Différences entre les versions de « Walter Lippmann:La Cité libre - Chapitre 10 - la débâcle du libéralisme »

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Leur science sociale n'a pu leur fournir de ligne de conduite pratique parce qu'ils se sont laissé absorber par le faux problème du laissez faire. Ils se sont de plus égarés dans une autre erreur qui, elle aussi, a été fatale au développement de la science libérale. De même qu'ils avaient supposé que l'économie de la division du travail fonctionne en vertu de lois naturelles en dehors de tout système juridique, de même ils supposèrent que ces lois naturelles étaient celles qu'ils avaient formulées dans leurs ouvrages de science économique. C'est l'erreur de l'économie classique qui, venue de David Ricardo, a pénétré les idées des hommes d'affaires prospères, des hommes d'Etat conservateurs, et d'une grande partie de la jurisprudence des soixante-dix dernières années. Cette erreur était plus subtile mais tout aussi nocive que celle portant sur le dogme du laissez faire. Elle consistait à tirer des conclusions pratiques immenses de la première phase d'une recherche scientifique inachevée.
Leur science sociale n'a pu leur fournir de ligne de conduite pratique parce qu'ils se sont laissé absorber par le faux problème du laissez faire. Ils se sont de plus égarés dans une autre erreur qui, elle aussi, a été fatale au développement de la science libérale. De même qu'ils avaient supposé que l'économie de la division du travail fonctionne en vertu de lois naturelles en dehors de tout système juridique, de même ils supposèrent que ces lois naturelles étaient celles qu'ils avaient formulées dans leurs ouvrages de science économique. C'est l'erreur de l'économie classique qui, venue de David Ricardo, a pénétré les idées des hommes d'affaires prospères, des hommes d'Etat conservateurs, et d'une grande partie de la jurisprudence des soixante-dix dernières années. Cette erreur était plus subtile mais tout aussi nocive que celle portant sur le dogme du laissez faire. Elle consistait à tirer des conclusions pratiques immenses de la première phase d'une recherche scientifique inachevée.
Le but de cette recherche, comme l'a défini Adam Smith en 1776<ref>''Op. cit.'', p. 2</ref> était de découvrir les causes de « l'amélioration de la puissance productive du travail, et l'ordre suivant lequel ses produits sont naturellement répartis parmi les hommes de rang et de conditions différentes... » Mais en fait, l'attention des économistes classiques après Ricardo a surtout porté sur la seconde partie de ce programme. Adam Smith, qui écrivait aux premiers jours du nouveau système industriel, avait surtout en vue ses perspectives favorables, tandis que Malthus, qui commença à méditer pendant la Révolution française, en voyait surtout les déceptions. Mais à l'époque de Ricardo, l'économie nouvelle avait triomphé en Angleterre. Ricardo ne se préoccupait pas de l'accroissement des richesses ; les richesses augmentaient, et les économistes n'avaient pas de soucis de ce côté-là. Il se persuada même qu'il était « vain et illusoire » de rechercher les causes de l'accroissement de la quantité totale de richesses. Mais la répartition des richesses soulevait une toute autre question. On s'en rendait compte par le mécontentement social qui s'était manifesté en Angleterre après les guerres de Napoléon. Ricardo considéra que c'était là la matière même de l'économie politique, et entreprit de rechercher « les lois qui déterminent la division des produits de l'industrie entre les classes qui concourent à leur création »<ref>Lettre à Malthus du 9 octobre 1820, citée dans Keynes, ''op. cit.'', p. 4. Voir également la préface à ''Principles of Political Economy and Taxation'' (1821) : « Le principal problème de l'économie politique est de déterminer les lois qui régissent cette répartition. »</ref>
En séparant la production de la répartition des richesses, Ricardo croyait éliminer de la science économique les choses « sur lesquelles on ne peut pas faire de lois », et l'orienter vers le domaine où « l'on peut établir une loi passablement exacte toutes proportions gardées. » Cette séparation était presque certainement une erreur. Car la quantité de richesses disponible pour la répartition ne saurait en fait être séparée des proportions dans lesquelles la répartition s'effectue. Dans une société pauvre, la proportion du revenu national qui échoit aux propriétaires du capital sera relativement plus forte, quoique plus faible en valeur absolue que dans une société riche. Chose curieuse, nous en trouvons une illustration dans la Russie d'aujourd'hui, où le taux de l'intérêt exempt d'impôts successoraux et sur le revenu, est de 7 à 8%, alors qu'en Amérique il est de 3 à 5%<ref>Max Eastman, ''The End of Socialism in Russia'', Harper's Magazine, février 1937.</ref> De plus en Russie, le revenu des ouvriers les plus mal payés est à celui des ouvriers dits « Stakhanovistes » comme un à vingt, et à celui des spécialistes dirigeants comme un à quatre-vingt ou cent. Cette répartition des revenus perçus pour la production est beaucoup plus inégale que celle de l'Amérique<ref>Je parle de l'intérêt servi au capital, ainsi que des traitements et salaires, et non pas bien entendu des fortunes colossales accumulées par des spéculateurs heureux sur les terrains ou les ressources naturelles, par une grande société ou par une star de cinéma qui exercent un contrôle exclusif sur un marché, ou même par des pionniers industriels comme Henry Ford, qui fut le premier à fabriquer des automobiles à bon marché.</ref>. C'est parce que dans une société pauvre la rareté du capital, des techniciens et des organisateurs spécialisés rend la rétribution du capital et du talent relativement plus élevée que dans un pays où ils sont plus abondants.


== Notes et références ==  
== Notes et références ==  
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