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modifications
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en mesure d'imposer sa solution simpliste à un organisme aussi | en mesure d'imposer sa solution simpliste à un organisme aussi | ||
complexe que celui des sociétés contemporaines. | complexe que celui des sociétés contemporaines. | ||
==Chapitre 18. Le sens de l'évotution et la politique sociale. | |||
Extension du capitalisme et organisation des forces collectives, tels | |||
sont les deux grands faits qui donnent au mouvement économique | |||
contemporain son caractère propre. Le capitalisme, sous des formes | |||
concentrées qui multiplient sa puissance, et par des procédés de crédit | |||
perfectionnés qui l'étendent d'une façon moins apparente, domine la | |||
plus grande partie de la production et de la circulation il atteint son | |||
maximum d'énergie dans les sociétés par actions, les cartels et les | |||
trusts. Il rencontre cependant des entraves et des limites dans certaines | |||
autres formes collectives, sociétés coopératives urbaines et | |||
rurales, syndicats ouvriers, État et municipalités, dont l'importance | |||
économique grandit rapidement depuis une trentaine d'années. On | |||
trouve donc à la fois, dans nos sociétés modernes, les éléments d'une | |||
puissante aristocratie industrielle et financière, et ceux d'une large | |||
démocratie rurale, industrielle et commerciale, dont les forces se | |||
tiennent en équilibre sous le contrôle de l'État régulateur. | |||
Dans l'avenir, tel qu'on peut l'entrevoir en prolongeant par la | |||
pensée le développement des organes qui paraissent les plus vivaces | |||
et les plus progressifs, l'association jouera un rôle plus important | |||
encore qu'aujourd'hui. Sociétés et coalitions capitalistes, syndicats | |||
de petits producteurs agricoles et industriels, sociétés coopératives | |||
diverses, fédérations coopératives gérant des entreprises de production, | |||
exploitations de l'État et des municipalités, associations patronales | |||
et unions ouvrières, seront les éléments essentiels de la constitution | |||
economique. | |||
Car l'association appelle l'association. Un cartel de producteurs | |||
provoque la formation d'un cartel de défense; la pression d'un synLE | |||
SENS DE L'ÉVOLUTMN ET LA POLITIQUE SOCIALE 381 | |||
dicat ouvrier détermine les patrons à se syndiquer, ou inversement; | |||
le syndicat agricole donne naissance a la caisse rurale et à la caisse | |||
d'assurances mutuelles, la banque coopérative à la société de consommation, | |||
etc. Dans chaque groupe, les associations élémentaires se | |||
rapprochent, dès qu'elles sont assez nombreuses et assez fortes pourformer | |||
entre elles des fédérations. Des rapports s'établissent entregroupes | |||
et fédérations de nature différente; des relations contractuelles | |||
complexes unissent les différentes branches de la coopération | |||
urbaine et rurale, et rattachent les coopératives urbaines aux syndicats | |||
ouvriers; des contrats se forment entre les sociétés capitalistes. | |||
et les autres associations, entre les unions patronales et ouvrières, et | |||
ainsi de suite. Les sociétés civilisées paraissent donc appelées à | |||
prendre des formes d'organisation plus régulières, dans lesquelles | |||
les éléments sociaux si longtemps dispersés seront plus solidaires et | |||
mieux coordonnés. | |||
Il est inévitable, enfin, que les mêmes liens de coordination et desolidarité | |||
se développent entre les nations avec les progrès de la | |||
colonisation et des transports. Dès aujourd'hui, les coalitions de producteurs | |||
et les fédérations ouvrières tendent à se former par-dessusles | |||
frontières. Les conventions diplomatiques, déjà si fréquentes | |||
en matière de douanes, de navigation, déprimes à l'exportation, de | |||
poids et mesures, de chemins de fer, de postes et télégraphes, demesures | |||
sanitaires, d'émigration, d'assistance, d'extradition, etc. | |||
s'appliqueront à bien d'autres objets qui, comme la protection | |||
légale des travailleurs, les trusts et les assurances, présentent un | |||
intérêt international; déjà les mesures de protection ouvrière sont. | |||
entrées dans le domaine des accords diplomatiques, à la suite du | |||
traité de travail franco-italien et de la Conférence de Berne. Et | |||
tandis que les règles internationales se multiplient, les législations | |||
nationales elles-mêmes tendent à s'uniSer. La connexité des intérêts | |||
économiques établira sans doute dans le monde l'unité de civilisation | |||
que la communauté des croyances religieuses avait su réaliser dans. | |||
l'Europe du moyen âge. | |||
§ I. L'idée démocratique, son rôle dans l'évolution. | |||
Le mouvement générai de concentration et de fédération est un | |||
grand courant historique qu'aucune puissance humaine ne saurait. | |||
arrêter ou détourner. En vain cherche-t-on, dans certains paya,. | |||
382 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
.à fortifier la petite industrie en restaurant la corporation de métiers | |||
obligatoire; en vain s'efforce-t-on, par des mesures législatives, | |||
d'empêcher l'agrandissement des entreprises, la formation des cartels | |||
et des trusts, la croissance des grands magasins et des coopératives | |||
la concentration se poursuit, à peine retardée par des lois | |||
facilement éludées. En vain les théoriciens déploient-ils toutes les | |||
ressources de leur dialectique pour démontrer la malfaisance des | |||
