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Pourquoi traiter un sujet comme celui-là ? Aujourd’hui l’idée couramment admise est que si on laissait les banques libres d’émettre des billets et complètement libres de leur gestion, il se produirait des catastrophes. Il faudrait donc réglementer, contrôler et n’admettre qu’un seul institut d’émission, à savoir une banque centrale. Voilà l’idée contemporaine. L’idée est que s’il existait une pluralité de banques d’émission il en résulterait le chaos ou des catastrophes tels que l’inflation. On prétend donc que les banques libres n’ont jamais existé - c’est le premier argument. Deuxième argument : "Oui, c’est vrai ce système a existé, mais il a très mal fonctionné". Par exemple, aux Etats-Unis dit-on, il existait de nombreuses banques d’émission faisant fréquemment faillite. Il est donc intéressant d’observer ces différentes expériences de pluralité d’instituts d’émission et d’en analyser le fonctionnement en se posant deux questions : | Pourquoi traiter un sujet comme celui-là ? Aujourd’hui l’idée couramment admise est que si on laissait les banques libres d’émettre des billets et complètement libres de leur gestion, il se produirait des catastrophes. Il faudrait donc réglementer, contrôler et n’admettre qu’un seul institut d’émission, à savoir une banque centrale. Voilà l’idée contemporaine. L’idée est que s’il existait une pluralité de banques d’émission il en résulterait le chaos ou des catastrophes tels que l’inflation. On prétend donc que les banques libres n’ont jamais existé - c’est le premier argument. Deuxième argument : "Oui, c’est vrai ce système a existé, mais il a très mal fonctionné". Par exemple, aux Etats-Unis dit-on, il existait de nombreuses banques d’émission faisant fréquemment faillite. Il est donc intéressant d’observer ces différentes expériences de pluralité d’instituts d’émission et d’en analyser le fonctionnement en se posant deux questions : | ||
* Est-ce que ce système produit de l’inflation ? | |||
* Est-ce qu’il engendre des crises régulières ? | |||
Dans un système de marché le processus est simple. L’offre s’ajuste à la demande. L’allocation des ressources, précisément lorsque l’Etat n’intervient pas, est la plus efficace ; elle se fait spontanément. L’ordre spontané fonctionne bien. C’est en gros ce que l’on admet aujourd’hui plus ou moins explicitement sauf pour la monnaie. On prétend généralement que l’allocation naturelle des ressources ne se produit plus et que l’équilibre ne s’établit pas spontanément. L’ajustement de l’offre à la demande ne s’effectuerait plus. Au contraire, l’instabilité s’installerait irrévocablement. Cette thèse correspond-elle à la réalité historique ? C’est ce que l’on va tenter d’examiner avec l’exemple français sous le Directoire et le Consulat. | Dans un système de marché le processus est simple. L’offre s’ajuste à la demande. L’allocation des ressources, précisément lorsque l’Etat n’intervient pas, est la plus efficace ; elle se fait spontanément. L’ordre spontané fonctionne bien. C’est en gros ce que l’on admet aujourd’hui plus ou moins explicitement sauf pour la monnaie. On prétend généralement que l’allocation naturelle des ressources ne se produit plus et que l’équilibre ne s’établit pas spontanément. L’ajustement de l’offre à la demande ne s’effectuerait plus. Au contraire, l’instabilité s’installerait irrévocablement. Cette thèse correspond-elle à la réalité historique ? C’est ce que l’on va tenter d’examiner avec l’exemple français sous le Directoire et le Consulat. | ||
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Il existe naturellement plusieurs formes de systèmes bancaires. Certains sont plus ou moins contrôlés par les gouvernements et les parlements, d’autres sont peu ou pas réglementés du tout. Ainsi l’histoire enregistre quelques expériences peu nombreuses mais à l’évidence très concluantes de liberté bancaire. Dans ce cas les banques peuvent librement émettre des billets convertibles et gérer leurs actifs et leurs différents éléments de passif sans autre contrainte que celle de la concurrence. L’exemple des banques multiples et réglementées le plus intéressant est probablement celui des Etats-Unis au XIXe siècle. Des crises cycliques réapparaissent à intervalles réguliers - dans des périodes de sept à onze ans à peu près et même un petit peu plus ; elles se caractérisaient par une amplitude significative. Certaines ont été fortes, en 1837 et 1857 mais il fallut attendre 1907 pour qu’une crise assez importante fasse réfléchir un certain nombre de responsables sur le thème "puisque le système multiple ne fonctionne pas bien, il faut créer un institut pour éviter le retour périodique de ces perturbations économiques". Il en résultat en 1913 la création de la Federal Reserve System. Que s’est-il passé après ? En 1920, sept ans plus tard : crise économique importante, ruée sur les banques et par conséquent dépression économique comparable à celles du XIXe siècle. Quant à la décennie qui suit, tout le monde connaît le krach de 1929 ; ce qui est moins connu c’est que la crise s’est aggravée en 1930 puis en 1931, 32 et 33. Jamais les Etats-Unis n’avaient connu une crise économique de pareille envergure. On pourrait multiplier les exemples de systèmes bancaires dans lesquels l’Etat intervient beaucoup et montrer qu’à chaque fois le dirigisme engendre des échecs retentissants. Tous les échecs des systèmes réglementés ne pourront être abordés ici, mais on citera quelques systèmes non réglementés pour en montrer la diversité. | Il existe naturellement plusieurs formes de systèmes bancaires. Certains sont plus ou moins contrôlés par les gouvernements et les parlements, d’autres sont peu ou pas réglementés du tout. Ainsi l’histoire enregistre quelques expériences peu nombreuses mais à l’évidence très concluantes de liberté bancaire. Dans ce cas les banques peuvent librement émettre des billets convertibles et gérer leurs actifs et leurs différents éléments de passif sans autre contrainte que celle de la concurrence. L’exemple des banques multiples et réglementées le plus intéressant est probablement celui des Etats-Unis au XIXe siècle. Des crises cycliques réapparaissent à intervalles réguliers - dans des périodes de sept à onze ans à peu près et même un petit peu plus ; elles se caractérisaient par une amplitude significative. Certaines ont été fortes, en 1837 et 1857 mais il fallut attendre 1907 pour qu’une crise assez importante fasse réfléchir un certain nombre de responsables sur le thème "puisque le système multiple ne fonctionne pas bien, il faut créer un institut pour éviter le retour périodique de ces perturbations économiques". Il en résultat en 1913 la création de la Federal Reserve System. Que s’est-il passé après ? En 1920, sept ans plus tard : crise économique importante, ruée sur les banques et par conséquent dépression économique comparable à celles du XIXe siècle. Quant à la décennie qui suit, tout le monde connaît le krach de 1929 ; ce qui est moins connu c’est que la crise s’est aggravée en 1930 puis en 1931, 32 et 33. Jamais les Etats-Unis n’avaient connu une crise économique de pareille envergure. On pourrait multiplier les exemples de systèmes bancaires dans lesquels l’Etat intervient beaucoup et montrer qu’à chaque fois le dirigisme engendre des échecs retentissants. Tous les échecs des systèmes réglementés ne pourront être abordés ici, mais on citera quelques systèmes non réglementés pour en montrer la diversité. | ||
