Étienne Bonnot de Condillac:Le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre - Par quels travaux les richesses se produisent...

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Anonyme


11. COMMENCEMENT DES VILLES

Nous avons distingué, dans notre peuplade, trois classes de citoyens ; des colons, des artisans et des marchands.

Je suppose que la première a eu jusqu’à présent la propriété de toutes les terres. Elle ne la conservera pas, du moins entièrement ; et il viendra un temps où elle en cultivera la plus grande partie pour un petit nombre de citoyens qui se les seront appropriées.

Si nous considérons que, de génération en génération, les terres du père se partagent entre les enfants, nous jugerons qu’elles se diviseront souvent au point que les différentes portions ne suffiront plus à la subsistance de ceux à qui elles seront échues. Les propriétaires de ces portions seront donc réduits à les vendre, et ils songeront à subsister par quelque autre voie. Mille autres moyens plus prompts contribueront à cette révolution. Tantôt un colon négligent ou dissipateur sera forcé de vendre ses champs à un colon plus soigneux ou plus économe, qui fera continuellement de nouvelles acquisitions.

D’autres fois un propriétaire riche et qui n’a point d’enfants laissera toutes ses possessions à un autre propriétaire aussi riche ou plus riche que lui.

Enfin les marchands, que le négoce et l’économie auront enrichis, s’approprieront vraisemblablement peu-à-peu une partie des terres ; et on en peut dire autant des artisans qui auront fait de grands profits et de grandes épargnes. Mais il est inutile d’entrer à ce sujet dans plus de détails.

Les grands propriétaires régiront leurs terres par eux-mêmes, ou il les donneront à régir.

Dans le premier cas, ils se chargent d’une partie des soins ; ils veillent au moins sur les cultivateurs, et ils trouvent dans les profits qu’ils font le prix ou le salaire de leur travail.

Dans le second, il faut qu’ils abandonnent ce salaire au régisseur, et qu’ils renoncent à une partie de leur revenu. C’est ce qu’ils feront toutes les fois qu’ils auront plus de terres qu’ils n’en pourront cultiver par eux-mêmes.

Ce régisseur est un fermier qui prend une terre à bail. Il lui est dû un salaire, qui se réglera comme tous les autres. Il lui faut sa subsistance, celle de sa famille, des ressources en cas d’accident, et un profit qu’il puisse mettre en réserve pour améliorer son état. Il réglera lui-même son salaire d’après l’usage. Il ne lui arrivera guères d’exiger beaucoup au-delà ; et il sera content toutes les fois que sa condition ne sera pas pire que celle des autres fermiers. Ces sortes de gens sont plus équitables qu’on ne pense : ils le seraient plus encore si on les vexait moins,et d’ailleurs la concurrence les force à l’être.

L’expérience apprend à ce fermier la quantité et la qualité des productions sur lesquelles il peut moralement compter, années communes, et il les estime d’après les prix courants des marchés. Sur ce produit, il prélève toutes les avances qu’il est obligé de faire annuellement, les contributions dues à l’état, son salaire, et, pour le surplus, il s’engage à donner au propriétaire une certaine quantité d’onces d’argent.

A mesure que cet usage s’établit, les propriétaires, qui ont affermé leurs possessions, s’en éloignent peu-à-peu pour se rassembler aux environs des marchés, où ils sont plus à portée de pourvoir à tous leurs besoins. Ce concours attire et fixe dans ce lieu des artisans et des marchands de toutes espèces, et il se forme une ville. Le reste de la campagne est semé des fermes : de distance en distance sont des villages habités par les colons dont les terres sont voisines, par les hommes de journée qui travaillent pour eux moyennant un salaire, et par les artisans dont le laboureur a un besoin journalier, maréchaux, charrons, etc. Si notre peuplade nombreuse occupe un pays étendu et fertile, il pourra se former des villes ou du moins des bourgs, partout où elle tiendra des marchés. Il se fait alors une révolution dans la manière de vivre.

Lorsqu’on habitait ses champs, chacun y vivait de ses productions ou de celles que ses voisins lui cédaient en échange ; et il était rare qu’on imaginât d’aller au loin en chercher d’une autre espèce.

Il n’en est pas de même lorsque les propriétaires, rassemblés dans des villes, se communiquent mutuellement les productions des différents cantons qu’ils ont habités. Alors il est naturel qu’ils veuillent tous jouir de toutes ces productions. Ils se font par conséquent de nouveaux besoins, et ils consomment plus qu’ils ne faisaient auparavant.

Les agréments de cette manière de vivre augmenteront l’affluence dans les villes. Les consommations croîtront dans la même proportion ; et il arrivera que les fermiers, plus assurés de vendre leurs récoltes, donneront plus de soin à l’agriculture. Il restera donc moins de friches, et les productions se multiplieront.

Le produit des terres ayant été augmenté, les propriétaires, au renouvellement des baux, augmenteront leurs revenus. Plus riches, ils chercheront à se procurer de nouvelles commodités. Leurs consommations, tout-à-la-fois plus grandes et plus variées, exciteront de plus en plus l’industrie, et par conséquent l’agriculture, les arts et le commerce fleuriront d’autant plus, que les nouveaux besoins qu’on s’est faits offriront de nouveaux profits au laboureur, à l’artisan et au marchand.

Pendant cette révolution, les productions et les consommations se balanceront continuellement ; et, suivant la proportion où elles seront entre elles, elles feront hausser et baisser tour-à-tour le prix de chaque chose. Si les consommations sont plus grandes, tout renchérira ; si ce sont au contraire les productions, tout sera moins cher. Mais ces variations auront peu d’inconvénients ; car la liberté entière dont jouit le commerce proportionnera bientôt les productions aux consommations, et mettra chaque chose aux prix qu’elle doit avoir.On peut déjà s’en convaincre d’après ce que j’ai dit sur la concurrence ; et j’en donnerai de nouvelles preuves lorsque je traiterai du vrai prix des choses.


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