lois réglementant le travail, et l'impuissance des syndicats ouvriers | |||
à défendre le salaire contre le jeu naturel des prix; Parlements et | |||
unions ouvrières accentuent leur politique, et fixent successivement | |||
les règles qui assurent au travailleur une existence normale. La | |||
résistance aux lois du mouvement économique n'est guère moins | |||
inefficace et moins nuisible que la lutte contre le machinisme; il | |||
faut savoir s'incliner devant le déterminisme des grandes évolutions | |||
historiques, et y conformer ses actes au lieu de s'épuiser en | |||
résistances stériles. | |||
Est-ce aveu d'impuissance, et fatalisme philosophique condui- | |||
-sant à l'inaction? Nul ne se résignerait à l'abdication de la volonté | |||
humaine, et les penseurs les plus déterministes se défendent euxmêmes | |||
d'être fatalistes. Les lois naturelles de l'évolution n'ont pas | |||
un tel caractère de rigueur qu'elles ne laissent aucune place au droit | |||
-consensuel; l'action volontaire et consciente de l'homme reste efficace, | |||
à la condition de ne pas s'exercer à contre-sens. Les nécessités | |||
historiques, disent avec raison les socialistes contemporains, ne | |||
résultent pas de forces purement mécaniques; elles ne sont pas | |||
faites seulement de contraintes économiques reposant sur les bases | |||
'techniques de la production. Parmi les facteurs qui déterminent | |||
l'évolution, les idées, les notions traditionnelles contenues dans le | |||
droit, la coutume et les moeurs, les conceptions morales élaborées | |||
par la conscience, jouent un rôle considérable, dont l'importance | |||
paraît grandir avec la civilisation. II est permis à l'homme de conce- | |||
-voir un idéal; et cet idéal, quand il se propage dans les intelligences, | |||
devient une source d'énergie et tend de lui-même à se réaliser. Nul | |||
ne conteste aujourd'hui cette interprétation tempérée du déterminisme | |||
historique. | |||
L'idéal des hommes de ce temps ne peut plus être, comme celui | |||
des anciens utopistes, la conception arbitraire et inconditionnée | |||
d'une intelligence, si haute soit-elle; pour des esprits formés à la | |||
méthode des sciences expérimentales, il ne peut être conçu que | |||
.comme une résultante du développement historique; il s'élabore lentement | |||
au sein de l'humanité, et se transforme au cours des âges | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTIONET LA POLmQUE SOCIALE M3 | |||
LtTSSYSTEMSEO&CtAUSTES. 23 | |||
tddgpèreeoreeuslr'ssaiednvsséte'iammqmduoeaiecnptmérttaebtrirqeacusheaée.utzéxsulrldIealisflfpaénpureeiebusnsaprtasélsneesscideédetematdsolp'oedaseslscarolnacdecvisaiaatnuégsxesp.,eaurdSnicilsaetllip'uniprdigianéuracfeqliapuiteideepssahearrobémsfpsooouolrnubgm,léiencqaéurtpiertarésocop-- | |||
céploeonmisgeinsnétte dmaeusorarmélaolieinttéssmdaatpénorsuierluêndterueipdlléeuesbdugetrajudnsedtsicenaoctmàivbrirtééeas.liserpraptiaqruelse; démvealiosp-il | |||
Un sentiment s'est propagé, non seulement chez les classes populaires, | |||
mais parmi les penseurs et dans une partie des autres | |||
classes de la société, dont la pensée subit de nos jours un sourd | |||
travail de transformation; ce sentiment, c'est que, malgré des pro. | |||
grès incontestables, les travailleurs manuels n'ont reçu jusqu'ici | |||
qu'une part tout à fait insuffisante des acquisitions matérielles et | |||
intellectuelles de notre siècle; c'est qu'en dépit des merveilleuses | |||
ilenvleanbteiounr s n'aqupiasonéttémailslégleés, fnoirclees sadleairlea naautgumreenatéu, sedrvaincse ldaeml'ehsoumremeoù | |||
s'est accrue la productivité du travail humain. Par un phénomène | |||
sni'nesgtulipear,s laquipasu'pesétrisdaétjiàonrenccornotirsésanàted'audtersesmaéspseosq,uesc'esdte al'uhisctooinrter,airece | |||
lc'aatmioénliormatoioranle edte inleteulrlecctuoenldleit,ion et,mda'tuénrieellef,açolne gpréongérrèasle, dle'étaleturdéémdou-- | |||
cratique des sociétés modernes, qui ont provoqué cet éveil des | |||
consciences dans les différentes couches sociales: aspiration souvent | |||
idcleosynfuahsuoerm,ampmelsua.sis daespsiéractuirointé, pdreessbainetne-êtrveersetudne éctautltumreeillepuoru,r dla'ennsselmeqbuleel | |||
L'opinion publique, jadis indifférente, s'intéresse tous les jours | |||
davantage aux conflits du capital et du travail, et les salariés en | |||
tpgLolrauuètsvepesrelasslrseegese,toauula'rétunrcxeeosnl.etq,uLelf'esréstéciqooaunnsesosmmemmisebeolncétiepasolelisvt,pieqrouslqieutieiqlulense'esepm,sotbulrefponluntlast gdluaaéngsenoscermirpelnaaàiccseeleuatdrboosumtjrcoaianuiutreessre | |||
d'autrefois, absorbée dans la contemplation de lois naturelles immuabglreasn, | |||
deet dparnosduclatiornecherecthele epxlculsusivgeranddes pprroocféitd;és dequinopsrocjuoruernst, lealleplusse | |||
cànpaoruésmso'iebncrcteéud.rpeeesslUeersunurrtsooaiunuutfxflfuleedpnercsopeglpurèrsossbulrlèadmrelgaeeslasditdp'uherauotlmdiaouanerntéiiptoéanmr,t,aictt'iépeorsénitne,lèltereeptridnsluiceiseplpalàellemumseceso.ngntrtaiDnnudeeàs | |||
souffrances auxquelles on se résignait jadis comme à un mal inévi- | |||
L~SSYSTÈMSEfStt'iAt.rsTf.'K. | |||
354 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET DÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
f ~L1_- v.7" .t, tumne. In ns~n- table paraissent intolérables aux hommes de notre temps; le paupérisme | |||
et les vices qu'il engendre, les logements insalubres et le | |||
travail épuisant, l'insuffisance des salaires dans les industries à | |||
domicile restées sous l'empire de la loi d'airain la plus rigoureuse, | |||
