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'''Deux grands courants intellectuels ont particulièrement marqué la période précédant la Révolution française : le rationalisme français et le jusnaturalisme anglais. Entre Descartes et Locke, entre positivisme et individualisme, se développe un mouvement de réflexion qui va donner naissance au libéralisme moderne, prônant à la fois le rejet de la société ancienne -mercantiliste et étatiste - et la croyance dans l'ordre spontané fondé sur la capacité naturelle de l'homme à s'auto-organiser.'''


Bien que je ne sois pas historien, j'ai finalement accepté l'invitation d'Henri Lepage de traiter ce sujet, car Hayek a pu dire que " l'économiste qui n'est qu'un économiste est un mauvais économiste ". Je ne sais si cela va faire de moi un bon économiste, mais j'échapperai au moins au reproche de n'être qu'un économiste, puisque de temps en temps je m'essaie dans l'histoire de la pensée économique. J'enseigne en effet ce que je crois être l'histoire des idées à l'Université d'Aix-Marseille avec des présentations qui, parfois, surprennent mes étudiants. L'année dernière, par exemple, j'ai donné comme sujet à la session de juin : " 1776 ". Tous les étudiants savent que c'est la date de parution de La richesse des nations, qui est un peu le bulletin de naissance de la science économique, puisque mon grand maître, qui lui était un véritable historien, Georges-Henri Bousquet, spécialiste de la pensée d'Adam Smith, a qualifié Adam Smith de " véritable père de l'économie politique ". 1776, c'est donc l'acte de naissance de la science économique contemporaine.
Les étudiants savent aussi que 1776 est la date de l'édit de Turgot sur les corporations. On supprime les corporations ; pas pour très longtemps, ainsi qu'on le verra.
Ce que l'on sait moins, c'est que 1776 est aussi la date de publication d'un ouvrage de Condillac, qui s'intitule Le commerce et les gouvernements considérés relativement l'un à l'autre. Condillac est un auteur que l'on a oublié souvent, du moins chez les économistes ; cependant, il y a un assez grand intérêt à s'interroger sur ce qu'il a pu dire.
Quelques étudiants savent également qu'en 1776, David Hume était en train de rendre son dernier soupir ; David Hume, c'est important, c'est Turgot, c'est Adam Smith surtout. Et puis accessoirement, quelques esprits plus ouverts savaient qu'en 1776, le 4 juillet, il y a eut une déclaration d'indépendance américaine.
C'est dire qu'autour de cette année 1776, il va y avoir des évènements, des idées, des courants d'opinion assez multiples. Est-ce que tout cela donne un mouvement des idées économiques ? Je me contenterai ici de parler des " idées ".
Il aurait été tout aussi intéressant peut-être de parler des institutions. C'est Douglass North, dont je ne sais pas s'il est un historien économiste ou un économiste historien (mais dont j'ai la certitude qu'il est le prix Nobel d'économie le plus récent), qui nous dit que l'on s'intéresse beaucoup trop à l'évolution des faits et des idées, pas assez à celle des institutions. Et il est vrai qu'il est intéressant de noter, comme cela a été esquissé la dernière fois par Monsieur Meyer, les changements profonds de structures de la société européenne avec notamment trois évolutions institutionnelles majeures :
*un changement dans l'organisation du droit de propriété (en Angleterre les enclosures en particulier) ;
*l'avènement du parlementarisme ;
*et enfin, et non le moindre, l'apparition d'une nouvelle organisation de l'entreprise qui rompt avec le schéma productif artisanal pour entrer dans la logique de la manufacture ou de l'usine telles qu'on les conçoit aujourd'hui, avec pour base un contrat de travail tel que nous le pratiquons quotidiennement.