La liberté des banques écossaises | ===La liberté des banques écossaises=== | ||
Commençons par le système écossais. Assez connu au XIXe siècle, son mécanisme a été étudié en détail par l’économiste américain Lawrence White. Le système écossais a duré plus d’un siècle. Il a commencé au début du XVIIIe siècle et s’est terminé en 1845. Voilà un système où toutes les banques, fort nombreuses, étaient pratiquement des banques d’émission, c’est-à-dire qu’elles détenaient non seulement des dépôts, c’est-à-dire de la monnaie scripturale, mais qu’elles émettaient des billets remboursables, convertibles en métal, argent ou or. L’expérience de l’Ecosse est tout à fait intéressante parce que dénuée de fluctuation cyclique. Dès 1776, Adam Smith dans La Richesse des nations fait référence à une perturbation intéressante : en Ecosse, une banque - la Banque de Ayr - subit une faillite retentissante après deux ans et demi d’existence. Quelle a été la réaction du système écossais dans son ensemble ? Cette banque avait pratiqué de la surémission de billets, mais d’autres banques, relativement conservatrices, émettant relativement peu de billets ont eu une réaction de crainte. Par conséquent, elles ont encore réduit leur émission de billets. La conclusion d’Adam Smith (livre 2, chap. 2) est que la concurrence bancaire est le système qui permet de réguler, de limiter au maximum et au mieux l’émission des billets de banque. | Commençons par le système écossais. Assez connu au XIXe siècle, son mécanisme a été étudié en détail par l’économiste américain Lawrence White. Le système écossais a duré plus d’un siècle. Il a commencé au début du XVIIIe siècle et s’est terminé en 1845. Voilà un système où toutes les banques, fort nombreuses, étaient pratiquement des banques d’émission, c’est-à-dire qu’elles détenaient non seulement des dépôts, c’est-à-dire de la monnaie scripturale, mais qu’elles émettaient des billets remboursables, convertibles en métal, argent ou or. L’expérience de l’Ecosse est tout à fait intéressante parce que dénuée de fluctuation cyclique. Dès 1776, Adam Smith dans La Richesse des nations fait référence à une perturbation intéressante : en Ecosse, une banque - la Banque de Ayr - subit une faillite retentissante après deux ans et demi d’existence. Quelle a été la réaction du système écossais dans son ensemble ? Cette banque avait pratiqué de la surémission de billets, mais d’autres banques, relativement conservatrices, émettant relativement peu de billets ont eu une réaction de crainte. Par conséquent, elles ont encore réduit leur émission de billets. La conclusion d’Adam Smith (livre 2, chap. 2) est que la concurrence bancaire est le système qui permet de réguler, de limiter au maximum et au mieux l’émission des billets de banque. | ||
Les systèmes américains | ===Les systèmes américains=== | ||
Observons à présent le système, ou plutôt les systèmes, aux Etats-Unis. Il faut savoir qu’avant la guerre de Sécession il n’existait pas de législation fédérale du tout pour les banques. Elles étaient réglementées et soumises aux lois de chaque Etat. Autrement dit, il existait autant de systèmes bancaires que d’Etats. Donc cela n’a aucun sens de parler d’un système bancaire américain avant 1860-65, date de la guerre de Sécession et des grandes lois bancaires fédérales. Ce qui compte pour les banques d’avant 1860, c’est la législation de l’Etat où elles fonctionnent. Il existe une quantité de banques, quantité de systèmes bancaires aux Etats-Unis, en particulier des sytèmes assez réglementés dans les Etats de New York, du Michigan, du New Jersey, ou les Etats du Centre en général. Les Etats du Sud sont encore plus strictement réglementés que les précédents ; ces systèmes dirigistes ne produisent d’ailleurs pas de bons résultats et donnent lieu à des surémissions de billets et souvent de dépôts. Ils engendrent ainsi des crises assez graves : en particulier les paniques bancaires de 1837 et 1857 à New York. Mais la grande particularité des Etats-Unis c’est justement qu’il existe un certain nombre d’Etats sans réglementation de banques. On considère que les banques sont des établissements commerciaux comme les autres et qu’en conséquence ils doivent être soumis aux lois du commerce. La totalité des règlements bancaires de l’Etat du Massachusetts tient en un petit livre de 37 pages. Les banques ne sont soumises qu’aux lois générales des affaires. Aujourd’hui dans le même Etat les règlements bancaires en vigueur remplissent les rayonnages d’une pièce entière. Il est en effet indispensable pour les banques commerciales de se tenir au courant des nouveaux règlements apparaissant régulièrement. | Observons à présent le système, ou plutôt les systèmes, aux Etats-Unis. Il faut savoir qu’avant la guerre de Sécession il n’existait pas de législation fédérale du tout pour les banques. Elles étaient réglementées et soumises aux lois de chaque Etat. Autrement dit, il existait autant de systèmes bancaires que d’Etats. Donc cela n’a aucun sens de parler d’un système bancaire américain avant 1860-65, date de la guerre de Sécession et des grandes lois bancaires fédérales. Ce qui compte pour les banques d’avant 1860, c’est la législation de l’Etat où elles fonctionnent. Il existe une quantité de banques, quantité de systèmes bancaires aux Etats-Unis, en particulier des sytèmes assez réglementés dans les Etats de New York, du Michigan, du New Jersey, ou les Etats du Centre en général. Les Etats du Sud sont encore plus strictement réglementés que les précédents ; ces systèmes dirigistes ne produisent d’ailleurs pas de bons résultats et donnent lieu à des surémissions de billets et souvent de dépôts. Ils engendrent ainsi des crises assez graves : en particulier les paniques bancaires de 1837 et 1857 à New York. Mais la grande particularité des Etats-Unis c’est justement qu’il existe un certain nombre d’Etats sans réglementation de banques. On considère que les banques sont des établissements commerciaux comme les autres et qu’en conséquence ils doivent être soumis aux lois du commerce. La totalité des règlements bancaires de l’Etat du Massachusetts tient en un petit livre de 37 pages. Les banques ne sont soumises qu’aux lois générales des affaires. Aujourd’hui dans le même Etat les règlements bancaires en vigueur remplissent les rayonnages d’une pièce entière. Il est en effet indispensable pour les banques commerciales de se tenir au courant des nouveaux règlements apparaissant régulièrement. | ||
La liberté des banques de la Nouvelle-Angleterre | ===La liberté des banques de la Nouvelle-Angleterre=== | ||