toutes ces misères apparaissent comme des plaies honteuses qu'il | |||
faut guérir à tout prix, et nul ne songe à répéter aujourd'hui, avec | |||
le philosophe du libéralisme, que « la pauvreté des incapables, la | |||
détresse des imprudents, le dénûment des paresseux, cet écrasement | |||
des faibles par les forts qui laisse un si grand nombre dans les basfonds | |||
et la misère, sont les décrets d'une bienfaisance immense et | |||
prévoyante))~. | |||
Les questions sociales ne s'imposent pas seulement à l'attention | |||
de tous par leur caractère moral; ceux-là même qui se tiennent | |||
volontiers au-dessus des considérations de sentiment ne peuvent | |||
rester indiSérents à ce fait, que le vice et la misère entretiennent | |||
dans les centres de civilisation un foyer de contagion physique et | |||
morale et un danger permanent pour la paix publique. Adéfaut de | |||
fraternité, !a crainte des incidences serait sufusante pour secouer | |||
les natures les plus inertes, et leur inspirer quelque doute sur la | |||
philosophie optimiste de la misère. | |||
Une connaissance plus exacte des lois de relation concourt donc | |||
avec les plus purs sentiments de pitié et d'amour pour déterminer | |||
les générations nouvelles à travailler au relèvement des faibles; non | |||
plus tant par les ressources multipliées de la charité individuelle, | |||
que par des réformes d'une portée générale tendant à combattre le | |||
mal dans ses causes. | |||
C'est l'indice d'un progrès moral certain que cet affinement de la | |||
conscience publique et ce souci croissant des questions sociales. Le | |||
sens de la communauté, « l'esprit de la ruche », le sentiment que | |||
l'individu appartient a une communauté vis-à-vis de laquelle il a des | |||
devoirs plus larges que celui de fournir sa contribution à la défense | |||
commune, ce sens, si vivant dans les sociétés antiques et si longtemps | |||
assoupi dans les sociétés modernes, commence à se réveiller. | |||
On s'aperçoit que l'individu n'est pas le centre autonome qu'il | |||
s'imagine volontiers dans son égoïsme et son orgueil; son bien-être, | |||
sa science, ses jouissances intellectuelles et matérielles, la forme | |||
même de sa pensée, il les doit à la civilisation qui l'entoure, à la | |||
longue série des générations qui l'ont précédé, aux institutions | |||
t. H. Spencer, L'individu contre trad. Gerschell, S" éd., p. 100, Atean, | |||
i90i, in-12. | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 3SS | |||
s_o· ciales qui lui assuren1t ses possessions, au travail de ses prédécesseurs | |||
et de ses contemporains. Quant à lui, il n'a concouru que pour | |||
une part infinitésimale à l'oeuvre de civilisation dont il jouit; qu'il | |||
ne se croie donc pas quitte de toute obligation, lorsqu'il se borne à | |||
exécuter ses contrats en payant strictement les services qui lui sont | |||
rendus. | |||
Il faut se pénétrer de ces sentiments, pour supporter sans peine | |||
les inévitables sacrifices qu'entraîne toute politique de réforme sociale. | |||
A celui qu'opprime la pensée de la misère, les limitations, les mesures | |||
de contrôle, les contraintes fiscales paraissent légères, si elles ont | |||
pour objet de procurer à tous un minimum d'existence et de sécurité. | |||
Celui-là accepte volontiers sa part des obligations et des charges de | |||
la prévoyance sociale, qui les considère comme des mesures de salut | |||
pour la masse des hommes; le tribut imposé aux plus favorisés lui | |||
apparaît non pas comme un prélèvement injuste qui affaiblit la | |||
société, mais comme un moyen de préserver les individus d'une | |||
injuste déchéance qui brise les énergies et corrompt une partie de | |||
l'organisme social. | |||
Il y a donc un idéal, celui du développement de la personnalité | |||
pour tous, qui a grandi dans la conscience populaire en même temps | |||
que la science et la démocratie; idéal en complète harmonie avec | |||
l'une et avec l'autre, puisque la solidarité est une notion à la fois | |||
scientifique et démocratique; idéal intimement lié à l'ensemble du | |||
procès social, et par conséquent conforme aux lois du développement | |||
historique. | |||
Mais il ne suffit pas de soumettre à l'épreuve de la méthode historique | |||
cette conception générale d'un idéal démocratique. La vision | |||
reste naturellement très vague et sans signification précise, si elle | |||
n'est pas accompagnée d'un programme d'organisation dont les | |||
lignes doivent être au contraire nettement dessinées. Or, c'est dans | |||
cette tâche, la plus importante et la plus difficile, qu'il est surtout | |||
nécessaire de rester attaché à la méthode d'observation. Le philosophe | |||
ou l'homme d'État réaliste, même lorsqu'il s'inspire des considérations | |||
morales qui dominent la pensée moderne, limite son programme | |||
aux réformes possibles, et écarte de sa politique tout objectif | |||
purement idéaliste qui serait dépourvu de portée pratique. | |||
C'est sur ce point essentiel que se marque la différence des méthodes. | |||
Le réaliste ne dira pas, comme le philosophe enfermé dans son rêve | |||
intérieur L'inégalité étant un mal, il faut supprimer les titres de | |||
propriété qui la consacrent. Ces applications ingénues de la méthode | |||
déductive opérant sur des postulats d'ordre moral lui apparaissent | |||
3S6 LES SYSTEMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
comme des anachronismes, dans le siècle des connaissances positives | |||
