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modifications
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souple qui favorise le mouvement de concentration et d'organisation | souple qui favorise le mouvement de concentration et d'organisation | ||
collective sans le violenter. | collective sans le violenter. | ||
===§ 3. L'avenir du salariat.=== | |||
Telles sont les voies par lesquelles le prolétariat peut s'élever progressivement. | |||
Il faut qu'il réalise ses conquêtes successives par | |||
l'effort de sa volonté réfléchie, avec l'appui des pouvoirs publics, et | |||
qu'il poursuive sans cesse son éducation économique et intellectuelle | |||
pour avoir le moyen et le droit d'atteindre des destinées plus | |||
hautes. | |||
Dans ces destinées du prolétariat, les révolutionnaires n'aperçoivent | |||
qu'un but suprême à atteindre, l'abolition du salariat. Mais | |||
quelle distance entre leur rêve et la réalité! Le régime vers lequel | |||
nous porte le mouvement historique, loin d'exclure le salariat, | |||
suppose au contraire son extension. Ce n'est pas seulement le capitalisme | |||
qui, par la concentration des entreprises, accroît le nombre | |||
des salariés; le développement de la coopération, du socialisme | |||
d'État et du socialisme municipal produit exactement le même effet, | |||
puisque les personnes au service des sociétés de consommation et | |||
des exploitations publiques n'ont d'autre qualité que celle de salariés. | |||
En réalité, le socialisme d'État, s'il devenait intégral, généraliserait | |||
le salariat au point d'en faire le régime universel. | |||
Les institutions mêmes qui semblaient devoir limiter ou tempérer | |||
le salariat n'ont pas justifié les espérances qu'elles avaient fait naître | |||
à leurs débuts; la coopération de production est restée stationnaire, | |||
et la participation aux bénéfices a fait moins de progrès encore. La | |||
participation contractuelle, la seule qui n'ait pas le caractère d'une | |||
gratification à titre de bienfaisance, rencontre des obstacles aussi | |||
bien du côté des ouvriers que des patrons. Sans influence sérieuse | |||
sur la production dans les établissements à personnel nombreux, elle | |||
mot le chef d'entreprise dans l'obligation de livrer le secret de ses | |||
affaires; et si, d'autre part, elle entraîne une réduction du salaire | |||
forfaitaire au-dessous du taux courant, elle soumet le salarié à des, | |||
risques qu'il n'est généralement pas disposé à subir. Aussi la participation | |||
aux bénéfices est-elle restée une très rare exception; le | |||
nombre des maisons qui l'ont introduite, évalué à 230 ou 300 pour | |||
le monde entier en 1889, semble avoir diminué depuis cette époque'. | |||
Le salariat pur et simple ne recule donc ni devant la coopération de | |||
production, ni devant la participation aux bénéfices. Il s'étend à des | |||
1. Rapports dujury international de l'Expositionuniverselle de 1000,Introduction | |||
générale, Économiesociale,par Ch. Gide,p. 95. | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 367î | |||
couches plus nombreuses, à mesure que les exploitations s'agrandissent | |||
et que les populations agricoles se détachent de la terre. | |||
Mais le salariat n'implique par lui-même ni subordination personnelle, | |||
ni infériorité sociale. Encore une fois, la qualité de prolétaire | |||
n'est pas attachée au fait de louer ses services à temps pour une | |||
rétribution en argent; elle résulte de l'insuffisance du salaire, de | |||
l'instabilité de la position, et de la dépendance dans laquelle le | |||
salarié se trouve placé, par le fait de ces circonstances, vis-à-vis de | |||
ceux qui disposent des emplois. La condition d'un comptable, d'un | |||
ouvrier spécialiste, d'ùn ingénieur, d'un fonctionnaire, d'un salarié | |||
quelconque stable et bien payé, n'est pas moins avantageuse ni | |||
moins réellement indépendante que celle d'un entrepreneur de la | |||
même catégorie sociale. Or le salariat peut devenir, pour la plupart | |||
des travailleurs manuels, un état aussi satisfaisant; il n'existe | |||
aucune raison a prt&rt de penser le contraire, et les progrès déjà | |||
accomplis sous nos yeux autorisent toutes les espérances. Pour que | |||
le salariat cesse d'engendrer le prolétariat, il faut et il suffit qu'il | |||
subisse certaines modifications, profondes il est vrai, et difficiles à | |||
réaliser, mais dont aucune ne parait au-dessus des forces humaines, | |||