Qu’advient-il dans les six Etats de la Nouvelle-Angleterre : Massachusetts, Rhodes Island, Connecticut, et les trois Etats un peu plus agricoles que sont le Maine, le New Hampshire et le Vermont ? Les banques peuvent s’établir comme elles le veulent, elles n’ont qu’à déclarer leur existence et une autorisation leur est accordée quasi automatiquement. Un grand nombre de banques appraît possédant toutes le droit d’émettre des billets. Cela fait partie de l’ensemble des libertés dont elles jouissent et dont elles disposent. Qu’advient-il en 1837 et en 1857 ? Crise à New York, panique, ruée sur les banques de l’Etat de New York, et puis effondrement du système bancaire dans cet Etat puis dans les Etats voisins. Où ces dépressions se transmettent-elles ? A Paris et à Londres, mais ni en Ecosse ni dans les six Etats de la Nouvelle-Angleterre. Autrement dit : une crise démarre à New York et se propage de l’autre côté de l’océan Atlantique mais elle ne se transmet pas dans la grande ville industrielle et bancaire qu’est Boston à quelques centaines de kilomètres à peine. Ce phénomène si paradoxal demande une explication. | Qu’advient-il dans les six Etats de la Nouvelle-Angleterre : Massachusetts, Rhodes Island, Connecticut, et les trois Etats un peu plus agricoles que sont le Maine, le New Hampshire et le Vermont ? Les banques peuvent s’établir comme elles le veulent, elles n’ont qu’à déclarer leur existence et une autorisation leur est accordée quasi automatiquement. Un grand nombre de banques appraît possédant toutes le droit d’émettre des billets. Cela fait partie de l’ensemble des libertés dont elles jouissent et dont elles disposent. Qu’advient-il en 1837 et en 1857 ? Crise à New York, panique, ruée sur les banques de l’Etat de New York, et puis effondrement du système bancaire dans cet Etat puis dans les Etats voisins. Où ces dépressions se transmettent-elles ? A Paris et à Londres, mais ni en Ecosse ni dans les six Etats de la Nouvelle-Angleterre. Autrement dit : une crise démarre à New York et se propage de l’autre côté de l’océan Atlantique mais elle ne se transmet pas dans la grande ville industrielle et bancaire qu’est Boston à quelques centaines de kilomètres à peine. Ce phénomène si paradoxal demande une explication. | ||
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Celle-ci est donnée par deux économistes de l’époque : Richard Hildreth et Henry Charles Carey. Pour eux, les banques, lorsqu’elles sont soumises à la libre concurrence au niveau de la gestion d’un côté mais aussi au niveau de l’émission, possèdent la particularité très curieuse d’être financées par des fonds propres extrêmement élevés. Quelques exemples : en moyenne ceux des banques de l’Etat du Massachusetts représentent plus de 60 % du passif. Dans l’Etat voisin du Rhodes Island ce ratio est encore plus élevé à 72 %. Ce qui signifie que lors de demandes de remboursement de billets ou de dépôts, la banque dispose de liquidités non seulement sous forme de réserves, mais aussi sous forme d’actifs réalisables très rapidement. Ces banques très liquides se caractérisent également par une grande solvabilité. Conclusion : même si elles perdaient une partie de leur actif elles étaient protégées de la faillite. Et c’est cela qui caractérise les banques libres de la Nouvelle-Angleterre : on ne constate que des faillites sporadiques sans dommages pour les détenteurs de billets ou de dépôts alors qu’à New York, à Paris et à Londres, instabilité, dépression et faillites se reproduisent à intervalles réguliers. En France aussi des banques d’émission libre se sont également développées mais durant une période beaucoup plus courte, au demeurant tout aussi intéressante. Elle se situe dans un contexte bien différent. La période est connue mais les études précises n’ont été effectuées que récemment. Le professeur Crouzet avait dans son dernier livre, La Grande inflation, fait référence à ces expériences et Eugen White, professeur aux Etats-Unis à l’Université de Rutgers, a fait plusieurs études sur cette période. Il a même découvert que des "caisses patriotiques" entre 1790 et 1792 fonctionnaient comme des banques, accordaient des crédits et émettaient des billets. Il en a recensé plusieurs centaines, dont certaines sous forme de société commerciale dépendaient de nombreux actionnaires et disposaient d’un bilan. Ce qui signifie qu’il exista pendant une période une relative liberté d’établissement des banques. Evidemment après 1792 cette expérience fut interrompue par l’inflation des assignats et les mesures restrictives prises par la Convention. | Celle-ci est donnée par deux économistes de l’époque : Richard Hildreth et Henry Charles Carey. Pour eux, les banques, lorsqu’elles sont soumises à la libre concurrence au niveau de la gestion d’un côté mais aussi au niveau de l’émission, possèdent la particularité très curieuse d’être financées par des fonds propres extrêmement élevés. Quelques exemples : en moyenne ceux des banques de l’Etat du Massachusetts représentent plus de 60 % du passif. Dans l’Etat voisin du Rhodes Island ce ratio est encore plus élevé à 72 %. Ce qui signifie que lors de demandes de remboursement de billets ou de dépôts, la banque dispose de liquidités non seulement sous forme de réserves, mais aussi sous forme d’actifs réalisables très rapidement. Ces banques très liquides se caractérisent également par une grande solvabilité. Conclusion : même si elles perdaient une partie de leur actif elles étaient protégées de la faillite. Et c’est cela qui caractérise les banques libres de la Nouvelle-Angleterre : on ne constate que des faillites sporadiques sans dommages pour les détenteurs de billets ou de dépôts alors qu’à New York, à Paris et à Londres, instabilité, dépression et faillites se reproduisent à intervalles réguliers. En France aussi des banques d’émission libre se sont également développées mais durant une période beaucoup plus courte, au demeurant tout aussi intéressante. Elle se situe dans un contexte bien différent. La période est connue mais les études précises n’ont été effectuées que récemment. Le professeur Crouzet avait dans son dernier livre, La Grande inflation, fait référence à ces expériences et Eugen White, professeur aux Etats-Unis à l’Université de Rutgers, a fait plusieurs études sur cette période. Il a même découvert que des "caisses patriotiques" entre 1790 et 1792 fonctionnaient comme des banques, accordaient des crédits et émettaient des billets. Il en a recensé plusieurs centaines, dont certaines sous forme de société commerciale dépendaient de nombreux actionnaires et disposaient d’un bilan. Ce qui signifie qu’il exista pendant une période une relative liberté d’établissement des banques. Evidemment après 1792 cette expérience fut interrompue par l’inflation des assignats et les mesures restrictives prises par la Convention. | ||
I. Le fonctionnement des banques d’émission sous le Directoire et sous le Consulat | ==I. Le fonctionnement des banques d’émission sous le Directoire et sous le Consulat== | ||