et de l'esprit critique. Il n'attaquera pas une institution, s'il. | |||
n'aperçoit pas autre part que dans ses désirs les indices des formes | |||
nouvelles qui doivent remplacer les anciennes. Au lieu d'exposer | |||
complaisamment un système social sur des bases purement idéologiques, | |||
il vérifiera si le système est viable et si les germes s'en développent | |||
dans la société. Il fera taire ses impatiences, et tiendra | |||
compte des traditions, des intérêts, voire même des préjugés enracinés | |||
dans un milieu, parce que ce sont des forces que la politique | |||
sociale ne peut ignorer ni négliger. Il s'apercevra très vite qu'une | |||
réforme, même partielle et de modeste apparence comme la limitation | |||
légale de la journée de travail, ne peut s'introduire sans une longue | |||
préparation et d'infinis ménagements; il jugera ainsi par expériencede | |||
la valeur des grands projets qui tendent à transformer la société | |||
de fond en comble. | |||
Nul doute que le droit à l'existence ne soit un des postulats les plus | |||
impérieux de la justice sociale. Aussi les écrits socialistes les plus | |||
récents proclament-ils le droit à l'existence comme le principe essentiel | |||
du socialisme « à base juridique »; encore enveloppée sous cette · | |||
forme doctorale, la grande et pure idée de justice rayonne de nouveau | |||
dans la pensée socialiste, si longtemps opprimée par le matérialisme | |||
marxiste. Mais à quel terme aboutissent, les constructions savantes | |||
et les développements logiques du nouvel idéalisme « juridique ))? A | |||
un système communiste dans lequel chaque commune se transforme | |||
en maison de force; c'est là, paraît-il, l'idéal des temps nouveaux. | |||
Le possibiliste, aussi pénétré que quiconque de la nécessité du droit | |||
à l'existence, cherchera de son côté à le garantir; mais il restera dans | |||
les cadres de la société présente; ses moyens pratiques seront, parexemple, | |||
l'assurance obligatoire contre les risques de la vie ouvrière, | |||
la protection légale des travailleurs contre les excès du régime | |||
industriel, la généralisation de l'assistance pour les incapables. | |||
Telle est la différence des procédés. Le logicien construit pour 1ebonheur | |||
de l'humanité une cité lointaine. Le réformiste cherche à | |||
combattre immédiatement le mal social par les moyens les plus efficaces. | |||
Au lieu de se cantonner dans un idéalisme stérile de couvent. | |||
ou d'internat, il ouvre son esprit au monde extérieur et se mêle à la. | |||
vie, moins soucieux de faire grand que de faire vivant, exposant son | |||
rêve au contact de la réalité, sans cesser d'entretenir au fond de son | |||
âme le culte de l'idéal et la foi invincible dans le progrès. | |||
Pourquoi, en effet, désespérerait-on de l'avenir, alors que le passé | |||
nous offre déjà tant d'exemples de progrès accomplis dans la situaLE | |||
SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 357 | |||
tion des classes laborieuses depuis l'introduction du machinisme et | |||
les premiers âges de la grande production? Que l'on se reporte à cette | |||
sombre époque de chômage et de misère, que l'on repasse les enquêtes | |||
qui ont révélé, en France comme en Angleterre, tant de faits lamentables | |||
sur l'exploitation éhontée de la femme et de l'enfant dans les | |||
premières fabriques; on reconnaîtra de bonne foi que, si le mal n'a | |||
pas disparu, il a été du moins largement atténué, et que les efforts | |||
faits pour redresser un état social altéré par des éléments nouveaux | |||
d'une puissance inconnue ne sont pas demeurés stériles. Ces efforts, | |||
il convient de les analyser, pour apprécier ce que l'on peut en | |||
attendre encore dans l'avenir. | |||
S IL – Le progrès des classes ouvrières; institutions patronales, | |||
organisations ouvrières, action législative. | |||
Trois facteurs interviennent aujourd'hui pour améliorer les conditions | |||
de la vie ouvrière les patrons et autres personnes agissant | |||
par esprit de bienfaisance ou de solidarité, les diverses organisations | |||
ouvrières, et les pouvoirs publics. De ces trois forces, qui opèrent | |||
par des voies différentes, considérons d'abord l'action patronale. | |||
Tandis que les démocrates chrétiens, partant du principe que tout | |||
homme a droit à la vie, se montrent aussi audacieux dans leurs programmes | |||
et dans leurs actes que les solidaristes et les réformistes | |||
de la socialdémocratie, aussi favorables à la puissance des associations | |||
ouvrières, à l'institution de conseils professionnels investis d'un | |||
mandat public, à la protection légale des travailleurs et aux assurances | |||
ouvrières obligatoires, d'autres catholiques, également préoccupés | |||
des questions sociales, restent attachés à l'individualisme par | |||
esprit de tradition. Dans les milieux conservateurs, on ne compte, | |||
pour élever la situation des classes ouvrières, ni sur l'État, que l'on | |||
considère comme un mécanisme brutal aux mains d'un parti, ni | |||
même sur les syndicats ouvriers, que l'on accuse d'être actuellement | |||
des instruments de guerre sociale et de tyrannie vis-à-vis des travailleurs | |||
eux-mêmes; on ne compte que sur la libre initiative des | |||
patrons et des hommes d'oeuvres agissant sous l'inspiration du sentiment | |||
religieux ou par esprit de philanthropie. On estime donc que | |||
ce sont les institutions sorties de cette initiative, caisses de secours | |||
et do retraites, crèches, économats, logements à bon marché, oeuvres | |||
