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socialistes, humanitaires, tous ces amants de la liberté n'ont jamais compris le mot « | socialistes, humanitaires, tous ces amants de la liberté n'ont jamais compris le mot « | ||
ni dieu ni maître » : « Possesseurs d'esclaves aux rires méprisants, ils sont eux-mêmes | ni dieu ni maître » : « Possesseurs d'esclaves aux rires méprisants, ils sont eux-mêmes | ||
— des esclaves <ref>Das unwahre Prinzip unserer Eiziehung, Kl. Schriften, édit. Mackay, p. 24.</ref> | — des esclaves <ref>Das unwahre Prinzip unserer Eiziehung, Kl. Schriften, édit. Mackay, p. 24.</ref>». | ||
Il est superflu de nous étendre longuement sur les détails de la pensée de Stirner; | Il est superflu de nous étendre longuement sur les détails de la pensée de Stirner; | ||
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auteur. | auteur. | ||
L'Unique est-il une conception nouvelle du Moi, le principe nouveau d'une | L'Unique est-il une conception nouvelle du Moi, le principe nouveau d'une | ||
doctrine nouvelle (un complément, par exemple, de la philosophie de Fichte | doctrine nouvelle (un complément, par exemple, de la philosophie de Fichte <ref>1 Stirner avait nettement répudié toute parenté entre son moi corporel et passager et le Moi absolu | ||
1 Stirner avait nettement répudié toute parenté entre son moi corporel et passager et le Moi absolu | |||
de Fichte, ce qui n'empêche pas Ed. von Hartmann de voir « dans son absolutisation du Moi la | de Fichte, ce qui n'empêche pas Ed. von Hartmann de voir « dans son absolutisation du Moi la | ||
véritable conséquence pratique du monisme subjectif de Fichte ». C'est une des plus lourdes | véritable conséquence pratique du monisme subjectif de Fichte ». C'est une des plus lourdes | ||
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retrouve pas le nom et dont tous ceux qui s'occupent de Stirner répètent la phrase sur « ce livre | retrouve pas le nom et dont tous ceux qui s'occupent de Stirner répètent la phrase sur « ce livre | ||
qu'on quitte monarque ». Voyez aussi, à titre de curiosité, un discours de H. von Bülow où Stirner | qu'on quitte monarque ». Voyez aussi, à titre de curiosité, un discours de H. von Bülow où Stirner | ||
est comparé à Bismarck. | est comparé à Bismarck.</ref>)? C'est ainsi que le comprirent les critiques. Feuerbach, Szeliga et Hess en 1845, Kuno | ||
Fischer en 1847, attaquèrent Stirner en se plaçant à ce point de vue, et parlèrent à | |||
l'envi d'un « moi principe », d'un « égoïsme absolu », d'une « dogmatique de l'égoïsme | |||
», d'un, « égoïsme en système », etc., tous virent dans l'individu une idée, un | |||
principe ou un idéal qui s'opposait à l'Homme. | |||
Stirner leur répond : Le moi que tu penses n'est qu'un agrégat de prédicats, aussi | Stirner leur répond : Le moi que tu penses n'est qu'un agrégat de prédicats, aussi | ||
peux-tu le concevoir, c'est-à-dire le définir et le distinguer d'autres concepts voisins. | peux-tu le concevoir, c'est-à-dire le définir et le distinguer d'autres concepts voisins. | ||
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par la suite : « Ô mon frère, derrière tes sentiments et tes pensées se cache un maître | par la suite : « Ô mon frère, derrière tes sentiments et tes pensées se cache un maître | ||
puissant, un sage inconnu; il se nomme toi-même (Selbst). il habite ton corps, il est | puissant, un sage inconnu; il se nomme toi-même (Selbst). il habite ton corps, il est | ||
ton corps | ton corps <ref>Friedrich NIETZSCHE : Also sprach Zarathustra, p. 47. Nous laissons de côté tout parallèle entre | ||
Nietzsche et Stirner; il y a de telles affinités entre L'Unique et sa Propriété et la partie critique de | |||
l'oeuvre du chantre de Zarathustra qu'il est difficile de se convaincre, quoique le fait soit à peu près | |||