Comment fonctionnaient les monnaies à l’époque ? Jusqu’en 1795 circulaient en France toutes sortes de monnaies et le système décimal n’existait pas. En 1795 on crée le franc qui fait suite en quelque sorte à la livre. La différence est extrêmement faible au niveau du poids. Le franc est donc défini en 1795, comme 5 grammes d’argent avec 90 % d’argent fin. Les pièces qui vont être frappées seront des pièces de 5 francs. Ces pièces de 5 francs argent vont se mettre à circuler assez rapidement. Donc la monnaie maintenant a une unité, c’est le franc argent. Mais il y a un problème : à ce moment-là les espèces c’est l’argent et l’or. En ce qui concerne l’or, il faut savoir que le franc or a été défini plus tard, à la fin de la période dont il va être question. Il a été défini en 1803. On a frappé des pièces de 20, 40 et 50 francs en or avec un rapport fixe qui était de 15,5 entre l’or et l’argent. On devait échanger un gramme d’or contre 15,5 grammes d’argent. C’était donc la naissance du bimétallisme en France avec tous les inconvénients entrant dans la fixité de ce rapport de valeur entre les deux métaux. Mais en France les fluctuations de valeur entre l’or et l’argent ne présentant au XIXe siècle que de faibles amblitudes décelables généralement sur le long terme. Ce système n’a donc pas trop mal fonctionné. En ce qui concerne les banques (1), il faut distinguer plusieurs types de banques. Toutes les banques à l’époque émettaient des billets convertibles qui circulaient. Certaines banques émettaient des billets libellés en francs et remboursables en espèces, en argent ou parfois en or. Dans certains cas les billets étaient remboursables en monnaie de cuivre c’est-à-dire dans une monnaie divisionnaire. Il est tout à fait intéressant de noter que ces billets de banque remboursables en monnaie divisionnaire ne subissaient pas de décote par rapport aux billets des banques convertibles directement en métal, argent ou or. Un essai d’explication a été donné dans une thèse de doctorat en 1990 sur cette question par Gilles Jacoud : il est plus facile de faire circuler des billets que des pièces qui sont encombrantes, et c’est assez logique que la décote ne se produise pas. La différence se trouve entre les banques parisiennes et celles de province. Les banques parisiennes pratiquent toutes l’émission. Elles émettent entre autres des billets de banque de 500 francs, de 1 000 francs, et parfois même de 2 500 francs ou moins. La plus connue est la Caisse des comptes courants, créée en 1796 en partie par les anciens dirigeants de la Caisse d’escompte qui avait fonctionné de 1776 à 1793. C’est en quelque sorte la suite de cette ancienne banque, mais surtout elle va apporter sa clientèle à la Banque de France et fusionnera en 1800 avec elle pour devenir ensuite à Paris l’Institut d’émission unique (1803). Fondée par des banquiers privés, cette banque a donc une certaine importance. Quelle est la différence entre un banquier privé, une banque commerciale et une banque d’émission ? Tout d’abord il est bien rare que le banquier privé émette des billets. Ensuite une banque commerciale fonctionnant sous forme de société commeciale bénéficie nécessairement d’une assise financière beaucoup plus grande que celle d’un simple banquier privé. Donc l’intérêt des banques commerciales fonctionnant sous le statut de société commerciale réside dans le grand avantage économique représenté par sa forte surface financière. | Comment fonctionnaient les monnaies à l’époque ? Jusqu’en 1795 circulaient en France toutes sortes de monnaies et le système décimal n’existait pas. En 1795 on crée le franc qui fait suite en quelque sorte à la livre. La différence est extrêmement faible au niveau du poids. Le franc est donc défini en 1795, comme 5 grammes d’argent avec 90 % d’argent fin. Les pièces qui vont être frappées seront des pièces de 5 francs. Ces pièces de 5 francs argent vont se mettre à circuler assez rapidement. Donc la monnaie maintenant a une unité, c’est le franc argent. Mais il y a un problème : à ce moment-là les espèces c’est l’argent et l’or. En ce qui concerne l’or, il faut savoir que le franc or a été défini plus tard, à la fin de la période dont il va être question. Il a été défini en 1803. On a frappé des pièces de 20, 40 et 50 francs en or avec un rapport fixe qui était de 15,5 entre l’or et l’argent. On devait échanger un gramme d’or contre 15,5 grammes d’argent. C’était donc la naissance du bimétallisme en France avec tous les inconvénients entrant dans la fixité de ce rapport de valeur entre les deux métaux. Mais en France les fluctuations de valeur entre l’or et l’argent ne présentant au XIXe siècle que de faibles amblitudes décelables généralement sur le long terme. Ce système n’a donc pas trop mal fonctionné. En ce qui concerne les banques (1), il faut distinguer plusieurs types de banques. Toutes les banques à l’époque émettaient des billets convertibles qui circulaient. Certaines banques émettaient des billets libellés en francs et remboursables en espèces, en argent ou parfois en or. Dans certains cas les billets étaient remboursables en monnaie de cuivre c’est-à-dire dans une monnaie divisionnaire. Il est tout à fait intéressant de noter que ces billets de banque remboursables en monnaie divisionnaire ne subissaient pas de décote par rapport aux billets des banques convertibles directement en métal, argent ou or. Un essai d’explication a été donné dans une thèse de doctorat en 1990 sur cette question par Gilles Jacoud : il est plus facile de faire circuler des billets que des pièces qui sont encombrantes, et c’est assez logique que la décote ne se produise pas. La différence se trouve entre les banques parisiennes et celles de province. Les banques parisiennes pratiquent toutes l’émission. Elles émettent entre autres des billets de banque de 500 francs, de 1 000 francs, et parfois même de 2 500 francs ou moins. La plus connue est la Caisse des comptes courants, créée en 1796 en partie par les anciens dirigeants de la Caisse d’escompte qui avait fonctionné de 1776 à 1793. C’est en quelque sorte la suite de cette ancienne banque, mais surtout elle va apporter sa clientèle à la Banque de France et fusionnera en 1800 avec elle pour devenir ensuite à Paris l’Institut d’émission unique (1803). Fondée par des banquiers privés, cette banque a donc une certaine importance. Quelle est la différence entre un banquier privé, une banque commerciale et une banque d’émission ? Tout d’abord il est bien rare que le banquier privé émette des billets. Ensuite une banque commerciale fonctionnant sous forme de société commeciale bénéficie nécessairement d’une assise financière beaucoup plus grande que celle d’un simple banquier privé. Donc l’intérêt des banques commerciales fonctionnant sous le statut de société commerciale réside dans le grand avantage économique représenté par sa forte surface financière. | ||