d'épargne et d'assistance, qui peuvent le mieux, par leur inuuence | |||
morale ou matérielle, faire régner la paix sociale ou au moins | |||
atténuer les antagonismes de classes. | |||
3S8 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
~Etfsf"e+c:t+ivement, ad,e. g"ara,.nds e"f+f"orts .o+nt "é4té,~.fFa"it:+s~ en ce sne~ns; l1a~ hb;i~ennlfoa;i-- | |||
sance privée a multiplié ses établissements, et certaines entreprises | |||
industrielles ont créé des oeuvres considérables en faveur de leurs | |||
ouvriers. Toutefois, si l'on considère le véritable but à atteindre, le | |||
relèvement des classes ouvrières au point de vue de leur bien-être, de | |||
leur culture et de leur dignité, il est difficile de ne pas avoir le sentiment | |||
que ces moyens sont insuffisants, et que parfois même les | |||
efforts sont dirigés à faux. | |||
Les oeuvres privées, en dehors des institutions patronales, sont | |||
pour la plupart des oeuvres d'assistance, qui ont certes leur grand | |||
mérite et leur utilité comme palliatifs de la misère, mais qui ne fournissent | |||
pas une solution aux questions ouvrières proprement dites. | |||
Quant à celles qui ont un caractère plus large, comme les sociétés | |||
anonymes pour les habitations ouvrières, les sociétés antialcooliques | |||
et quelques autres, elles ont un champ d'action généralement | |||
restreint. | |||
De leur côte, les institutions patronales ne sont et ne peuvent être | |||
qu'une exception. L'attention publique se fixe sur celles qui sont | |||
fondées par les grandes compagnies de chemins de fer et de mines, | |||
par quelques autres établissements importants et quelques patrons | |||
généreux; mais, dans la masse des entreprises industrielles, agricoles | |||
et commerciales, ces oeuvres disséminées restent une quantité relativement | |||
insignifiante. Les lois impitoyables de la concurrence ne permettent | |||
pas à la plupart des patrons, même aux meilleurs et aux | |||
plus humains, d'entretenir des oeuvres coûteuses au profit de leur | |||
personnel. | |||
Cette insuffisance n'est pas la seule. Tout en rendant hommage | |||
aux intentions de ceux qui pratiquent le patronage par esprit de | |||
de devoir, on peut reconnaître que jamais un secours tombé d'en | |||
haut, à titre de charité ou de patronage, n'aura une véritable vertu | |||
éducatrice; jamais les ouvriers ne s'attacheront à d'autres oeuvres | |||
qu'à celles qu'ils auront créées eux-mêmes celles-là seules feront leur | |||
orgueil, inspireront les dévouements, éveilleront en 'eux les plus | |||
hauts sentiments de la nature humaine. | |||
En maintes circonstances où les industriels se sont imposé de | |||
lourds sacrifices, les résultats, il faut bien le dire, n'ont pas été | |||
encourageants. Sans nier que les institutions patronales aient contribué, | |||
dans certaines régions où les populations ouvrières ont gardé | |||
d'anciennes moeurs, à maintenir des relations pacifiques et de nature | |||
patriarcale entre employeurs et employés, il semble au contraire que | |||
chez' des populations plus avancées, plus émancipées, le patronat, | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 389 | |||
malgré ses sacrifices pécuniaires, n'a sa récolter que la défiance ou | |||
la haine. | |||
C'est que l'oeuvre patronale implique toujours plus ou moins une | |||
idée de protection et de tutelle; tutelle insupportable, lors même | |||
qu'elle est discrète, pour des ouvriers jaloux de leur indépendance et | |||
naturellement ombrageux. Qu'est-ce donc, lorsque la tutelle s'exerce | |||
pesamment, sous forme de pression politique ou religieuse, avec des | |||
procédés intolérables d'inquisition et de domination? 1 C'estalors la | |||
soumission hypocrite chez les uns, la colère et l'hostilité sourde chez | |||
les autres, jusqu'à ce qu'un jour la révolte éclate, furieuse, imprévue, | |||
inexplicable pour tous ceux qui, les yeux fixés sur la façade, ne | |||
savent attribuer l'effondrement de tant d'efforts qu'à la prédication | |||
des meneurs contre le bon patron, sans remonter aux causes réelles | |||
qui ont lentement préparé les esprits à se soulever au premier souffle | |||
d'une parole ardente. | |||
On peut s'affliger de la ruine des anciennes moeurs; mais c'est un | |||
fait sur lequel il faut désormais régler sa conduite, un fait de même | |||
nature que la disparition de la famille patriarcale, la chute de l'influence | |||
politique de l'aristocratie et de ses pouvoirs d'administration | |||
locale, et, d'une manière générale, la décadence du principe d'autorité | |||
dans la famille et la société. Au même titre, la conception patriarcale | |||
du patronat bienveillant et protecteur tend de plus en plus à | |||
s'enfoncer dans le passé; le mouvement du monde moderne, avec les | |||
sentiments nouveaux qu'il engendre dans la classe ouvrière, nous en | |||
éloigne tous les jours davantage. | |||
Aussi voit-on les oeuvres patronales reculer progressivement | |||
devant les institutions créées par les associations ouvrières et devant | |||
l'action législative; les économats font place aux coopératives, les | |||
habitations ouvrières sont édinêes par des sociétés coopératives de | |||
construction, le service des secours et des retraites passe aux | |||
mains des mutualités et de l'État, la réglementation du travail est | |||
l'oeuvre de la loi, les règlements d'ateliers sont contrôlés par l'État, | |||
le placement est entrepris par les syndicats, les Bourses du travail et | |||
les offices municipaux, etc. | |||
