi poussé à ses dernières conséquences, et que dès l'origine le Christianisme
a été ainsi poussé à ses dernières conséquences, et que dès l'origine le Christianisme
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et l'Homme, et l'on émet ce voeu : « Devenez conformes à la véritable essence de
et l'Homme, et l'on émet ce voeu : « Devenez conformes à la véritable essence de
l'espèce. »
l'espèce. »
La religion de l'Humanité n'est que la dernière métamorphose de la religion
La religion de l'Humanité n'est que la dernière métamorphose de la religion
chrétienne. Le Libéralisme, en effet, est une religion, attendu qu'il me sépare de mon
chrétienne. Le Libéralisme, en effet, est une religion, attendu qu'il me sépare de mon
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». Par les formes mêmes qu'il revêt, le Libéralisme trahit encore sa nature de
». Par les formes mêmes qu'il revêt, le Libéralisme trahit encore sa nature de
religion : il réclame une dévotion fervente à l'être suprême, l'Homme, « une foi qui
religion : il réclame une dévotion fervente à l'être suprême, l'Homme, « une foi qui
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 153
agisse et donne des preuves de son zèle, une ferveur qui ne s'attiédisse point <ref>Bruno BAUER : Judenfrage, p. 61.</ref>». Mais,
agisse et donne des preuves de son zèle, une ferveur qui ne s'attiédisse point 1 ». Mais,
comme le Libéralisme est une religion humaine, ses adeptes font profession d'être
comme le Libéralisme est une religion humaine, ses adeptes font profession d'être
tolérants envers les adeptes des autres religions (juive, chrétienne, etc.) ; c'est de cette
tolérants envers les adeptes des autres religions (juive, chrétienne, etc.) ; c'est de cette
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comme de pures « sottises privées », envers lesquelles on se comporte très libéralement
comme de pures « sottises privées », envers lesquelles on se comporte très libéralement
en considération de leur insignifiance même.
en considération de leur insignifiance même.
On peut la nommer la religion d'État, la religion de l' « État libre », non dans
On peut la nommer la religion d'État, la religion de l' « État libre », non dans
l'ancien sens de religion prônée et privilégiée par l'État, mais parce qu'elle est la
l'ancien sens de religion prônée et privilégiée par l'État, mais parce qu'elle est la
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d'eux tienne le lien du sang pour sacré, et qu'il prouve, envers ce lien de la piété, un
d'eux tienne le lien du sang pour sacré, et qu'il prouve, envers ce lien de la piété, un
respect qui sanctifie chacun de ses parents.
respect qui sanctifie chacun de ses parents.
Quelle est l'idée la plus haute que l'État, puisse se proposer de réaliser ? C'est
Quelle est l'idée la plus haute que l'État, puisse se proposer de réaliser ? C'est
bien celle d'être une véritable Société humaine, une société dans laquelle puisse être
bien celle d'être une véritable Société humaine, une société dans laquelle puisse être
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l'État l'hôte d'une prison (d'une maison de fous ou d'une maison de santé, d'après le
l'État l'hôte d'une prison (d'une maison de fous ou d'une maison de santé, d'après le
Communisme).
Communisme).
Il est facile de définir en termes sèchement techniques ce qu'on entend par un
Il est facile de définir en termes sèchement techniques ce qu'on entend par un
non-homme : c'est un homme qui ne correspond pas au concept Homme, comme
non-homme : c'est un homme qui ne correspond pas au concept Homme, comme
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moins d'admettre cette hypothèse que le concept Homme peut être séparé de l'homme
moins d'admettre cette hypothèse que le concept Homme peut être séparé de l'homme
existant, l'essence du phénomène ? On dit : Il paraît un homme, mais n'en est pas un.
existant, l'essence du phénomène ? On dit : Il paraît un homme, mais n'en est pas un.
Il y a bien des siècles que les hommes se contentent de cette « pétition de principe
Il y a bien des siècles que les hommes se contentent de cette « pétition de principe
»! Et ce qu'il y a de plus fort, c'est que pendant tout ce temps il n'a existé que des
»! Et ce qu'il y a de plus fort, c'est que pendant tout ce temps il n'a existé que des
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je réduis à n'être plus qu'un de mes attributs, une de mes propriétés, cet Homme qui
je réduis à n'être plus qu'un de mes attributs, une de mes propriétés, cet Homme qui
était jusqu'ici exclusivement mon idéal, mon devoir, mon essence ou mon concept et
était jusqu'ici exclusivement mon idéal, mon devoir, mon essence ou mon concept et
1 Bruno BAUER : Judenfrage, p. 61.
 
Max Stirner (1845), L’unique et sa propriété 154
qui planait comme tel au-dessus de moi et au-delà de moi, si je fais en sorte que
qui planait comme tel au-dessus de moi et au-delà de moi, si je fais en sorte que
l'Homme ne soit plus que mon humanité, ma manière d'être, et que ce que je fais ne
l'Homme ne soit plus que mon humanité, ma manière d'être, et que ce que je fais ne
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