ni en dehors des conditions normales de l'évolution économique. | |||
Avant tout, le salaire doit être plus élevé. Sur le continent européen, | |||
le salaire de la plupart des travailleurs manuels est insuSEsant | |||
lors même qu'il est affecté tout entier aux besoins essentiels de | |||
la vie, il est trop faible encore pour procurer le bien-être, pour couvrir | |||
les charges de famille et les risques d'incapacité de travail. Le | |||
salaire des ouvriers agricoles est resté particulièrement bas, et celui | |||
des travailleurs à domicile est misérable.' | |||
Néanmoins, des progrès appréciables ont été déjà réalisés. Dans | |||
tous les pays civilisés, le taux général des salaires a haussé pendant | |||
la seconde moitié du xix" siècle, tandis que le prix des choses nécessaires | |||
à l'existence s'est élevé moins vite, ou même a diminué à partir | |||
de 1880. D'après les études statistiques de M. Bowley, la hausse=des | |||
salaires en argent, depuis 1850, a été plus forte en France et aux | |||
États-Unis qu'en Angleterre. Mais, depuis cette époque, le coût de la | |||
vie a augmenté d'environ 20 p. 100 en France; il est resté à peu près | |||
stationnaire aux États-Unis il a beaucoup diminué en Angleterre. | |||
Aussi M. Bowley, tenant compte des variations du pouvoir de l'argent, | |||
estime-t-il que le salaire réel, dans ces trois pays, a haussé, pendant | |||
cette période, dans une même proportion de 80 à 90 p. 100. Si le taux | |||
des salaires reste assez inégal chez les différents peuples, le mouve368 | |||
LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
ment de hausse proportionnelle n'est cependant pas sensiblement | |||
différent il se constate aussi en Belgique, en Allemagne, en Italie, | |||
dans tous les pays prospères, et particulièrement chez les peuples | |||
qui accomplissent leur transformation économique | |||
La cause générale de ce phénomène est évidemment l'accroissement | |||
de la productivité du travail par le fait des progrès techniques. | |||
S'il était nécessaire de confirmer ce point de vue, on montrerait facilement | |||
que le taux des salaires est d'autant plus élevé dans un pays | |||
que les instruments de la production y sont plus perfectionnés; on | |||
pourrait d'ailleurs aussi bien démontrer que l'élévation des salaires | |||
provoque à son tour les perfectionnements du machinisme. De l'accroissement | |||
de la production, les classes ouvrières tirent un double | |||
avantage une hausse de leur salaire en argent, et une diminution | |||
du coût de l'existence. Ces deux tendances ne sont nullement contradictoires | |||
si les entrepreneurs parviennent, par des améliorations | |||
techniques, à multiplier les produits en réduisant le coût de l'unité, | |||
il leur est possible d'accorder des augmentations de salaires tout en | |||
diminuant le prix de la marchandise. C'est donc à la fois par la | |||
hausse du salaire et par l'abaissement du prix de la vie que les travailleurs | |||
peuvent avoir leur part du progrès matériel. Et, en fait, | |||
c'est bien ainsi que les choses se sont passées; grâce à une augmentation | |||
régulière du salaire depuis 50 ans, grâce à une diminution | |||
générale des prix depuis 30 ans, le bien-être s'est accru dans les | |||
classes ouvrières, sans d'ailleurs que cet accroissement ait été proportionnel | |||
à celui de la production. | |||
L'accroissement de la production par le progrès scientifique, qui a | |||
rendu possible la hausse générale des salaires au xix" siècle, ne | |||
suffit cependant pas à l'expliquer. S'il existait, en effet, une loi | |||
naturelle limitant le salaire au minimum strictement indispensable | |||
à l'entretien de la vie physiologique, si le salaire, en d'autres termes, | |||
n'offrait quelque résistance que par la mortalité de la population | |||
ouvrière, l'accroissement de la production, en réduisant le prix des. | |||
choses nécessaires à la vie, n'aurait eu d'autre effet pour les travailleurs | |||
que d'abaisser leur salaire en argent. Il est vrai que les théoriciens | |||
de la loi d'airain ne lui ont jamais donné cette rigueur, et | |||
qu'ils ont toujours admis l'influence des habitudes du milieu sur la | |||
détermination du salaire minimum; mais leur formule est alors si | |||
contingente, elle fait une place si importante à l'action effective des | |||
exigences de la classe ouvrière, qu'elle perd toute signification rigoui. | |||
Voir AnnexeIX. | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 36.9 | |||
LES SYSTÈMES SOCIALISTES. | |||
