Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 11 - l'agenda du libéralisme »

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==Le champ des réformes==
==Le champ des réformes==
Ce malaise spirituel reflète, comme la souffrance que cause un soulier trop étroit, le défaut d'adaptation des hommes à la façon dont ils doivent gagner leur vie. Il y a ceux qui sont nés handicapés : la détérioration de la souche dont ils sont nés les empêche de faire leur chemin dans la vie. D'autres sont handicapés par des maladies d'enfance, par la sous-alimentation et le manque de soins. D'autres sont les victimes d'une vie familiale pervertie ou stupide, et porteront toute leur vie les stigmates de l'infériorité et de la perversion. Ils ne s'adapteront pas facilement. Puis il y a ceux qui ont été brisés par la pauvreté et la misère de leur jeunesse, et qui n'auront jamais la possibilité de développer leurs dons. Éduquer les grandes masses, équiper les hommes pour une vie dans laquelle ils doivent se spécialiser tout en restant capables de changer de spécialité, voilà un immense problème non encore résolu. L'économie de la division du travail exige que ces problèmes d'eugénisme et d'éducation soient effectivement traités, et l'économie classique suppose qu'ils le sont. Mais on ne s'en occupe pas. Il ne faut pas croire non plus, comme le suppose le dogme du laissez faire, que ces problèmes se résolvent d'eux-mêmes. Il faut donc les inscrire à l'agenda de la politique libérale.
Ce malaise spirituel reflète, comme la souffrance que cause un soulier trop étroit, le défaut d'adaptation des hommes à la façon dont ils doivent gagner leur vie. Il y a ceux qui sont nés handicapés : la détérioration de la souche dont ils sont nés les empêche de faire leur chemin dans la vie. D'autres sont handicapés par des maladies d'enfance, par la sous-alimentation et le manque de soins. D'autres sont les victimes d'une vie familiale pervertie ou stupide, et porteront toute leur vie les stigmates de l'infériorité et de la perversion. Ils ne s'adapteront pas facilement. Puis il y a ceux qui ont été brisés par la pauvreté et la misère de leur jeunesse, et qui n'auront jamais la possibilité de développer leurs dons. Éduquer les grandes masses, équiper les hommes pour une vie dans laquelle ils doivent se spécialiser tout en restant capables de changer de spécialité, voilà un immense problème non encore résolu. L'économie de la division du travail exige que ces problèmes d'eugénisme et d'éducation soient effectivement traités, et l'économie classique suppose qu'ils le sont. Mais on ne s'en occupe pas. Il ne faut pas croire non plus, comme le suppose le dogme du laissez faire, que ces problèmes se résolvent d'eux-mêmes. Il faut donc les inscrire à l'agenda de la politique libérale.
L'économie nécessite non seulement que la qualité de l'espèce humaine, que l'équipement des hommes en vue de la vie soient maintenus à un degré minimum de qualité, mais encore que cette qualité soit progressivement améliorée. Pour vivre avec succès dans un monde d'interdépendance croissante du travail spécialisé, il faut un accroissement continuel des facultés d'adaptation, de l'intelligence et de la compréhension éclairée des droits et des devoirs réciproques, des bienfaits, et des possibilités d'un tel genre de vie.
Mais il faut tout autant, et là encore l'économie classique suppose le problème résolu, conserver la terre et les ressources naturelles, et les améliorer progressivement par le défrichement, la récupération, et la fertilisation. Le sol et le sous-sol, les mers les grandes routes sont le patrimoine des générations à venir. Tous les droits de propriété privée portant sur ce patrimoine doivent par conséquent être subordonnés à la condition que cet héritage naturel ne sera ni gaspillé ni détruit, et qu'il sera, au contraire, enrichi. Comme il serait tout aussi impossible à l'économie nouvelle de tirer des richesses d'un sol épuisé qu'il est impossible à un paysan chinois de gagner son pain au flanc d'un coteau dénudé par l'érosion, il faut incontestablement en conclure que la conservation dans le sens le plus large, y compris le « zoning » des terrains agricoles et urbains, est une obligation essentielle de l'État libéral. Pourtant il y a des gens qui tout en croyant défendre le système de la liberté de l'entreprise croient en même temps que la loi doit laisser les hommes libres de détruire le patrimoine de leurs enfants. C'est là une des curiosités de la déraison humaine.
Ce système nécessite non seulement une grande faculté d'adaptation chez les hommes, mais une mobilité plus grande encore du capital. Dans l'ensemble ce sont les machines qui doivent venir à l'homme et non l'homme aux machines. Des nomades qui ne se fixent nulle part et n'ont pas de racines profondes dans un lieu déterminé ne peuvent mener une vie civilisée. Car des gens qui viennent d'arriver et doivent bientôt partir ont tendance à faire preuve d'une avidité sans scrupules. Ils sont des passagers qui n'ont aucun engagement permanent dans aucune collectivité, et il n'y a pas entre eux et leurs voisins d'autre lien que celui de l'argent. Ils ne vivent que dans le présent, n'ont aucune tradition ancestrale fixée en un point quelconque, et aucun souci de la postérité. La vie ne peut être très bonne partout où les hommes ne se sentent pas comme des maillons d'une chaîne qui va du passé à l'avenir, partout où ils vivent au jour le jour sans liaisons profondes et sans vieux souvenirs, et sans rien d'autre que des espérances purement personnelles. Il est certain que la révolution industrielle a décivilisé d'énormes masses d'hommes en les tirant de leurs foyers ancestraux et en les assemblant dans d'énormes faubourgs mornes et anonymes pleins de taudis surpeuplés.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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