Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Première partie : Les théories. Les systèmes de société socialiste - Livre II : Des formes socialistes qui conservent la valeur régie par l’offre et la demande »

aucun résumé de modification
Ligne 748 : Ligne 748 :


Il ne ferait pas bon de vivre dans le ''workhouse'' de M. Menger.
Il ne ferait pas bon de vivre dans le ''workhouse'' de M. Menger.
== Chapitre 8. Socialisme corporatif et coopératisme. ==
Avec le socialisme corporatif, nous passons des formes autoritaires
du socialisme à ses formes libérales. Dans tout socialisme corporatif,
la production, au lieu d'être une fonction administrative de l'Etat ou
des communes, est une fonction indépendante, entreprise par des
associations libres qui ne sont pas des unités politiques et n'exercent
pas la puissance publique. Ces associations acquièrent la possession
de la terre et des capitaux productifs, avec ou sans l'aide de l'État;
elles règlent librement leur production en vue de l'échange, sans
être astreintes à une direction administrative. Dans cette agrégation
de sociétés coopératives, le socialisme est réalisé plus ou moins complètement
par des combinaisons tendant à répartir le revenu en proportion
du travail.
Le socialisme sociétaire présente de nombreuses variétés. Ses
représentants poursuivaient jadis le but utopique d'introduire la
mesure de la valeur par le travail dans un milieu de production
libre. Leurs systèmes ne devraient pas figurer parmi les formes socialistes
qui conservent la valeur régie par l'offre et la demande; mais
on ne pouvait, sans inconvénient, séparer l'ancien socialisme sociétaire
du nouveau. Mon but n'étant pas de faire ici l'histoire des doctrines,
nous passerons rapidement sur ces utopies, qui n'ont plus
qu'un intérêt rétrospectif. Mais nous nous arrêterons plus longuement
sur les nouveaux systèmes, qui cherchent à sauvegarder le
principe socialiste en maintenant les corporations librement ouvertes;
nous réserverons aussi une place au coopératisme, qui est lui-même
une variété du socialisme corporatif, mais une variété originale,
jouissant du privilège d'être vivant dans les sociétés modernes.
=== Section I. Anciennes formes du socialisme coproratif. ===
Robert Owen, cherchant à écarter le profit, cause de l'inégalité et
de la misère, concevait théoriquement une vaste organisation des
classes productrices, dans laquelle les sociétés coopératives ou les
trades-unions, fédérées par industries ou corporations nationales,
supprimeraient la concurrence et échangeraient leurs produits
d'après le principe équitable de l'échange du travail contre une égale
quantité de travail; il ne prévoyait d'ailleurs pas l'existence d'un
régulateur central de la production au milieu des corporations autonomes.
En fait, Robert Owen fut entraîné à une expérience prématurée
et limitée.
Il fonda, à l'usage d'un grand nombre de sociétés coopératives
fédérées, la Banque d'échange du travail (Equitable Labour Exchange,
1832), qui émit, pour représenter la valeur sociale, des bons d'une
heure de travail (labour notes). Les adhérents recevaient de la
Banque, en échange de leurs marchandises, des bons de travail pour
la valeur courante de la matière (au taux de un bon pour six pence)
et pour leur propre travail, estimé d'après le temps qu'un ouvrier
ordinaire aurait employé à la même production; au moyen de ces
bons, ils pouvaient se procurer à la Banque d'autres marchandises,
également taxées à leur coût de production d'après les mêmes
éléments.