Je laisserai de côté ce mouvement des institutions, bien qu'il mérite sans doute davantage notre attention, pour me concentrer sur le mouvement des idées, et des idées " économiques ". Car on vient juste de commencer d'ériger la science économique en une science autonome. C'est une autonomie toute relative d'ailleurs, et les premiers économistes - Adam Smith, Hume, Condillac, les Physiocrates, Turgot - sont en même temps des philosophes, des juristes, des historiens, des littérateurs, et ainsi de suite. C'est une science économique qui vient d'émerger, mais qui, pour remplir son office, doit déjà être pluridisciplinaire. Voici déjà ce que disait David Hume concernant les phénomènes économiques " Il faut les envisager dans toute leur complexité, les examiner successivement par tous les points de vue ; la simplicité n'est pas dans la nature de la société humaine. On ne peut pénétrer les causes des
La deuxième tradition est celle des philosophes et des juristes anglais ce sont essentiellement les gens qui ont insisté sur les droits individuels, sur le droit de propriété, sur les droits naturels. On vient juste de traduire en France deux grands prêtres du droit naturel que sont Grotius et Pufendorf, et on connaît les travaux de Locke, de Hobbes, on va connaître David Hume, qui va passer en France trois ans. L'influence des Ecossais ou des Anglais est telle qu'en 1734 Voltaire donne le sous-titre ''Lettres Anglaises'' à l'une des ses œuvres. On parle aussi des anglomaniaques, ces gens qui regardent de l'autre côté de la Manche pour y prendre de nouvelles idées. Tout cela arrive en France et se combine dans une alchimie qui n'est pas toujours bien connue, et les gens ne sont pas toujours très faciles à classer. Par exemple Montesquieu est plus Français qu'Anglais, d'un côté il subit l'influence de Locke, de l'autre côté il est un bon juriste français traditionnel, très attaché aux droits des parlements. Il est en fait beaucoup plus absolutiste qu'on ne le dit en général, c'est au fond un haut fonctionnaire, et si l'ENA avait existé à l'époque il en serait sûrement sorti. Il a les réflexes du grand serviteur de l'Etat beaucoup plus que du libéral qu'on présente assez souvent.
A partir de ces influences majeures nous verrons des branches très diverses se multiplier, et tout cela donne un " mouvement ". Car ces idées s'échangent, ces idées bougent, ces idées progressent. Il faut d'abord se rendre compte que ce mouvement est européen ; il n'y a pas de nationalisme de la pensée - il n'y avait pas eu à cette époque une loi interdisant de se référer à des cultures étrangères. La culture était universelle, il y a un genre de cosmopolitisme intellectuel, et les gens circulent dans cette Europe. II est bien connu que Voltaire a prêché sa philosophie du despotisme éclairé un peu partout, et aussi bien chez Frédéric II de Prusse que chez Catherine ou en Autriche encore. Il y a aussi des Anglais qui viennent en France - David Hume passe trois ans en France, Adam Smith fait un voyage de quatre ans avec le duc de Buccley ; c'est à ce moment là qu'il rencontre Turgot, en particulier, et la plupart des Physiocrates, et l'influence de Turgot sur Adam Smith est absolument incontestable. Ces gens là sont aussi en relation avec l'Amérique, les Etats-Unis qui sont en train de se forger, de se former, de se proclamer, et des gens comme Jefferson ont des liens avec les Physiocrates ; Jefferson est admiratif de Turgot et dit " Pourquoi ne fait-on pas traduire Turgot en anglais pour que l'on puisse avoir sa pensée féconde sur le nouveau continent " ?
Au niveau interne aussi le mouvement est très puissant parce qu'il y a des cercles de pensée très nombreux ; il ne faut pas oublier que le XVIIIème siècle est dominé par la maçonnerie, qui à cette époque a un style très particulier. Ce sont des clubs de pensée essentiellement, la dimension religieuse est peut-être moins présente qu'elle ne l'est aujourd'hui et surtout il y a les esprits éclairés, qui veulent connaître les idées du jour. Alors on débat, et il est sûr que cela va entraîner beaucoup de discussions dans les clubs, et comme nous le savons les clubs vont jouer un rôle déterminant dans la Révolution, dans son inspiration, et puis même dans son déroulement (mais, de cela, il appartiendra à François Crouzet de parler la prochaine fois).
Il est certain que le mouvement des idées fait que les idées ont été en mouvement et que ces idées ont été transformées en Révolution Française. Voilà un mouvement qui intervient dans cette Europe des Lumières au moment où se forme la science économique. Dans cet environnement intellectuel, et aussi dans ce cloisonnement, comment essayer de voir quelques traits dominants, comment la dynamique libérale va-t-elle se manifester ?
Elle se manifeste sous la forme d'un slogan, extrêmement puissant, c'est le fameux " Laissez faire, laissez passer ". La liberté, c'est d'abord cette conclusion. Le mot est-il dû à un commerçant drapier en visite chez Colbert au XVIIème siècle, ou bien est-il de Vincent de Gournay ? En tous les cas on le trouve chez Vincent de Gournay, un homme très important. Turgot écrira d'ailleurs un " éloge à Vincent de Gournay ". C'est un super-intendant des finances, et il a déjà des idées très précises concernant la liberté du commerce et la liberté d'entreprise. Car " Laissez faire, laissez passer " : laissez faire, cela veut dire en finir avec les réglementations qui pèsent sur la production ; laissez passer, cela veut dire en finir avec le protectionnisme interne ou international. C'est un bon slogan, c'est d'ailleurs, encore aujourd'hui, je crois, le slogan des libéraux. Seulement ce n'est qu'un slogan, derrière cela, il y a une analyse, une conclusion. Quelle est l'analyse ? Elle est moins brillante que le slogan ; elle est assez contrastée, il y a souvent des erreurs sur la réalité économique et sociale du moment, les gens sont en train de vivre des mutations importantes certes, mais avec un certain manque de lucidité lié au fait qu'il faut un recul pour prendre conscience de ces périodes d'accélération et de changement.