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Voilà pour les banques de la place de Paris. Il faut en tirer un enseignement quant aux quantités d’instruments monétaires émises. On peut observer que les quantités d’instruments monétaires produites sont indépendantes du pouvoir politique et qu’il en est de même des pièces de monnaie (or, argent, ou divisionnaire). Si le public n’en veut plus, s’il en veut moins, les pièces s’exportent ou sont thésaurisées, leur quantité n’est pas directement contrôlable par un gouvernement. D’autre part, les dépôts rémunérés ou non, ou les billets, les quantités utilisées dépendent de la production de ces instruments monétaires par les banques, et cette production dépend de la demande des utilisateurs de billets ou de monnaie scripturale. Si certains préfèrent les pièces, d’autres les chèques, fonctionnant à l’époque sous forme de transferts, ou si d’autres préfèrent les billets, la quantité de chacun de ces moyens monétaires dépend exclusivement de la demande des utilisateurs. Donc, aucune espèce de réglementation par un gouvernement n’est nécessaire. Il est intéressant de constater que la régulation se fait tout à fait spontanément. L’inflation des assignats et des mandats territoriaux a disparu, la déflation n’existe pas non plus. La seule chose que l’on puisse avancer c’est la brièveté de la période et par conséquent, que ce bon fonctionnement a été limité dans le temps. Il reste à savoir pour quelles raisons cette expérience a été interrompue et ce qui s’est produit dans les pays possédant un système bancaire à peu près analogue. On a examiné succintement l’Ecosse et les six Etats de la Nouvelle-Angleterre, mais le Canada et un certain nombre de pays sont également passés par des expériences analogues s’étendant sur des plus longues périodes. En Nouvelle-Angleterre la liberté bancaire a duré cinq décennies, en Ecosse plus d’un siècle, on peut donc constater que dans ces différents pays, peu nombreux mais très concluants sur une période de temps assez importante, des expériences analogues ont produit exactement la même stabilité, la même prospérité économique. L’accroissement considérable de la clientèle de ces banques permit le financement de l’économie française dans un contexte politique particulièrement troublé. Pourtant ces banques s’établirent facilement et financèrent efficacement l’économie de la région parisienne. La question reste de savoir pourquoi l’expérience n’a pas duré plus longtemps. Un nouveau régime monétaire fut établi en 1795 fondé sur des pièces en argent. Le franc fut défini par un poids d’argent métal. L’or n’était pas encore utilisé d’une façon officielle. Le franc or ne débuta qu’en 1803, ce qui n’empêcha pas l’utilisation des pièces d’or de l’époque (2). | Voilà pour les banques de la place de Paris. Il faut en tirer un enseignement quant aux quantités d’instruments monétaires émises. On peut observer que les quantités d’instruments monétaires produites sont indépendantes du pouvoir politique et qu’il en est de même des pièces de monnaie (or, argent, ou divisionnaire). Si le public n’en veut plus, s’il en veut moins, les pièces s’exportent ou sont thésaurisées, leur quantité n’est pas directement contrôlable par un gouvernement. D’autre part, les dépôts rémunérés ou non, ou les billets, les quantités utilisées dépendent de la production de ces instruments monétaires par les banques, et cette production dépend de la demande des utilisateurs de billets ou de monnaie scripturale. Si certains préfèrent les pièces, d’autres les chèques, fonctionnant à l’époque sous forme de transferts, ou si d’autres préfèrent les billets, la quantité de chacun de ces moyens monétaires dépend exclusivement de la demande des utilisateurs. Donc, aucune espèce de réglementation par un gouvernement n’est nécessaire. Il est intéressant de constater que la régulation se fait tout à fait spontanément. L’inflation des assignats et des mandats territoriaux a disparu, la déflation n’existe pas non plus. La seule chose que l’on puisse avancer c’est la brièveté de la période et par conséquent, que ce bon fonctionnement a été limité dans le temps. Il reste à savoir pour quelles raisons cette expérience a été interrompue et ce qui s’est produit dans les pays possédant un système bancaire à peu près analogue. On a examiné succintement l’Ecosse et les six Etats de la Nouvelle-Angleterre, mais le Canada et un certain nombre de pays sont également passés par des expériences analogues s’étendant sur des plus longues périodes. En Nouvelle-Angleterre la liberté bancaire a duré cinq décennies, en Ecosse plus d’un siècle, on peut donc constater que dans ces différents pays, peu nombreux mais très concluants sur une période de temps assez importante, des expériences analogues ont produit exactement la même stabilité, la même prospérité économique. L’accroissement considérable de la clientèle de ces banques permit le financement de l’économie française dans un contexte politique particulièrement troublé. Pourtant ces banques s’établirent facilement et financèrent efficacement l’économie de la région parisienne. La question reste de savoir pourquoi l’expérience n’a pas duré plus longtemps. Un nouveau régime monétaire fut établi en 1795 fondé sur des pièces en argent. Le franc fut défini par un poids d’argent métal. L’or n’était pas encore utilisé d’une façon officielle. Le franc or ne débuta qu’en 1803, ce qui n’empêcha pas l’utilisation des pièces d’or de l’époque (2). | ||
II. Le contexte idéologique dans lequel s’est présentée cette expérience | ==II. Le contexte idéologique dans lequel s’est présentée cette expérience== | ||
Cette expérience s’est effectuée dans le contexte suivant : le philosophe économiste de Gournay a popularisé la formule : "Laissez-faire, laissez-passer", qui signifiait laisser produire, libre-échange, mais ce principe ne s’arrêtait pas aux biens et aux services. Il existe des textes, de Turgot notamment, montrant que de Gournay était totalement opposé au contrôle des taux d’intérêt par l’Etat. Et comme Turgot fut son premier disciple, on voit très bien la filiation intellectuelle. Turgot, disciple de Gournay applique les principes physiocratiques du "laissez-faire et laissez-passer" au système bancaire. Il autorise donc l’établissement d’une première banque, la Caisse d’escompte, en 1776. Dans l’esprit de Gournay, il ne s’agissait pas de créer une banque centrale, il s’agissait simplement d’ouvrir la France à un système moderne comme existant à l’époque en Ecosse. L’exemple écossais était présent, et par conséquent l’idée de Turgot était de laisser se développer en France un système analogue, où toutes les banques pourraient se former et émettre des billets partout où les utilisateurs en auraient besoin. Après de Gournay et Turgot, on aperçoit d’autres influences, en particulier celle du comte de Mirabeau, mort en 1791. Dans son livre De la Caisse d’escompte (1785), il prend aussi position pour la multiplicité des instituts d’émission. Il est intéressant de noter, qu’il lie aussi ce problème à celui des fluctuations cycliques qui n’apparaîtra régulièrement qu’un peu plus tard : Mirabeau fait remarquer que de fait il ne fonctionne qu’une seule banque et que cette banque se permet de temps en temps des facilités. Alors que s’il existait plusieurs banques concurrentes ces "facilités" ne pourraient franchir des limites très étroites. En conséquence de quoi Mirabeau explique qu’on assiste à des petites fluctuations cycliques qui sont sans conséquences parce que ses billets étant convertibles, la Caisse d’escompte doit faire face à toutes les demandes de remboursement. Après Mirabeau, il faut citer un autre grand économiste : Du Pont de Nemours. Lui aussi est un physiocrate ; il occupera quelques temps la