Teuse et tout caractère de contrainte; le cercle d'airain se desserre | |||
-comme un ruban élastique. | |||
Là se trouve, en effet, la vérité. Si le salaire s'est élevé en même | |||
temps que la productivité du travail, c'est qu'il possède une force de | |||
résistance et d'expansion qui ne dépend pas seulement de la diminution | |||
de la population ouvrière; c'est qu'il puise cette force dans la | |||
volonté des travailleurs coalisés. En l'absence d'une solide organisation | |||
ouvrière, le salaire est bien la partie la plus compressible des | |||
frais de production, celle que la concurrence peut abaisser jusqu'au | |||
point où la misère réduit effectivement l'offre de la main-d'oeuvre; | |||
mais, par l'effort combiné des travailleurs, le salaire peut devenir au | |||
contraire un élément extensible des frais, et même un élément irréductible | |||
résistant à une baisse du prix du produit. | |||
lesBeuanuiocnosup odu'vércioènreosmisatnesgiaisterasi,tentde dm'haéinrétesineir la enpréttoenuttionétat émdeisecaupsaer | |||
un certain minimum de salaire correspondant à l'étalon de vie habi- | |||
teunel toucteettecircthoénosrtaienced, u nliovuinrrgir msaegse,hodm'ampreèss eltaqauseslulerer l'inàducesturxie qud'eolilte, | |||
emploie un minimum d'existence, leur parait se heurter à des lois | |||
naturelles inéluctables. Pour eux, les volontés humaines les mieux | |||
trempées, les plus unies, les plus tendues par l'excès du désespoir, | |||
.doivent se briser devant la loi implacable qui soumet les salaires aux | |||
variations des prix du produit. | |||
Mais cette vue théorique, inspirée, il est vrai, par l'observation de | |||
certains faits concluants en apparence, ne représente cependant | |||
,qu'un côté du problème complexe de la valeur. En formulant avec | |||
dceettevenptreéciseixoenrcelaunsueboirndfilnuaetniocne indcuonsteaslatairbel,e onsuorublleieprqixue,desireleviepnrti,x | |||
celui-ci, à son tour, agit par ses variations sur le prix du produit; | |||
dans le conflit perpétuel des éléments en concurrence, la force décide | |||
'de la victoire. | |||
Parmi les frais de production, il en est qui, à raison des circonstances, | |||
n'ont aucune force interne de résistance, et qui suivent docilement | |||
les mouvements des prix du produit c'est le cas, généralement, | |||
pour le fermage aux époques de renouvellement du bail, pour | |||
'l'intérêt du capital immobilisé, et même, dans une certaine mesure, | |||
pour le prix de la matière première quand elle n'a qu'un seul débouché. | |||
D'autres, au contraire, sont irréductibles soit qu'ils puisent leur | |||
force dans la loi, comme les impôts; soit qu'ils trouvent des points | |||
,d'appui extérieurs et des débouchés en dehors de l'industrie en souffrance, | |||
comme les frais d'assurances, les taxes de transport, les loyers | |||
370 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
~d=es Tmnangcarnsisn!nsa rdtef vwenntcte aauu ddééttaaiill eett ll''iinnttéérrêêtt ddeess ccaappiittaauuxx cciirrccuullaanntst.s. | |||
Ces frais sont intangibles, et l'industrie qui ne peut les payer est | |||
impuissante à les réduire; elle doit restreindre elle-même sa production, | |||
jusqu'à ce que les prix soient remontés au niveau nécessaire | |||
pour les couvrir; ces sortes de frais, au lieu d'être déterminés par le | |||
prix de vente, contribuent au contraire à le déterminer. | |||
Or, les éléments du coût de production qui possèdent ce privilège | |||
ne forment pas une catégorie invariable et fermée; tel élément, qui | |||
s'impose à un taux irréductible dans certains cas, cesse sa résistance | |||
dans d'autres, et inversement; c'est une question de force subordonnée | |||
aux circonstances. Les salaires peuvent eux-mêmes, par la | |||
puissance de la loi ou des organisations ouvrières, avoir une force | |||
suffisante pour s'imposer à un taux minimum comme le loyer de | |||
l'argent ou les impôts, et pour forcer la production à se restreindre | |||
lorsque les prix sont trop bas. Si les unions ouvrières sont capables | |||
de soutenir leurs chômeurs et d'exercer leur influence sur l'ensemble | |||
des ouvriers de la profession, elles préféreront cette politique de | |||
résistance à celle des concessions illimitées; elles aimeront mieux | |||
aggraver le chômage par leur fermeté, et appauvrir en conséquence | |||
leurs caisses de secours, que de consentir à des abaissements qui pourraient | |||
se consolider comme dans les industries à domicile. En Angleterre, | |||