Les analyses libérales de l'époque sont un peu boiteuses, elles ont un aspect négatif qui me paraît très contestable, l'aspect positif me paraît plus assuré. L'aspect négatif c'est la réaction contre le changement organisé ; le premier point de la pensée libérale de l'époque, c'est un rejet de la société telle que les gens l'observaient et la comprenaient. L'aspect positif qui me paraît plus affirmé, c'est la confiance dans l'ordre spontané progressif Regardons un peu plus en détail ces aspects, le négatif et le positif.
==Réaction contre le changement organisé==
Nous sommes incontestablement dans une période où le monde change. Sous la forme du capitalisme que Marx analysera très imparfaitement, il est certain que les choses commencent à bouger très sérieusement dans cette deuxième moitié du XVIIIème siècle. Le problème c'est que le changement se fait dans un climat politique très particulier qui est celui du mercantilisme. On a parlé du mercantilisme au XVIIIème siècle, et nous savons que pour l'instant on pense que le progrès économique passe par l'intervention de l'Etat, passe par l'économie dirigée. Pour certains c'est absolument sans réserves, pour d'autres, si Mat n'intervient pas cela pourrait être pire encore. Donc qu'il s'agisse d'un mercantilisme délibéré ou d'un mercantilisme subi, on a pas encore imaginé à l'époque qu'on puisse faire décoller une économie nationale sans appel à l'Etat.
Lorsque je parle de réaction contre le changement organisé, au fond cette réaction est double : c'est d'abord une réaction contre le changement, puis une réaction contre le dirigisme. Et c'est de là que va venir l'ambigüité, parce que nous allons voir des économistes et des penseurs qui sont bien sûr contre l'Etat, contre le mercantilisme, mais ne sont-ils pas en même temps contre le progrès ? Il faut savoir si la réaction n'est pas d'abord contre le changement et ensuite contre le dirigisme.
===Réaction contre le changement===
C'est la position des physiocrates. Ils sont avant tout des réactionnaires. Ce sont des gens qui ont sous les yeux les différentes techniques industrielles, les nouvelles techniques financières, et ils n'en sont pas très heureux. Ils sont contre cette nouvelle mode de tout sacrifier à l'industrie, de tout sacrifier â la finance, et prônent donc le retour à ta terre. Les physiocrates se font connaître par le fameux article de l'Encyclopédie, écrit par le non moins fameux docteur Quesnay, dont on sait qu'il est le médecin du Roi et le protégé de Mme de Pompadour ; c'est aux deux rubriques " fermier " et " grain ", qu'on va trouver l'acte constitutif de ce qu'on va appeler la secte des Physiocrates. Ils croient au pouvoir de la nature, à l'existence d'un ordre naturel mais au delà de la nature-système ils visent la terre en tant que mère nourricière et productrice. La terre seule source de richesse : alors que les contemporains sont en train de poursuivre des chimères et de rechercher le succès et la réussite à travers la monnaie, à travers les manipulations financières, voire à travers l'industrie. Pour les Physiocrates, l'industrie est purement stérile, elle ne fait que transformer les richesses, elle ne les crée pas ; seule l'agriculture est source de produits nets. Et voici la position de celui qui, après Quesnay, sera sans doute le plus en vue des Physiocrates de la première génération, il s'agit du Marquis de Mirabeau, le père du célèbre constituant : " Détournez-vous donc la vue des lieux où l'on cherche les mines et la poudre d'or ; laissez aux aveugles le soin de s'ensevelir dans les entrailles de la terre, c'est sa surface qu'il faut couvrir et vivifier. Les richesses se trouvent partout où il y a des hommes ". Car ils sont aussi populationnistes, ce qui signifie pour eux qu'ils ont une conception très productiviste de la valeur ; la valeur intrinsèque, c'est la valeur des facteurs de production, de la terre qu'on a utilisée, et des hommes qui ont fécondé cette terre. Voilà où naît la vraie richesse, n'allez pas la chercher du côté de l'argent, des manipulations financières, tout cela est une hérésie.