présidence de l’Assemblée nationale constituante. Dans cette assemblée, Du Pont fait un grand discours sur les banques, dans lequel il explique que les banques doivent être libres. Ce discours est très apprécié à l’Assemblée, qui décide immédiatement de le publier sous la forme d’un petit livre qui paraîtra en novembre 1789. Ce petit ouvrage de Du Pont de Nemours paraît et c’est juste après que commence cette expérience de caisses patriotiques prêtant du crédit et émettant des billets. Cette expérience a été analysée par Eugen White. Cette expérience limitée, probablement à cause des assignats et de l’incertitude régnant à l’époque, il n’était sans doute pas commode de faire fonctionner des banques dans un contexte de cette nature où l’instabilité des prix, due à la production d’assignats, devait singulièrement gêner le calcul économique prévisionnel des banques. Le livre d’Adam Smith, La Richesse des Nations, publié en 1776, avait subi au moins trois traductions, et au moins six éditions circulaient au début de la Révolution française. Or Adam Smith était tout à fait favorable à la liberté d’émission qu’il voyait fonctionner tous les jours dans son pays d’Ecosse. Il en avait conclu que ce système fonctionnait beaucoup mieux que les autres systèmes existants à son époque, y compris la Banque d’Angleterre et celle d’Amsterdam. Un autre auteur appartient à cette tradition des grands économistes, Camille Saint-Aubin. Il est un peu moins connu aujourd’hui qu’autrefois. Dans un petit livre, Des banques particulières, il défend, pour la France, un système à l’écossaise. Son importance a été soulignée par l’économiste français Alphonse Courtois dès 1875. | Cette expérience s’est effectuée dans le contexte suivant : le philosophe économiste de Gournay a popularisé la formule : "Laissez-faire, laissez-passer", qui signifiait laisser produire, libre-échange, mais ce principe ne s’arrêtait pas aux biens et aux services. Il existe des textes, de Turgot notamment, montrant que de Gournay était totalement opposé au contrôle des taux d’intérêt par l’Etat. Et comme Turgot fut son premier disciple, on voit très bien la filiation intellectuelle. Turgot, disciple de Gournay applique les principes physiocratiques du "laissez-faire et laissez-passer" au système bancaire. Il autorise donc l’établissement d’une première banque, la Caisse d’escompte, en 1776. Dans l’esprit de Gournay, il ne s’agissait pas de créer une banque centrale, il s’agissait simplement d’ouvrir la France à un système moderne comme existant à l’époque en Ecosse. L’exemple écossais était présent, et par conséquent l’idée de Turgot était de laisser se développer en France un système analogue, où toutes les banques pourraient se former et émettre des billets partout où les utilisateurs en auraient besoin. Après de Gournay et Turgot, on aperçoit d’autres influences, en particulier celle du comte de Mirabeau, mort en 1791. Dans son livre De la Caisse d’escompte (1785), il prend aussi position pour la multiplicité des instituts d’émission. Il est intéressant de noter, qu’il lie aussi ce problème à celui des fluctuations cycliques qui n’apparaîtra régulièrement qu’un peu plus tard : Mirabeau fait remarquer que de fait il ne fonctionne qu’une seule banque et que cette banque se permet de temps en temps des facilités. Alors que s’il existait plusieurs banques concurrentes ces "facilités" ne pourraient franchir des limites très étroites. En conséquence de quoi Mirabeau explique qu’on assiste à des petites fluctuations cycliques qui sont sans conséquences parce que ses billets étant convertibles, la Caisse d’escompte doit faire face à toutes les demandes de remboursement. Après Mirabeau, il faut citer un autre grand économiste : Du Pont de Nemours. Lui aussi est un physiocrate ; il occupera quelques temps la présidence de l’Assemblée nationale constituante. Dans cette assemblée, Du Pont fait un grand discours sur les banques, dans lequel il explique que les banques doivent être libres. Ce discours est très apprécié à l’Assemblée, qui décide immédiatement de le publier sous la forme d’un petit livre qui paraîtra en novembre 1789. Ce petit ouvrage de Du Pont de Nemours paraît et c’est juste après que commence cette expérience de caisses patriotiques prêtant du crédit et émettant des billets. Cette expérience a été analysée par Eugen White. Cette expérience limitée, probablement à cause des assignats et de l’incertitude régnant à l’époque, il n’était sans doute pas commode de faire fonctionner des banques dans un contexte de cette nature où l’instabilité des prix, due à la production d’assignats, devait singulièrement gêner le calcul économique prévisionnel des banques. Le livre d’Adam Smith, La Richesse des Nations, publié en 1776, avait subi au moins trois traductions, et au moins six éditions circulaient au début de la Révolution française. Or Adam Smith était tout à fait favorable à la liberté d’émission qu’il voyait fonctionner tous les jours dans son pays d’Ecosse. Il en avait conclu que ce système fonctionnait beaucoup mieux que les autres systèmes existants à son époque, y compris la Banque d’Angleterre et celle d’Amsterdam. Un autre auteur appartient à cette tradition des grands économistes, Camille Saint-Aubin. Il est un peu moins connu aujourd’hui qu’autrefois. Dans un petit livre, Des banques particulières, il défend, pour la France, un système à l’écossaise. Son importance a été soulignée par l’économiste français Alphonse Courtois dès 1875. | ||
III. L’abolition politique du système bancaire libre | ==III. L’abolition politique du système bancaire libre== | ||
Si ce système fonctionnait efficacement, comment expliquer sa disparition ? Les historiens de cette période concluent tous que la fin de ce régime bancaire n’est pas spontanée, mais résulte au contraire d’une décision du pouvoir politique. Il s’agit de Bonaparte, qui malgré les organes législatifs, décide de tout. Il initie une loi en 1803, accordant le privilège exclusif d’émission des billets à une seule banque. De 1800 à 1803, il existait plusieurs banques d’émission dont l’une se nommait la Banque de France. Au départ simple société commerciale elle ne disposait d’aucune clientèle (cf. Gabriel Ramon, auteur d’une monumentale Histoire de la Banque de France). Il lui a donc fallu fusionner avec une autre banque, la Caisse des comptes courants, qui lui apporta la clientèle. Le premier actionnaire de la Banque de France fut Bonaparte. Il fut entouré d’anciens partisans de la liberté des banques qui participèrent au coup d’Etat du 18-brumaire trois ans auparavant. On accusa les banques concurrentes de la Caisse des comptes courants et maintenant de la Banque de France d’engendrer des sérieux inconvénients. Le premier était l’émission des billets. Le billet possède la caractéristique de ne pas coûter cher. Lorsqu’une banque dispose à son passif de beaucoup de billets, elle peut prêter des fonds qui ne lui coûtent presque rien et qu’elle peut reprêter à un taux d’intérêt très rentable. La concurrence tend à augmenter le coût des fons d’une part et à diminuer le revenu de ces fonds d’autre part. C’est-à-dire que la marge entre le revenu