Cette forme de la valeur est à peu près celle du collectivisme; mais
ici, aucun régulateur ne remplace les oscillations des prix; aucune
autorité centrale ne dirige la production, livrée à l'anarchie la plus
complète; Robert Owen introduit la mesure rigide de la valeur par
le temps de travail dans le monde de la concurrence et de la production
libre, de sorte qu'il aboutit à l'absurde. Mme Sidney Webb rapporte
que, parmi les articles mis en vente par la Banque au taux du
travail dépensé, les uns, estimés au-dessous du prix courant (au
taux de conversion de un bon pour six pence provisoirement adopté),
étaient enlevés par des spéculateurs peu scrupuleux qui les revendaient
avec bénéfice, tandis que les autres, produits sans tenir compte
des convenances du public, restaient invendus. Il fallut donc élever
le tarif des premiers et abaisser celui des seconds; à un tailleur qui
se plaignait amèrement de ne recevoir qu'un bon de quinze heures
pour un habit qui lui avait coûté trente heures de travail, il fallut
répondre que la coupe de l'habit convenait à un très petit nombre de
clients. D'autre part, il était impossible que cette nouvelle forme de
la valeur fut propagée volontairement dans un milieu de production
libre, puisqu'elle impliquait pour les producteurs et les capitalistes
la perte du profit et de la rente. Enfin, il était incohérent, d'avoir
deux systèmes de valeur concurrents dans la société; on était obligé
d'établir une relation entre le bon d'une heure et la monnaie métallique,
sans avoir le moyen d'en maintenir la fixité.
La banque du peuple imaginée par Proudhon devait aussi permettre à ses clients d'échanger entre eux, au moyen de bons émis par
la Banque, leurs marchandises évaluées suivant le travail
qu'elles avaient coûté. Mais Proudhon ne comptait pas, pour supprimer
l'intérêt, la rente et le profit, et pour fonder la valeur en travail,
sur le seul fonctionnement de ce mécanisme d'échange; il voulait y parvenir en propageant, au moyen de la Banque, le crédit gratuit dans la société capitaliste. La Banque du peuple, institution d'ailleurs purement privée, émettrait des bons de circulation inconvertibles
en espèces pour les prêter gratuitement à ses clients, qui s'engageraient
d'autre part à les recevoir en tout paiement.
« La Banque d'échange, disait-il, c'est l'abolition de tous les péages
qui affectent la circulation des produits, sous les noms divers
d'intérêts, de rentes, de loyers, de fermages, dividendes, bénéfices,
etc. »
Dans sa théorie du crédit gratuit, Proudhon méconnaissait les conditions inhérenté à la propriété privée et au capital individuel; il négligeait en particulier la différence d'utilité et de valeur qui existe entre un bien actuel et un bien futur, dans cette sorte d'échange qu'on appelle un prêt. Aussi ses moyens de réalisation étaient-ils condamnés à l'impuissance.
II se figurait que des capitaux fictifs, créés à volonté sur le
papier, pourraient jouer le rôle des capitaux en nature, et que, mis
gratuitement à la disposition des emprunteurs, ils pourraient, par
leur concurrence, contraindre les véritables capitaux à se passer
eux-mêmes de revenu. En réalité, son papier inconvertible, gagé par
les effets de commerce et les billets des emprunteurs, aurait été complètement
déprécié. Bien qu'énoncé en espèces, il n'aurait représenté
aucune valeur réelle, aucun étalon matériel, puisqu'il ne devait
jamais être remboursé en numéraire. De plus, il aurait fallu, pour
exercer une action déprimante sur le revenu capitaliste, émettre ce
papier en quantité illimitée, donner satisfaction à toutes les demandes,
consentir des avances et commandites gratuites à tous les cultivateurs,
à toutes les associations ouvrières, pour leur permettre de se procurer
la terre et les instruments de production sans charge d'intérêts.
Encore la tentative eût-elle été vaine, car les possesseurs de
terres et de capitaux productifs n'auraient jamais eu la naïveté de s'en
déssaisir en échange d'un papier sans garantie sérieuse, alors qu'il leur
eût été facile d'obtenir ce même papier gratuitement à la Banque s'ils
en avaient eu besoin. En supposant d'ailleurs que le crédit gratuit eût
été réalisé, l'intérêt, cessant de faire partie des frais de production,
aurait peut-être disparu par l'effet de la concurrence; mais la rente
du sol et le profit, ayant leur source dans cette même concurrence
qui pousse les prix de certaines marchandises au delà de leur coût
de production, auraient certainement subsisté pour les propriétaires
et les exploitants. La loi de l'offre et de la demande n'aurait donc
pas permis à la valeur de se constituer et de se mesurer en travail,
comme le voulait Proudhon.