Devant ce phénomène prolongé, universel, inéluctable, convient-il | |||
de se consumer en regrets et de répéter constamment les mêmes formules, | |||
en se lamentant sur la décadence, l'esprit du mal et le | |||
malheur des temps? Ce découragement sied-il à des hommes d'ac- | |||
Voir, & titre d'enseignement, l'exposé de la grève de Montceau-Ies-Mines | |||
(1S99 et 19ûi) fait à la Société d'économie sociale, et l'inconscience de certaines | |||
déclarations (Réformesociale, iC mai 1901). | |||
360 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
tion, qui veulent remplir leur devoir social et n'hésitent que sur la | |||
voie à suivre? Non, il faut en prendre son parti, et agir différemment | |||
suivant les circonstances. Vis-a-vis d'une population ouvrière | |||
dont les idées et les sentiments ont conservé leur nature primitive, | |||
des oeuvres inspirées par le « paternalisme » peuvent être bienfaisantes | |||
encore la politique la plus sage et la plus prévoyante est-elle | |||
de former des hommes, et d'encourager la pratique des institutions | |||
libres, coopératives et mutualités. Mais dans des milieux moralement | |||
transformés, il faut renouveler soi-même une conception vieillie | |||
du rôle patronal. | |||
Ce n'est pas que le patron, comprenant les nécessités de son | |||
temps, doive se borner, dans ses rapports avec ses ouvriers, au rôle | |||
purement commercial d'acheteur de la main-d'oeuvre. Bien loin de | |||
là, le patron moderne peut parfaitement se concilier l'estime de ses | |||
ouvriers, et même davantage, si, tout en maintenant la discipline à | |||
l'atelier discipline qui s'imposerait aussi bien dans l'atelier coopératif | |||
ou collectiviste que dans l'atelier capitaliste, si donc il traite | |||
ses ouvriers non pas en inférieurs et en protégés, mais en hommes | |||
ayant des droits égaux aux siens. Il s'agit de reconnaître 'aux | |||
ouvriers leurs droits d'hommes libres, non seulement dans la pratique | |||
de leur vie privée, dans le domaine de leur conscience et dans | |||
l'exercice de leurs droits politiques, mais même à l'atelier, en tant | |||
qu'ils se présentent pour conclure le contrat de travail et pour en | |||
faire observer les clauses. | |||
Quelle sera donc, pour préciser, la conduite que tiendra le patron | |||
moderne, s'il veut sincèrement remplir son devoir social vis-à-vis de | |||
ses ouvriers? Avant toute chose, il leur donnera un juste salaire, | |||
au moins conforme au taux courant du métier dans la région, et | |||
suffisant à l'entretien de la vie d'après les habitudes du milieu de | |||
même, il leur garantira des conditions de travail normales, une | |||
durée de travail ne dépassant pas la durée en usage, et contrôlera | |||
soigneusement l'hygiène et la sécurité dans son établissement. Il | |||
reconnaîtra franchement, sincèrement et sans arrière-pensée le syndicat | |||
ouvrier, n'exclura personne de ses ateliers pour affiliation au | |||
syndicat ou participation active à la gestion syndicale, et n'encouragera | |||
jamais la délation ou la félonie. S'il a devant lui une association | |||
ouvrière sérieuse, il négociera les clauses du contrat de travail | |||
avec ses représentants, dans un esprit de large conciliation et de | |||
loyauté. Il respectera chez ses ouvriers le sentiment très intense de | |||
leur indépendance, et saura les traiter avec ces égards auxquels l'ouvrier, | |||
l'ouvrier français surtout, est si particulièrement sensible. | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 361 | |||
_8 I." 1 l' Tout cela n'est en somme que l'observation de la légalité et de la | |||
simpleéquité. | |||
Veut-il faire plus, a-t-il le désir et les moyens d'être un patron | |||
modèle? Il perfectionnera l'hygiène des ateliers suivant les derniers | |||
progrès de la science et de la technique industrielle; il se préoccupera | |||
du bien-être des travailleurs en atténuant le bruit, la trépidation, | |||
la poussière, la chaleur ou rhumidité, en répandant la lumière, | |||
en installant des vestiaires, fourneaux et salles de bains. Il aura | |||
même quelque souci de l'esthétique, et ne se croira pas ridicule s'il | |||
bannit tout ce qui fait la laideur, la tristesse et la vulgarité des | |||
choses, s'il recherche tout ce qui peut réconforter l'esprit et bannir | |||
l'impression d'une corvée rebutante. | |||
Croit-il enfin que des institutions en faveur des ouvriers peuvent | |||
rendre de réels services ? Il consacrera sans réserve son activité aux | |||
oeuvres destinées à l'enfance. Quant aux institutions qui concernent | |||
les adultes, il en laissera l'initiative et la direction aux ouvriers | |||
eux-mêmes, sachant par expérience que ceux-ci n'y prendront intérêt | |||
qu'à la condition d'en faire leur chose. Il se bornera donc à favoriser | |||
de la façon la plus discrète celles qui peuvent développer chez les | |||
ouvriers l'habitude des gestions économiques, et fortifier en eux le | |||
sentiment de la dignité personnelle. Rôle délicat, qui exige non seulement | |||
beaucoup de tact, mais surtout un grand désintéressement, | |||
l'absence de toute pensée d'orgueil et de domination, de toute idée | |||
d'un droit acquis à la reconnaissance des hommes. « Prêtez sans | |||
rien espérer »; c'est encore la voie la plus sûre pour gagner les | |||
coeurs. | |||
L'action ouvrière est un facteur de progrès autrement énergique | |||
que l'assistance patronale. Le mouvement d'organisation ouvrière, | |||
qui est d'origine toute récente, nous frappe moins encore par ses | |||