des fonds et le coût tend par la concurrence à devenir très faible. En conséquence la multiplicité des banques d’émission diminue la rentabilité des billets pour chacune d’entre elles. Tel est le résultat de l’absence de privilèges. En revanche, dès qu’une banque dispose d’un privilège d’émission elle peut prêter des fonds qui ne coûtent pas grand chose et qui rapportent beaucoup. Cette situation de monopole lui permet d’augmenter sensiblement la rentabilité de ses fonds propres et donc les dividendes de ses actionnaires. Le taux de rentabilité des actions des banques libres de la Nouvelle-Angleterre ou même d’Ecosse tournait autour de 6 ou 7 % tendant ainsi vers le "taux naturel" de l’intérêt de l’époque dans ces pays. En revanche, l’attribution du privilège d’émission à la Banque de France permit à ses actionnaires de bénéficier de taux très élevés passant parfois les 25 % ou 28 %. | Si ce système fonctionnait efficacement, comment expliquer sa disparition ? Les historiens de cette période concluent tous que la fin de ce régime bancaire n’est pas spontanée, mais résulte au contraire d’une décision du pouvoir politique. Il s’agit de Bonaparte, qui malgré les organes législatifs, décide de tout. Il initie une loi en 1803, accordant le privilège exclusif d’émission des billets à une seule banque. De 1800 à 1803, il existait plusieurs banques d’émission dont l’une se nommait la Banque de France. Au départ simple société commerciale elle ne disposait d’aucune clientèle (cf. Gabriel Ramon, auteur d’une monumentale Histoire de la Banque de France). Il lui a donc fallu fusionner avec une autre banque, la Caisse des comptes courants, qui lui apporta la clientèle. Le premier actionnaire de la Banque de France fut Bonaparte. Il fut entouré d’anciens partisans de la liberté des banques qui participèrent au coup d’Etat du 18-brumaire trois ans auparavant. On accusa les banques concurrentes de la Caisse des comptes courants et maintenant de la Banque de France d’engendrer des sérieux inconvénients. Le premier était l’émission des billets. Le billet possède la caractéristique de ne pas coûter cher. Lorsqu’une banque dispose à son passif de beaucoup de billets, elle peut prêter des fonds qui ne lui coûtent presque rien et qu’elle peut reprêter à un taux d’intérêt très rentable. La concurrence tend à augmenter le coût des fons d’une part et à diminuer le revenu de ces fonds d’autre part. C’est-à-dire que la marge entre le revenu des fonds et le coût tend par la concurrence à devenir très faible. En conséquence la multiplicité des banques d’émission diminue la rentabilité des billets pour chacune d’entre elles. Tel est le résultat de l’absence de privilèges. En revanche, dès qu’une banque dispose d’un privilège d’émission elle peut prêter des fonds qui ne coûtent pas grand chose et qui rapportent beaucoup. Cette situation de monopole lui permet d’augmenter sensiblement la rentabilité de ses fonds propres et donc les dividendes de ses actionnaires. Le taux de rentabilité des actions des banques libres de la Nouvelle-Angleterre ou même d’Ecosse tournait autour de 6 ou 7 % tendant ainsi vers le "taux naturel" de l’intérêt de l’époque dans ces pays. En revanche, l’attribution du privilège d’émission à la Banque de France permit à ses actionnaires de bénéficier de taux très élevés passant parfois les 25 % ou 28 %. | ||
Ligne 57 : | Ligne 57 : | ||
"L’hérésie économique que constitue la mise au pas des concurrents de la Banque de France transparaît dans les difficultés que connaît le commerce parisien après l’attribution du privilège" (4). | "L’hérésie économique que constitue la mise au pas des concurrents de la Banque de France transparaît dans les difficultés que connaît le commerce parisien après l’attribution du privilège" (4). | ||
IV. La tradition monétaire des économistes français au XIXe siècle | ==IV. La tradition monétaire des économistes français au XIXe siècle== | ||
La tradition de la liberté des banques domine largement chez les économistes français du XIXe siècle. Le premier à la défendre est Jean-Baptiste Say, en 1803, dans son Traité d’économie politique. Ce point de vue de Jean-Baptiste Say intéresse d’autant plus l’historien de la théorie économique que dans les années qui suivent Say développe une théorie des fluctuations cycliques. La première crise vraiment sérieuse apparaît dès 1805, deux ans seulement après l’abolition de la liberté d’émission ; c’est une crise de surémission de billets. Surémission qui ne s’est pas produite pendant l’époque de la libre concurrence bancaire, mais après et à cause de sa suppression. La théorie des fluctuations cycliques élaborée par J-B Say attribue une origine bancaire à ces dérèglements, mais il ne montre pas clairement le rapport avec l’absence de libre concurrence. | La tradition de la liberté des banques domine largement chez les économistes français du XIXe siècle. Le premier à la défendre est Jean-Baptiste Say, en 1803, dans son Traité d’économie politique. Ce point de vue de Jean-Baptiste Say intéresse d’autant plus l’historien de la théorie économique que dans les années qui suivent Say développe une théorie des fluctuations cycliques. La première crise vraiment sérieuse apparaît dès 1805, deux ans seulement après l’abolition de la liberté d’émission ; c’est une crise de surémission de billets. Surémission qui ne s’est pas produite pendant l’époque de la libre concurrence bancaire, mais après et à cause de sa suppression. La théorie des fluctuations cycliques élaborée par J-B Say attribue une origine bancaire à ces dérèglements, mais il ne montre pas clairement le rapport avec l’absence de libre concurrence. | ||
Ligne 71 : | Ligne 71 : | ||
Dans un marché banciare libre, 1) les mauvais billets de banque ne chassent pas les bons ; 2) la fausse monnaie ne constitue pas un problème important ; 3) les banques ne sont pas intrinsèquement disposées à la surémission et à la suspension des paiements ; 4) les banques ne tiendront pas des résèrves chroniquement insuffisantes ou excessives ; 5) les ruées sur les banques ne sont pas un problème endémique ; 6) il n’y a pas un besoin réel d’un prêteur en dernier ressort ; 7) pas de réserves pyramidales, ce qui évite de rendre le crédit instable ; 8) aucun monopole naturel n’existe dans la production de papier-monnaie ; et 9) la prolifération de billets d’émetteurs différents ne pose aucun problème (L. White, 1996, p. 147). | Dans un marché banciare libre, 1) les mauvais billets de banque ne chassent pas les bons ; 2) la fausse monnaie ne constitue pas un problème important ; 3) les banques ne sont pas intrinsèquement disposées à la surémission et à la suspension des paiements ; 4) les banques ne tiendront pas des résèrves chroniquement insuffisantes ou excessives ; 5) les ruées sur les banques ne sont pas un problème endémique ; 6) il n’y a pas un besoin réel d’un prêteur en dernier ressort ; 7) pas de réserves pyramidales, ce qui évite de rendre le crédit instable ; 8) aucun monopole naturel n’existe dans la production de papier-monnaie ; et 9) la prolifération de billets d’émetteurs différents ne pose aucun problème (L. White, 1996, p. 147). | ||