Ces essais étaient informes, parce qu'ils tendaient à introduire
dans la société capitaliste un système de valeur incompatible avec la
production libre. Tout socialiste qui respecte la concurrence et la
production individuelle en vue de l'échange est tenu de conserver en
même temps la valeur d'échange mesurée en monnaie métallique et
soumise aux variations de la valeur d'usage. Aussi les tentatives de
Robert Owen et de Proudhon sont-elles restées isolées. Dans le cadre
du socialisme sociétaire, les phalanstères de Fourier, les ateliers
sociaux de Louis Blanc, les sociétés coopératives subventionnées
par l'État de Lassalle, sont des organes plus ou moins libres qui
produisent et qui échangent sous l'empire des lois ordinaires de
la valeur.
Le projet ébauché par Louis Blanc en 1848 était un mélange de
socialisme d'État et de socialisme sociétaire. A l'État, il attribuait
les chemins de fer, les mines, la Banque, les assurances, des entrepôts
et magasins de vente au détail. A côté de l'État et commanditées par
lui, des associations ouvrières, propriétaires de leurs terres et de
leurs capitaux, devaient envahir progressivement le champ de la
production agricole et industrielle par l'irrésistible attrait de leur
puissance. Ces associations, après avoir pourvu à l'intérêt et à
l'amortissement de leurs emprunts, au salaire des travailleurs et à
diverses dépenses d'un caractère communiste, auraient partagé le
quart de leurs bénéfices entre les travailleurs. Mais Louis Blanc,
tout en conservant la concurrence entre les associations de production,
cherchait à la limiter en donnant à l'autorité le droit de fixer,
pour chaque industrie, le salaire local et le prix du produit. Il ne
voyait pas que l'Etat n'est maître des prix que s'il dirige lui-même
la production, et il retombait dans toutes les erreurs et les difficultés
de la politique du ''maximum''. Il voulait que le prix fut déterminé de
manière à laisser aux producteurs un certain bénéfice licite au delà
du prix de revient, et pensait peut-être, tout en laissant subsister
l'intérêt, supprimer ainsi les inégalités de profit entre les associations.
C'était une illusion; car le prix, nécessairement uniforme pour
toutes les marchandises semblables, aurait dû être établi à un taux
suffisant pour ne pas entraîner la ruine des entreprises les moins
prospères et les moins favorisées de la nature; les exploitations placées
dans de meilleures conditions auraient donc joui d'un profit supérieur
et de la rente du sol.
C'est là, au point de vue socialiste, l'écueil sur lequel vient échouer
le socialisme sociétaire, comme aussi le socialisme communal. Conservant
la production libre en vue de l'échange, il se trouve dans
l'alternative ou d'adopter la mesure de la valeur par le temps de travail,
qui le mène à l'absurde, ou de laisser subsister, avec la valeur
fixée par l'offre et la demande, l'intérêt, la rente et le profit. Aux
producteurs individuels, il substitue plus ou moins complètement
des associations de travailleurs; mais qu'importe, si ces associations
sont elles-mêmes des citadelles d'individualisme, des sociétés de capitaux
dans lesquelles les associés, en sus de leurs salaires, perçoivent
des revenus capitalistes inégaux?
Les théoriciens contemporains du socialisme sociétaire, mieux
instruits des lois de la valeur, ont donc dirigé tous leurs efforts de
ce côté; ils ont cherché, dans la constitution des associations de
production, le moyen d'écarter le revenu de monopole, sans changer
cependant la nature de la valeur et sans soumettre la production à
la réglementation de l'État, comme le fait M. Jaurès dans son collecvisme
corporatif.
862

modifications