depuis la constitution de trade-unions puissantes, les salaires. | |||
au lieu de tomber comme jadis, se maintiennent relativement | |||
stables dans les périodes de dépression industrielle, sans que le | |||
chômage soit devenu plus intense dans les mêmes périodes | |||
Il n'v a donc aucune raison théorique pour considérer les salaires | |||
comme destinés fatalement à subir le contre-coup des plus extrêmes | |||
fluctuations des prix. Et de fait, dans le dernier demi-siècle qui | |||
s'est écoulé, si les salaires ont été réduits pendant les périodes de | |||
crise. la baisse ne leur a pas fait perdre tout le terrain gagné; les | |||
reculs momentanés n'ont été que des oscillations dans un mouvement | |||
général de hausse. | |||
Ce mouvement est destiné à se prolonger et à grandir encore, | |||
parce que ses causes agiront dans l'avenir avec une force grandissante. | |||
Les découvertes de la science et la diffusion des connaissances | |||
techniques ne cesseront d'accroître la productivité du travail dans. | |||
l'agriculture et dans l'industrie; les conditions resteront donc favorables | |||
à la hausse générale des salaires, sauf dans quelques industries | |||
où la main-d'oeuvre pourra se trouver momentanément atteinte | |||
t. TuMmBaranowski, Studien sMt-Theorieund G<Mc7t:'c/dte~r Handelskrisenin | |||
E~S7K<, p. 234, Iéna, Fischer, MOI,in-S". | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTIONET LA POLITIQUE SOCIALE =371I | |||
par de brusques transformations du machinisme. En outre, les | |||
associations ouvrières, selon toute vraisemblance, se fortifieront par | |||
l'accroissement de leurs membres et de leurs ressources, par le perfectionnement | |||
de leurs méthodes et la centralisation de leur direction. | |||
Les salariés seront donc mieux armés dans l'avenir que par le | |||
passé; ils sauront mieux profiter de l'essor de la production pour | |||
élargir leur part dans la richesse sociale. | |||
Mais, ici encore, le théoricien pessimiste intervient pour jeter sa | |||
note découragée Qu'importe la hausse générale des salaires? Quelle | |||
amélioration peut-elle procurer aux classes ouvrières, si elle doit | |||
entraîner, par l'augmentation des prix de revient, une hausse gênérale | |||
des prix et un accroissement équivalent des charges de la vie | |||
pour les travailleurs? | |||
Rien de tel cependant, ni en théorie ni en fait. En admettant | |||
même que la hausse des salaires se répercute exactement sur les prix | |||
des marchandises, il ne peut pas arriver que les prix haussent dans | |||
la même proportion que les salaires; car les prix ne se composent | |||
pas seulement des salaires; ils renferment d'autres éléments constitutifs, | |||
l'intérêt, le revenu foncier, le profit, qui ont plutôt une tendance | |||
à baisser. Si, par exemple, le prix d'une marchandise contient | |||
3 francs de salaires et 3 francs de revenus capitalistes, et si le salaire = | |||
vient à doubler, le prix ne doublera pas, mais passera de 6 à 9 francs. | |||
Or, il n'est pas indifférent à l'ouvrier de recevoir 6 francs au lieu | |||
de 3, alors même que le produit devrait coûter désormais 9 francs | |||
au lieu de 6; sa part proportionnelle dans le produit s'élève de la i | |||
moitié aux deux tiers. Tandis que la hausse générale des salaires pro- :L: | |||
fite exclusivement à la classe ouvrière, la hausse des prix qui peut | |||
en résulter ne pèse pas sur elle seule, et ne l'atteint en aucune façon | |||
quand il s'agit d'objets qui n'entrent pas dans sa consommation | |||
ordinaire. | |||
Cette dissertation, théorique est d'ailleurs dénuée d'intérêt, parce | |||
qu'elle suppose, à côté du salaire croissant, des frais qui restent | |||
invariables. Or, en fait, les progrès de la production et des transports | |||
ont tellement réduit les frais, même pour les produits agricoles, que | |||
dans tous les États qui n'ont pas à supporter des charges exceptionnelles, | |||
le coût de l'existence a plutôt diminué depuis trente ans, | |||
malgré la hausse générale des salaires. A part le logement dans les j | |||
grandes villes, la viande, le lait et quelques produits moins importants, | |||
tous les objets de consommation populaire, tous les articles | |||
fabriqués de qualité commune sont aujourd'hui moins chers qu'en | |||
1870, et le seront moins encore dans l'avenir. | |||
372 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
_n.a | |||
Pour que le salariat perde son caractère oppressa, 11ue sm.m pnB | |||
que le travail soit mieux rétribué; il faut aussi qu'il soit moins | |||