prouvé, que ce dernier ne connut point Stirner. Sa destruction de la « table des valeurs » | |||
actuellement admises est d'un Stirner qui, au lieu de Hegel aurait eu Schopenhauer pour éducateur. | |||
Remarquons en passant que ce que Lange appelle volonté, « volonté à laquelle, dit-il (Hist. du | |||
Mat., tr. fr., II, p. 98), Stirner donne une valeur telle qu'elle nous apparaît comme la force | |||
fondamentale de l'être humain », semble correspondre exactement à la Wille zur Macht de | |||
Nietzsche.</ref>» | |||
Telle est la source vive que Stirner a fait jaillir de la « dure roche » de l'individualité, | Telle est la source vive que Stirner a fait jaillir de la « dure roche » de l'individualité, | ||
et tel est, je pense, le fond positif et fécond de sa pensée. Mais ce fond, le | et tel est, je pense, le fond positif et fécond de sa pensée. Mais ce fond, le | ||
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C'est ainsi, semble-t-il, qu'il faut comprendre le « nihilisme » de Stirner : à la conception | C'est ainsi, semble-t-il, qu'il faut comprendre le « nihilisme » de Stirner : à la conception | ||
chrétienne du monde, à la philosophie « qui inscrit sur son bouclier la négation | chrétienne du monde, à la philosophie « qui inscrit sur son bouclier la négation | ||
de la vie », à cette « pratique du nihilisme | de la vie », à cette « pratique du nihilisme<ref>Friedrich NIETZSCHE : Der Antichrist, VII.</ref>», il répond en inscrivant sur le sien la négation de l'esprit et aboutit à un nihilisme purement théorique. | ||
la négation de l'esprit et aboutit à un nihilisme purement théorique. | |||
Mais « est-ce à dire, demande-t-il, que par son égoïsme Stirner prétende nier toute | Mais « est-ce à dire, demande-t-il, que par son égoïsme Stirner prétende nier toute | ||
généralité et faire table rase, par une simple dénégation, de toutes les propriétés organiques | généralité et faire table rase, par une simple dénégation, de toutes les propriétés organiques | ||
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des choses et des personnes. C'est ce que Stirner exprime négativement dans sa | des choses et des personnes. C'est ce que Stirner exprime négativement dans sa | ||
critique acérée et irréfutable, lorsqu'il analyse les illusions de l'idéalisme et démasque | critique acérée et irréfutable, lorsqu'il analyse les illusions de l'idéalisme et démasque | ||
les mensonges du dévouement et de l'abnégation | les mensonges du dévouement et de l'abnégation <ref>Die philosophischen Reactionaere, Kl. Schriften, édit. Mackay, p. 182, 183.</ref>» | ||
Je souligne ces mots expression négative, et je demande : Quelle serait donc la | Je souligne ces mots expression négative, et je demande : Quelle serait donc la | ||
traduction positive de son oeuvre? Quel « par conséquent » peut-on logiquement en | traduction positive de son oeuvre? Quel « par conséquent » peut-on logiquement en | ||
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mon moi limité, je puis, à mon tour, créer une espèce quelconque d'idéalisme comme | mon moi limité, je puis, à mon tour, créer une espèce quelconque d'idéalisme comme | ||
l'expression de ma volonté et de mon idée ». M. Lichtenberger, de son côté, dans une | l'expression de ma volonté et de mon idée ». M. Lichtenberger, de son côté, dans une | ||
courte notice consacrée à Stirner | courte notice consacrée à Stirner <ref>Nouvelle Revue, 15 juillet 1894.</ref> se demande quelle forme sociale pourrait résulter | ||
de la mise en pratique de ses idées. | de la mise en pratique de ses idées. | ||
Ce sont là, je crois — et j'aborde ici le point le plus délicat de cette étude — des | Ce sont là, je crois — et j'aborde ici le point le plus délicat de cette étude — des | ||