résultats actuels que par sa rapidité dans les dernières années. A ce | |||
signe, il parait susceptible de se propager en tout sens, et de modifier | |||
profondément l'état des relations sociales. | |||
Nous nous sommes expliqués déjà sur l'avenir de la coopération; | |||
selon toute vraisemblance, la coopération de production restera toitjours | |||
cantonnée dans un domaine assez restreint, sans sortir jamais | |||
franchement du type capitaliste, tandis que la coopération de consommation | |||
est appelée à des destinées plus vastes, dans le domaine | |||
de la production comme dans celui de la circulation. Il est permis, | |||
sans être utopiste, d'entrevoir une société dans laquelle de vastes | |||
groupements coopératifs se procureront dans leurs propres fabriques | |||
362 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET L'ÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
les produits industriels nécessaires à la consommation de leurs | |||
membres, et passeront des marchés pour la fourniture des produits | |||
agricoles avec de grandes fédérations coopératives de vente réunissant | |||
la masse des agriculteurs. | |||
Les syndicats ouvriers ont aussi l'avenir devant eux. Si le mouvement | |||
syndical en France paraît aujourd'hui stérilisé par l'esprit | |||
révolutionnaire, on voit ailleurs les syndicats s'inspirer de | |||
l'exemple des unions anglaises. Aucun indice n'est plus fécond, à | |||
cet égard, que leur tendance à élever le taux des cotisations dans | |||
le but de distribuer régulièrement des secours de chômage, et de | |||
maladie. Par cette pratique, ils. sauront attirer et retenir une masse | |||
toujours plus considérable de la population ouvrière. Puissants par | |||
le nombre de leurs adhérents et l'étendue de leurs ressources financières, | |||
ils pourront établir d'une façon générale le régime du contrat | |||
collectif, et faire respecter de tous les membres de la profession les | |||
tarifs et conditions librement débattus avec les syndicats patronaux. | |||
Ils seront, avec les bureaux municipaux, les seuls offices de placement, | |||
et veilleront dans ce service à l'observation des conditions | |||
syndicales. Ils pourront faire des marchés à forfait avec les entrepreneurs | |||
pour l'exécution de certains travaux et la fourniture de la | |||
main-d'oeuvre. Ils contrôleront d'une façon efficace l'application des | |||
lois sur la réglementation du travail, figureront dans les conseils | |||
professionnels et participeront à la gestion des caisses publiques | |||
d'assurances. Lorsque les associations ouvrières seront parvenues à | |||
cet état de force et de maturité, et qu'elles trouveront en face d'elles | |||
des organisations patronales également fortes, il est à penser qu'un | |||
état de paix relative s'établira, dans le monde de l'industrie, par | |||
l'équilibre des forces collectives organisées. | |||
Mais le M~Mp a des effets limités, et l'action de la loi est indispensable | |||
dans bien des cas où celle de l'association libre est insuffisante. | |||
La contrainte légale, bien qu'elle n'ait certainement pas la | |||
vertu efficace du bien réalisé volontairement, a paru nécessaire dans | |||
tous les pays industriels pour protéger les salariés contre certains | |||
abus. Malgré la croissance des associations ouvrières, on peut prévoir | |||
que la législation protectrice des travailleurs progressera | |||
encore, qu'elle multipliera ses exigences et les étendra à de nouvelles | |||
catégories d'intéressés. Au reste, ces lois de protection ne sont peutêtre | |||
que des béquilles provisoires, dont on saura se passer le jour où | |||
les réformes bienfaisantes qu'elles auront introduites seront entrées | |||
définitivement dans les moeurs. Quant aux assurances ouvrières, | |||
elles se généraliseront infailliblement; leur extension ne trouve | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 363- | |||
aujourd'hui de sérieux obstacle que dans le défaut d'élasticité des | |||
budgets publics; mais le mouvement d'opinion qui se produit en | |||
faveur des retraites ouvrières prendra un jour assez de force pour | |||
faire accepter les charges de la réforme, peut-être même pour contraindre | |||
les gouvernements à réduire leurs énormes dépenses militaires. | |||
La protection légale est surtout nécessaire à l'égard de ceux que leur | |||
faiblesse naturelle, leur ignorance, leur dispersion, leur état de misère | |||
rendent incapables de se défendre eux-mêmes enfants, femmes, | |||
travailleurs à domicile. Les Parlements ont le devoir de songer a | |||
ceux-là mêmes qui ne disposent pas de la puissance électorale. Le | |||
problème est particulièrement délicat pour les ouvriers à domicile, à | |||
cause des difficultés de l'inspection dans les très petits ateliers et du | |||
respect dû au domicile familial. Toutefois, il est difficile de penser | |||
que l'opinion publique, mieux éclairée sur les conditions du travail | |||
en chambre, supportera indéfiniment les abus désignés sous le nom | |||
de sM?eOE<!Ky system, et les dangers qui en résultent pour la santé | |||
publique. Soit que l'on prescrive des mesures destinées à faciliter le | |||
contrôle, soit que l'on impose aux employeurs et aux propriétaires | |||
des locaux de travail la responsabilité des prescriptions sur l'hygiène, | |||
l'âge d'admission et la durée du travail, soit que l'on encourage la | |||
coopération parmi les ouvriers à domicile, soit que l'on recoure à | |||