pénible, moins absorbant et moins dangereux. A cet égard encore, | |||
les améliorations réalisées depuis une cinquantaine d'années nous | |||
font présager celles qui seront obtenues à l'avenir. | |||
Dans la grande industrie, les journées de 13 à 15 heures ont fait | |||
place aux journées de 10 heures, et même à des durées plus courtes | |||
en Angleterre et en Australie, grâce aux exigences des lois de fabrique | |||
et des unions ouvrières. L'hygiène industrielle a été notablement | |||
améliorée, sur l'initiative des chefs d'industrie ou par l'effet des | |||
prescriptions légales. Or la loi, les associations ouvrières, l'action | |||
patronale elle-même, sont des forces qui continueront à agir dans le | |||
même sens avec une énergie croissante. | |||
Il faut encore, pour que le contrat de travail ne conserve aucune | |||
trace des anciens rapports de sujétion, que les termes en soient parfaitement | |||
définis, et que le mode, la qualité et la durée des prestations | |||
à fournir par lé travailleur soient nettement déterminés. A | |||
cette condition, le salarié n'est plus un serviteur à la discrétion de | |||
celui qui loue ses services; c'est un homme libre, qui a vendu une | |||
quantité de travail bien délimitée. Le contrat de travail tend certainement | |||
à prendre ce caractère de précision dans les pays où il est | |||
conclu par les associations ouvrières le contrat collectif fait perdre | |||
au louage de services son caractère irritant, surtout lorsqu'il est | |||
conclu par des groupes de travailleurs qui s'engagent à exécuter certains | |||
ouvrages pour un prix déterminé'. | |||
Reste enfin, pour les salariés, à conquérir le bien le plus précieux | |||
et le plus essentiel, la sécurité de l'avenir. A cet égard, la loi leur | |||
est déjà venue en aide, en posant de nouveaux principes sur la | |||
responsabilité des accidents de travail et, dans certains pays, en | |||
instituant l'assurance obligatoire pour la maladie, l'invalidité et la | |||
vieillesse; en matière d'assurances ouvrières, la législation a été particulièrement | |||
féconde dans ces dernières années; elle le sera plus | |||
encore à l'avenir. Il faut observer aussi que le salaire, s'il devient | |||
plus élevé, permettra mieux l'épargne au travailleur, et le garantira | |||
davantage contre les risques auxquels il reste exposé. | |||
Mais il n'y a de véritable sécurité pour l'ouvrier que s'il peut | |||
compter sur la stabilité de son emploi. Nous rencontrons ici l'obstacle | |||
qui s'oppose incessamment aux efforts de la classe ouvrière, le mal | |||
dont elle souffre le plus dans notre organisation économique le | |||
1. Schloss, Lesmodes de !-<fn:M):e!M!t du travail, trad. Rist, Giard, 1902,in-S". | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 3?3 | |||
.cth.Aô~mage. 1N\Tul~ pro.biWlème plnus dooulor ureux et plus pressant, nul non | |||
plus qui échappe davantage à la volonté humaine; devant ce | |||
vice inhérent au régime de la concurrence, il semble jusqu'ici que | |||
la civilisation moderne reste impuissante. Et pourtant, sur ce | |||
point même, divers symptômes permettent d'espérer un état | |||
meilleur. | |||
Les crises générales, qui provoquent les chômages en masse les | |||
plus difficiles à secourir, semblent devoir s'atténuer. Quant aux chômages | |||
partiels, qui paraissent inévitables, ils peuvent cependant | |||
devenir moins intenses et moins fréquents. Le service du placement | |||
se perfectionne dans les offices municipaux et les Bourses du travail, | |||
qui se fédèrent pour organiser un service de renseignements centralisé, | |||
tandis que les syndicats facilitent les déplacements par des | |||
secours de route. D'autre part, les coalitions de producteurs, les associations | |||
ouvrières et les lois limitant la durée du travail agissent | |||
simultanément pour régulariser l'allure de la production, même dans | |||
les industries soumises aux variations de la mode. En temps normal | |||
et vis-à-vis d'un nombre restreint de chômeurs, des unions ouvrières | |||
fortement constituées comme en Angleterre sont capables de fournir | |||
des secours importants. Nous pouvons espérer que le remède se trouvera | |||
un jour dans une organisation généralisée de l'assurance ou de | |||
l'assistance contre le chômage, entreprise par les syndicats ouvriers | |||
avec l'aide des pouvoirs publics, ou par des corporations professionnelles | |||
de patrons et d'ouvriers, légalement organisées et rendues responsables | |||