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comme Samson, il s'est enseveli lui-même sous les ruines du monde religieux | comme Samson, il s'est enseveli lui-même sous les ruines du monde religieux | ||
renversé. Pourquoi? C'est ce qu'il me reste à montrer. | renversé. Pourquoi? C'est ce qu'il me reste à montrer. | ||
« Amis, dit-il quelque part | « Amis, dit-il quelque part <ref>Die Mysterien von Paris-, KI. Schriften, édit. Mackay, p. 101.</ref> notre temps n'est pas malade, mais il est vieux et sa | ||
dernière heure a sonné; ne le tourmentez donc point de vos remèdes, mais soulagez | dernière heure a sonné; ne le tourmentez donc point de vos remèdes, mais soulagez | ||
son agonie en l'abrégeant et laissez-le — mourir. » Cette société lasse qui meurt de | son agonie en l'abrégeant et laissez-le — mourir. » Cette société lasse qui meurt de | ||
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croyant, le souci de légalité du bourgeois et la tendresse de l'amant ne sont que des | croyant, le souci de légalité du bourgeois et la tendresse de l'amant ne sont que des | ||
procédés, à vrai dire souvent méconnus, par lesquels l'un exploite son dieu, l'autre | procédés, à vrai dire souvent méconnus, par lesquels l'un exploite son dieu, l'autre | ||
l'État ou sa maîtresse; de sorte que la société actuelle réalise en somme l'état de lutte | l'État ou sa maîtresse; de sorte que la société actuelle réalise en somme l'état de lutte | ||
de tous contre tous auquel son analyse le conduit. Elle ne diffère de l'association des | de tous contre tous auquel son analyse le conduit. Elle ne diffère de l'association des | ||
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Mais ce serait, je crois, mutiler la pensée de son auteur et méconnaître l'importance | Mais ce serait, je crois, mutiler la pensée de son auteur et méconnaître l'importance | ||
de L'Unique et sa Propriété de n'y voir que l'oeuvre du logicien nihiliste. | de L'Unique et sa Propriété de n'y voir que l'oeuvre du logicien nihiliste. | ||
« Stirner, dit-il lui-même | « Stirner, dit-il lui-même <ref>Die philosophischen Reactionaere, Kl. Schriften, édit. Mackay, p. 183.</ref>, ne présente son livre que comme l'expression souvent | ||
maladroite et incomplète de ce qu'il voulut; ce livre est l'oeuvre laborieuse des | maladroite et incomplète de ce qu'il voulut; ce livre est l'oeuvre laborieuse des | ||
meilleures années de sa vie et il convient cependant que ce n'est qu'un à-peu-près. | meilleures années de sa vie et il convient cependant que ce n'est qu'un à-peu-près. | ||
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une police morale, ayant même origine et même but que la police de l'État : prohiber, | une police morale, ayant même origine et même but que la police de l'État : prohiber, | ||
refréner et immobiliser. Les veto de la conscience s'ajoutent aux veto de la loi; grâce à | refréner et immobiliser. Les veto de la conscience s'ajoutent aux veto de la loi; grâce à | ||
elle, la force d'autrui est sanctifiée et s'appelle le droit, la crainte devient respect et | elle, la force d'autrui est sanctifiée et s'appelle le droit, la crainte devient respect et | ||
vénération, et le chien apprend à lécher le fouet de son maître. | vénération, et le chien apprend à lécher le fouet de son maître. | ||
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C'est sur cette terre féconde, que Stirner met à nu, que le grand négateur tend pardessus | C'est sur cette terre féconde, que Stirner met à nu, que le grand négateur tend pardessus | ||
cinquante ans la main aux anarchistes d'aujourd'hui. | cinquante ans la main aux anarchistes d'aujourd'hui. | ||
R.-L. Reclaire. | R.-L. Reclaire. | ||
Décembre 1899. | Décembre 1899. |
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