d'autres mesures plus radicales telles que le minimum de salaire, | |||
sur lesquelles l'expérience n'a pas encore permis de se prononcer | |||
définitivement, il paraît probable que l'autorité publique jugera à | |||
propos d'intervenir un jour pour protéger les ouvriers à domicile | |||
contre l'exploitation dont ils sont victimes, en confiant à des organes | |||
professionnels le soin d'adapter les réglementations à la variété des, | |||
situations particulières. | |||
A l'égard des ouvriers capables d'organisation, l'intervention | |||
législative devient moins nécessaire à mesure que les associations | |||
prennent plus de force. Néanmoins, en Angleterre même, la méthode | |||
législative est encore préférée et pratiquée, toutes les fois qu'il paraît | |||
utile d'établir une règle uniforme qui ne soit pas à la merci des fluctuations | |||
de l'offre et de la.demande. | |||
Indépendamment de la réglementation du travail et des assurances | |||
sociales, le législateur peut encore contribuer à l'élévation de | |||
la classe ouvrière en favorisant le développement syndical. | |||
Le syndicat obligatoire, il est vrai, rencontre beaucoup d'adversaires, | |||
qui lui reprochent avec raison de rassembler par contrainte | |||
les éléments les plus disparates ou les plus hostiles, et de noyer les | |||
364 LES SYSTÈMES SOCIALISTES ET LÉVOLUTION ÉCONOMIQUE | |||
!irn!]~d1!.iLv. idualités énergiques 1d_ans 1l-a masse des ~fLat_i-bles e..tt da_e_ s ~iJn!rrd.! ifférents. | |||
Mais la critique ne porte pas contre une organisation légale | |||
des professions qui laisserait intact le droit de former des groupements | |||
libres au sein de chaque profession. | |||
Certaines réserves s'imposent aussi en matière d'arbitrage obligatoire. | |||
Bien que l'institution paraisse fonctionner d'une façon | |||
satisfaisante en Nouvelle-Zélande et en Australie, l'expérience n'a | |||
encore qu'une valeur toute relative. Non qu'il faille rejeter a pftort | |||
tout enseignement qui nous vient des antipodes; quoique la grande | |||
industrie ne soit pas développée en Australie, les rapports du capital | |||
et du travail y présentent à peu près les mêmes caractères que dans | |||
les autres pays de race blanche. Mais les décisions des cours arbitrales | |||
ont été jusqu'ici favorables aux ouvriers; elles ont établi dans | |||
diverses professions, notamment dans celles où s'exerce le swea~K~ | |||
system, un minimum de salaires que les travailleurs auraient été | |||
incapables d'obtenir par eux-mêmes; il n'était pas très difficile d'en | |||
assurer l'observation de la part des employeurs. Si des circonstances | |||
c~r,i&tiqI.uJe.lsU') o~byl.ieg.eaient un ,jdour les .tari.bunaux d~'ba.r.bitrage a réduire le.vsa | |||
salaires sur la demande des patrons, il est douteux que leurs sentences | |||
pussent être exécutées aussi facilement. | |||
C'est là l'écueil de tout système d'arbitrage obligatoire. La classe | |||
ouvrière est-elle dépourvue d'organisation sérieuse? Les décisions | |||
arbitrales défavorables aux prétentions des travailleurs sont privées | |||
de toute sanction efficace. Les associations ouvrières sont-elles au | |||
contraire fortement organisées, remplissent-elles les conditions d'une | |||
responsabilité effective? L'arbitrage obligatoire devient pour ainsi | |||
dire inutile, parce que des associations patronales et ouvrières solidement | |||
constituées savent pratiquer le régime du contrat collectif; | |||
elles respectent d'elles-mêmes les conventions arrêtées, ou les décisions | |||
d'arbitres volontairement désignés. | |||
Au reste, on observe partout une vive répugnance des ouvriers et | |||
des patrons à se lier les mains vis-à-vis d'un arbitre, même librement | |||
choisi; aucune des deux parties n'est disposée à se dessaisir, au | |||
profit d'un tiers, du droit d'arrêter les termes du contrat qui doit | |||
l'obliger pour l'avenir. L'arbitrage obligatoire paraîtrait donc aussi | |||
tyrannique aux uns qu'aux autres. De toute manière, il serait sans | |||
force éducative, et ne pourrait convenir, comme le libre contrat | |||
collectif, à une classe ouvrière pleinement émancipée. | |||
Ce n'est donc pas, en général, par l'arbitrage obligatoire que | |||
l'État peut fournir un appui efficace aux salariés. Mais une législation | |||
qui permet aux unions patronales et ouvrières de se constituer | |||
LE SENS DE L'ÉVOLUTION ET LA POLITIQUE SOCIALE 36S | |||
librement, d'acquérir un patrimoine, d'organiser des oeuvres et services | |||
multiples, de conclure entre elles des contrats collectifs susceptiples | |||
d'une exécution judiciaire 1; une législation qui trace équitablement | |||
aux unions ouvrières la limite de leurs droits et de leurs | |||
responsabilités, qui met leur patrimoine à l'abri de l'arbitraire malveillant | |||
des tribunaux, et qui les autorise à user des moyens sans | |||
lesquels elles ne peuvent faire observer les règles communes du | |||
métier, tout en les rendant responsables des dommages qu'elles | |||
causent par des actes illégaux~; une législation qui organise les | |||
diverses professions en les dotant de conseils élus par les syndicats | |||
patronaux et ouvriers, et qui investit ces conseils de certains pouvoirs | |||
concernant les assurances ouvrières, la réglementation du | |||
travail, la conciliation et l'arbitrage, etc.; une pareille législation | |||
est en harmonie avec l'évolution naturelle; c'est un instrument | |||
souple qui favorise le mouvement de concentration et d'organisation | |||
collective sans le violenter. |
modifications