des irrégularités de l'industrie vis-à-vis du personnel | |||
salarié de la profession. Quant & la masse flottante des incapables, | |||
des faibles et des infirmes qui sont en chômage chronique, elle reste | |||
nécessairement en dehors des organisations professionnelles et ne. | |||
relève que de l'assistance mais ce n'est pas elle qui pèse sur le salaire | |||
des ouvriers valides et laborieux. | |||
Le chômage et le sK.'ea~ny system dans les industries à domicile, | |||
voilà les deux grandes plaies des sociétés modernes. Sont-ce les | |||
seules? La situation des travailleurs, loin de s'améliorer, ne tend-elle | |||
pas encore à empirer par l'émigration des ouvriers agricoles et | |||
des très petits propriétaires ruraux vers les villes et les centres | |||
industriels? On ne peut nier que ce soit là un symptôme de malaise | |||
pour le prolétariat agricole. Toutefois, il ne faudrait pas l'interpréter | |||
sous des couleurs trop sombres. Si les travailleurs agricoles émigrent | |||
vers les villes, c'est sans doute qu'ils y trouvent des salaires plus | |||
élevés, et, à tout prendre, des conditions meilleures, non seulement | |||
dans l'industrie, mais aussi dans les petits emplois des chemins de | |||
374 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
fer, des administrations et du commerce. Par le fait de cette émigration, | |||
les ouvriers qui restent attachés à l'agriculture se trouvent | |||
eux-mêmes dans une situation plus favorable. Le mouvement peut | |||
se prolonger, mais non pas indéfiniment; il correspond à un état | |||
transitoire de la transformation économique d'un pays; il marque | |||
l'étape douloureuse par laquelle doit passer le prolétariat pour s'agglomérer | |||
en masses puissantes et s'affranchir des servitudes économiques | |||
qui pèsent encore sur lui. | |||
Le salariat peut donc devenir un état dans lequel le travailleur et | |||
l'employé trouveront plus de bien-être, d'indépendance et de sécurité. | |||
Bien que ces vues d'avenir se basent sur l'expérience de certains | |||
résultats déjà obtenus dans les pays les plus avancés, peut-être | |||
paraîtront-elles empreintes d'un optimisme excessif. Mais il ne faut | |||
pas oublier qu'une certaine dose d'optimisme est nécessaire dans les | |||
choses humaines, parce que l'optimisme est par lui-même une force | |||
qui tend à réaliser ses fins. On ne veut pas dire que l'élévation des | |||
classes ouvrières s'accomplira mécaniquement; elle ne se fera pas | |||
sans efforts et sans luttes; il y faut l'action persévérante des salariés | |||
étroitement unis dans leur volonté de s'émanciper eux-mêmes; il y | |||
faut aussi le concours de la puissance publique et de tous les hommes | |||
de bonne volonté. Mais cette tâche n'est pas impossible; l'oeuvre du | |||
relèvement des travailleurs ne rencontre pas d'obstacle infranchissable | |||
dans les lois naturelles du monde économique, et se trouve au | |||
contraire en harmonie avec l'ensemble du procès historique des | |||
sociétés modernes. | |||
Ce but, on l'atteindra d'autant mieux que les hommes sauront | |||
renoncer à leurs préjugés de classe, et cesseront de se représenter | |||
les hommes d'une autre classe sous les traits les plus corrompus. La | |||
classe ouvrière n'est pas la seule portion saine de là société; mais | |||
elle renferme les plus précieuses qualités de dévouement, de générosité | |||
et de solidarité; elle possède une abondante réserve de forces | |||
neuves, une élite d'hommes remarquables par leur caractère et leurs | |||
aptitudes administratives, qui se révèlent plus nombreux à mesure | |||
que les fonctions électives leur donnent l'occasion de mettre ces | |||
qualités en valeur dans les associations ouvrières et les administrations | |||
publiques. Ces hommes sont les organisateurs et les éducateurs | |||
naturels de leur classe; c'est à eux qu'il appartient, par un usage | |||
viril de leur autorité morale, d'enseigner à la classe ouvrière la pratique | |||
de ses devoirs sociaux, la contrainte sur soi-même, la persévérance | |||
dans l'accomplissement des obligations syndicales, la loyauté | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 373 | |||
dans les rapports avec les employeurs, le respect des engagements | |||
librement contractés. | |||
De même encore, on peut dire que les travailleurs manuels ne constituent | |||
pas la nation tout entière, et que les problèmes qui les concernent | |||
ne sont pas les seuls intéressants pour la communauté nationale | |||