V. Demain, la liberté monétaire | ==V. Demain, la liberté monétaire== | ||
Les expériences de liberté bancaire ne peuvent être considérées comme une réponse toute faite aux problèmes d’aujourd’hui. Néanmoins, elles montrent que le régime de la banque centrale est inutile pour résoudre les problèmes monétaires et qu’au contraire la libre concurrence bancaire offre des solutions alternatives et plus attrayantes. Une monnaie commune est-elle utile ? Peut-on imaginer l’introduction d’un étalon privé parallèle ? Réponse : oui, sans aucun doute. L’introduction de la concurrence des monnaies frayerait un chemin pour au moins une monnaie commune et parallèle. Après une période de transformation progressive et spontanée, une dernière mesure pourrait éradiquer la concurrence injuste de la monnaie fiduciaire par la vente des réserves en or de la banque centrale. | Les expériences de liberté bancaire ne peuvent être considérées comme une réponse toute faite aux problèmes d’aujourd’hui. Néanmoins, elles montrent que le régime de la banque centrale est inutile pour résoudre les problèmes monétaires et qu’au contraire la libre concurrence bancaire offre des solutions alternatives et plus attrayantes. Une monnaie commune est-elle utile ? Peut-on imaginer l’introduction d’un étalon privé parallèle ? Réponse : oui, sans aucun doute. L’introduction de la concurrence des monnaies frayerait un chemin pour au moins une monnaie commune et parallèle. Après une période de transformation progressive et spontanée, une dernière mesure pourrait éradiquer la concurrence injuste de la monnaie fiduciaire par la vente des réserves en or de la banque centrale. | ||
LA CONCURRENCE DES MONNAIES | ===LA CONCURRENCE DES MONNAIES=== | ||
Pour franchier cette première étape, il est nécessaire d’abolir les obstacles qui entravent les droits de propriété et la liberté des contrats dans le domaine monétaire. Ceci permettrait à la concurrence monétaire de se développer librement, comme l’ont proposé des économistes éminents dans les années 1970. Cela implique : | Pour franchier cette première étape, il est nécessaire d’abolir les obstacles qui entravent les droits de propriété et la liberté des contrats dans le domaine monétaire. Ceci permettrait à la concurrence monétaire de se développer librement, comme l’ont proposé des économistes éminents dans les années 1970. Cela implique : | ||
Ligne 83 : | Ligne 83 : | ||
Pour les pays qui adoptent ce système, l’or viendrait progressivement à circuler à la fois en tant que monnaie parallèle et monnaie commune. Cette monnaie-or commune serait en concurrence avec les "monnaies nationales" non convertibles. Toute expansion du volume de ces papiers-monnaies non convertibles provoquerait progressivement une évolution vers le remplacement de la "monnaie nationale" par une monnaie-or commune. | Pour les pays qui adoptent ce système, l’or viendrait progressivement à circuler à la fois en tant que monnaie parallèle et monnaie commune. Cette monnaie-or commune serait en concurrence avec les "monnaies nationales" non convertibles. Toute expansion du volume de ces papiers-monnaies non convertibles provoquerait progressivement une évolution vers le remplacement de la "monnaie nationale" par une monnaie-or commune. | ||
LA PRIVATISATION DE LA MONNAIE | ===LA PRIVATISATION DE LA MONNAIE=== | ||
Afin d’éviter la concurrence injuste venant du papier-monnaie géré par des institutions publiques (banques centrales ou d’autres) : a) une ou plusieurs banques centrales pourraient entreprendre de vendre ses réserves en or (moyennant retour des billets ou remboursement des créances des banques à la banque centrale), b) les billets de 200 F et de 500 F pourraient être échangés contre des pièces d’une valeur équivalente, libellés en francs et en grammes d’or. La parité serait déterminée par le marché, après une période de stabilité suffisante. A ce stade, les billets et les dépôts seraient échangés contre des pièces en or, libellées en francs ou en unités de poids d’or. Ainsi, l’once ou le gramme d’or seraient l’unité de compte, à la place du franc actuel. Si deux pays adoptaient ce système, l’or ferait d’abord figure de monnaie commune. Plus tard, au moment de la convertibilité à une parité de marché, la monnaie-or commune serait de facto une monnaie-or unique pour chaque pays ayant adopté la convertibilité métallique. Ainsi les monnaies nationales inconvertibles seraient radicalement transformées, passant du stade de papier-monnaie fiduciaire (après abolition de l’inconvertibilité et du cours forcé) en des créances par rapport à la monnaie unique, c’est-à-dire l’or. Les utilisateurs seraient toujours libres de compter en francs, mais ils pourraient également utiliser des unités telles que l’once ou le gramme d’or. Ils seraient libres d’utiliser des pièces, des billets convertibles ou des dépôts bancaires, rémunérés ou non. Cela permettrait de maintenir la diversité des instruments monétaires, laquelle serait un résultat du libre choix des utilisateurs. On verrait émerger plusieurs types de monnaies privées, avec de nouvelles exigences monétaires. Il est probable cependant que les quantités considérables d’or déjà entre les mains de millions de personnes seraient d’abord utilisées. | Afin d’éviter la concurrence injuste venant du papier-monnaie géré par des institutions publiques (banques centrales ou d’autres) : a) une ou plusieurs banques centrales pourraient entreprendre de vendre ses réserves en or (moyennant retour des billets ou remboursement des créances des banques à la banque centrale), b) les billets de 200 F et de 500 F pourraient être échangés contre des pièces d’une valeur équivalente, libellés en francs et en grammes d’or. La parité serait déterminée par le marché, après une période de stabilité suffisante. A ce stade, les billets et les dépôts seraient échangés contre des pièces en or, libellées en francs ou en unités de poids d’or. Ainsi, l’once ou le gramme d’or seraient l’unité de compte, à la place du franc actuel. Si deux pays adoptaient ce système, l’or ferait d’abord figure de monnaie commune. Plus tard, au moment de la convertibilité à une parité de marché, la monnaie-or commune serait de facto une monnaie-or unique pour chaque pays ayant adopté la convertibilité métallique. Ainsi les monnaies nationales inconvertibles seraient radicalement transformées, passant du stade de papier-monnaie fiduciaire (après abolition de l’inconvertibilité et du cours forcé) en des créances par rapport à la monnaie unique, c’est-à-dire l’or. Les utilisateurs seraient toujours libres de compter en francs, mais ils pourraient également utiliser des unités telles que l’once ou le gramme d’or. Ils seraient libres d’utiliser des pièces, des billets convertibles ou des dépôts bancaires, rémunérés ou non. Cela permettrait de maintenir la diversité des instruments monétaires, laquelle serait un résultat du libre choix des utilisateurs. On verrait émerger plusieurs types de monnaies privées, avec de nouvelles exigences monétaires. Il est probable cependant que les quantités considérables d’or déjà entre les mains de millions de personnes seraient d’abord utilisées. |