fussent-ils la masse, les salariés ne sauraient s'isoler des autres | |||
classes ni dédaigner l'opinion publique, dont la faveur n'est pas | |||
indifférente au succès de leurs revendications. Mais les questions | |||
ouvrières sont aussi les plus urgentes de l'heure présente, et nul | |||
homme de coeur, nul homme doué de quelque sens politique ne peut | |||
s'en désintéresser. S'il est vrai que l'état d'abaissement des prolétaires | |||
est pour une nation un état de barbarie, s'il est vrai que l'espritrévolutionnaire | |||
est une menace constante pour la civilisation, il n'est | |||
rien de plus essentiel pour la société moderne que le progrès des | |||
classes ouvrières; au point de vue même des intérêts matériels, il | |||
n'est rien de plus nécessaire, puisque toutes les conditions de l'accroissement | |||
des richesses, perfectionnement du machinisme, intensité | |||
et habileté du travail humain, sontétroitementliëesà l'élévation | |||
des salaires et au bien-être des travailleurs. | |||
C'est dire que les entrepreneurs eux-mêmes, considérés en général, | |||
sont intéressés à ce progrès. Dans une population ouvrière préservée | |||
du surmenage, de la misère et de l'alcoolisme, les chefs d'établissement | |||
trouvent des travailleurs plus habiles et plus vigoureux, capables | |||
de conduire des machines délicates et d'atteindre le maximum | |||
de production. S'ils peuvent traiter avec des associations assez fortes | |||
pour assurer l'observation des contrats, ils entretiennent avec leurs | |||
ouvriers des rapports plus réguliers et plus sûrs; ils obtiennent la | |||
fixité des salaires, et se mettent à l'abri des grèves pendant la durée | |||
prévue par le contrat collectif. Si des dispositions légales et contractuelles, | |||
rigoureusement appliquées dans l'ensemble de l'industrie, | |||
limitent la journée de travail, interdisent le travail de nuit et prescrivent | |||
des jours de repos, ils y trouvent une protection contre | |||
l'expansion soudaine et momentanée de la production, et sont moins | |||
exposés aux crises de surproduction. Pourquoi donc redouteraientils | |||
l'accroissement de la puissance des travailleurs, s'il doit en résulter | |||
un état d'équilibre organisé où il y aura, pour eux comme pour les | |||
salariés, plus d'ordre et de sécurité? | |||
Il est vrai que le coût de production s'élève, toutes les fois que | |||
la loi ou les associations ouvrières introduisent une amélioration | |||
en faveur des salariés. Mais de même qu'en définitive un entrepreneur | |||
ne profite pas d'une baisse des salaires, parce que ses concur376 | |||
LES SYSTEMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
rents bénéficient de réductions semblables, de même il ne souffre pa?. | |||
d'un relèvement des salaires ou d'une diminution de la journée de | |||
travail, quand la règle est établie par la loi ou par de puissantes | |||
organisations syndicales qui peuvent l'imposer à tous; les conditions | |||
de la concurrence se trouvent alors égalisées, et les prix doivent se | |||
conformer au mouvement des frais. Si l'observation de la règle commune | |||
est rigoureusement contrôlée, soit par des inspecteurs du | |||
travail, soit par des syndicats patronaux et ouvriers suivant les | |||
cas, la concurrence déloyale des côtoyeurs qui font travailler ou | |||
acceptent de travailler à des conditions inférieures se trouve écartée. | |||
Il n'y a, pour souffrir de la situation, que les entreprises parasites, | |||
celles qui ne parviennent à subsister que par l'exploitation abusive" | |||
des forces de travail; celles-là sont condamnées à succomber; c'est | |||
un mal social qui disparaît. | |||
Mais que deviennent les industries nationales, si elles ont il supporter | |||
des frais qui leur rendent la lutte impossible vis-à-vis de la | |||
concurrence étrangère? L'objection se retrouve à toute époque et | |||
en tout pays, contre toute réforme proposée en faveur de la classe | |||
ouvrière; elle est certainement grave, si l'on considère les intérêts | |||
immédiats des industries exposées à la concurrence étrangère. Mais | |||
toutes les industries d'un pays ne sont pas dans ce cas; l'industrie | |||
du bâtiment, les petites industries de l'alimentation et le commerce | |||
de détail, par exemple, n'ont rien à redouter de ce côté. D'autres | |||
branches de la production n'ont à subir la concurrence des produits | |||
étrangers que sur le marché intérieur; à celles-là, il est possible | |||
d'accorder une protection contre les pays retardataires qui menaceraient | |||
par leur concurrence les conquêtes de la classe ouvrière. | |||
L'objection ne prend toute sa force qu'à l'égard des industries d'exportation. | |||
Toutefois, l'expérience nous montre que les pays où la | |||
situation des travailleurs est la plus haute sont aussi les premiers | |||
dans la lutte industrielle; le travail y est plus productif, à cause de la | |||
vigueur des ouvriers et du développement du machinisme, de sorte | |||
que, malgré des salaires plus forts et des journées plus courtes, le | |||
coût de la main-d'oeuvre y est moins élevé qu'ailleurs. | |||
Cette observation n'a d'ailleurs qu'une valeur relative. Les hauts | |||
salaires et les courtes journées n'exercent leur effet sur la productivité | |||
du travail qu'à longue échéance, par la formation de nouvelles | |||
couches de travailleurs soumis à une meilleure hygiène et à une | |||
meilleure éducation professionnelle; il peut donc arriver qu'une | |||
hausse des salaires ou une réduction du temps de travail s'opérant | |||
d'une façon trop brusque dans un pays rompe momentanément. | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 377 | |||
"·,· -1- _· .t~t: .J.1.M n· l'équilibre au détriment de certaines industries nationales. D'un | |||
autre côté, l'avantage attaché à l'emploi d'ouvriers bien payés,. | |||
incontestable dans les industries mécaniques où la perfection du | |||
machinisme assure la prééminence, cesse d'exister dans les industries a, | |||
domicile; là, les prix les plus bas, qui permettent de triompher sur les | |||
marchés extérieurs, ne peuvent être obtenus que par les pires excès | |||
d'exploitation à l'égard des travailleurs. Reste à savoir si une nation | |||
est réellement intéressée, même au point de vue purement utilitaire, | |||
à conserver des industries qui exportent le sang et la vie des hommes. | |||
Un jour viendra sans doute où les États se lasseront de cette luttehomicide, | |||
comme ils se lassent déjà des primes à l'exportation. | |||
Soit par la force de l'exemple, soit par des conventions diplomatiques, | |||
soit même par des accords entre syndicats de producteurs | |||
ou entre associations ouvrières, les limitations du travail se généraliseront, | |||
en même temps que les salaires poursuivront leur mouvement | |||
de hausse parallèle dans les différents pays industriels. La concurrence | |||
étrangère n'est pas, en définitive, un obstacle a l'ascension | |||
des classes ouvrières, parce que les mêmes causes agissent dans les' | |||
pays en concurrence pour déterminer une progression simultanée. | |||
Lorsque le salariat aura subi ces transformations, l'opposition | |||
d'intérêts entre employeurs et salariés subsistera encore, comme ell& | |||
existe entre producteurs et négociants, entre commerçants et consommateurs, | |||
entre tous ceux qui ont à débattre les clauses d'un | |||
marché; mais la lutte de classes, l'antagonisme haineux et violent, | |||
perdra sa raison d'être et cessera naturellement. La lutte de classes, | |||
est une révolte de la classe ouvrière contre un certain état de dépendance | |||
économique. Mais si l'on admet par présomption qu'un salaire | |||
plus élevé donnera un jour l'aisance aux travailleurs, qu'une journée | |||
de travail plus courte leur permettra d'atteindre un plus haut degré | |||
de culture, que des contrats soigneusement faits limiteront exactement | |||
la somme d'efforts à fournir pour un prix déterminé, les travailleurs | |||
se trouveront alors, comme vendeurs de travail, dans les mêmes conditions | |||
d'indépendance et d'égalité que des vendeurs de matières ou | |||
de machines. Il existera naturellement entre eux et les acheteurs une | |||
opposition d'intérêts, mais qui n'aura aucune raison de se transformer | |||
en guerre de classes; les vendeurs de travail, n'ayant pas à | |||
subir la domination des acheteurs, n'auront pas plus de motifs que | |||
les vendeurs de marchandises pour haïr les chefs d'entreprise avec | |||
lesquels ils se trouveront en relations d'affaires, surtout si les entrepreneurs, | |||
contractant avec des groupes coopératifs, se trouvent dispensés | |||
de toute surveillance; et les employeurs, de leur côté, sauront | |||
378 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
accepter les exigences des ouvriers et les hausses de salaires avec | |||
autant de sang-froid et de résignation qu'ils subissent aujourd'hui | |||
les hausses du prix de la houille ou du. coton. |
modifications