Leur refus du changement et leur désir de retourner à la terre est aussi un refus du déséquilibre. On a beaucoup présenté les Physiocrates comme les ancêtres de la macro-économie et en fait Keynes leur a beaucoup emprunté ; aujourd'hui nos agrégats de comptabilité nationale se trouvent déjà dans les tableaux en zigzag de Quesnay dans l'Encyclopédie et tout cela est parfaitement équilibré. La valeur suprême des Physiocrates c'est l'équilibre : regardez comme ce circuit est parfaitement équilibré. Il est parfaitement équilibré mais il est parfaitement statique ! Il se reproduit à l’infini ! C'est cinq milliards de produit net toutes les années ! Il n'y a rien qui permette par exemple la création ou l'accumulation de capital ! Et voilà qui va expliquer les combats incessants entre Turgot et les Physiocrates, car Turgot n'est pas un Physiocrate, il a compris qu'il n'y a pas que la richesse foncière, il y a aussi la richesse du commerce, de l'industrie, de la finance. Il n'admet pas non plus cette idée d'un équilibre général statique ; c'est un homme de progrès. Ce que l'on a ici, c'est un équilibre macro-économique à l'état parfaitement stationnaire et qui exclut l'idée de changement. Les Physiocrates veulent un retour à la terre. Pourquoi pas aussi un retour à l'état de nature ? I1 y a toute une pensée à la veille de la Révolution, qui est de retourner vers l'âge d'or. Dans un premier temps l'homme primitif est bon, et grâce à la raison et à la société nouvelle, il va retrouver ce qu'il avait au début, cet état naturel, cet état d'abondance.
Ce mythe de l'âge d'or, du bon sauvage, on le trouve chez tous les utopistes du XVIIIème siècle et évidemment chez le plus connu d'entre eux, Jean-Jacques Rousseau, Lorsqu'il préparait la constitution corse (car il avait été sollicité par Pascal Paoli pour rédiger la constitution corse indépendante), il dit : " le but de la Constitution sera de rendre les Corses à leur état primitif ". C'est là un objectif d'une haute teneur éthique. Morelly va décrire quand à lui une société d'harmonie parfaite, où tous les gens sont parfaitement égaux - le mythe de l'égalité, très présent dans ce XVIIIème siècle, jusqu'à prendre le dessus sur celui de la liberté - et Morelly nous explique que dans une société bien constituée, il faut que tout germe de différence soit éradiqué, que les costumes soient les mêmes ; il est même contre les bijoux, mais il comprend qu'on n'arrivera pas à décider les femmes à les abandonner. Au moins faut-il arriver à persuader les hommes de ne porter aucun signe distinctif. C'est une réaction qui n'est pas du tout dans la dynamique libérale ; on est complètement à côté de la voie royale du libéralisme.
===Réaction contre le dirigisme===
Celle-ci est beaucoup mieux connue et beaucoup plus conforme aux vœux des libéraux. Ici incontestablement les Physiocrates font du bon travail et se trouvent à nouveau aux côtés de Turgot. Réaction contre le dirigisme : c'est d'abord la liberté des grains, la liberté de circulation des produits, car les mœurs sont curieuses. Cela est rappelé notamment dans le livre d'Hilton Root il est certain que tout concourt à isoler les provinces les unes des autres, les grains ne peuvent pas circuler, car on a peur que s'ils circulent cela crée de la disette. ll est donc interdit d'exporter les grains d'une province vers une autre ; il est interdit de stocker et on va faire des contrôles. Turgot, dès 1774, à la suite de l'Edit sur les grains, va devoir se fâcher contre ces contrôles, qui peuvent se traduire par des descentes de police dans les boulangeries, off n de voir si le boulanger a des sacs en réserve et quelle est l'ancienneté des grains. Évidemment, dans ces conditions, il n'y a pas de possibilité d'amortir les différentes fluctuations de la production ; par malheur en plus les années 1775 76 sont des années de mauvaises récoltes, et la liberté des grains est refusée par tout le monde. Dans le fond on préfère que les grains soient à un niveau très élevé et garantissent aux propriétaires fonciers des rentes importantes, plutôt que d'abaisser le prix de la nourriture de la population.
===Liberté des entreprises===
A la fin de l'Ancien Régime on ne peut exercer pratiquement aucune activité sans une autorisation. Ou bien on crée des manufactures, et ces manufactures sont souvent assorties de monopoles très intéressants, monopoles vendus par le pouvoir royal, ou bien on appartient à des corporations. Mais ces corporations elles-mêmes paient un très lourd tribut et ont des dettes très lourdes, notamment vis-à-vis du Trésor Public, à tel point qu'on essaie de venir à bout de ce système. D'abord, il y a un marché noir qui s'est développé parallèlement, un marché spontané, et qui est bien utile pour rétablir l'équilibre économique. Ensuite, en 1776, Turgot essaie de mettre définitivement à bas les corporations, il n'y réussit pas : c'est une levée de bouclier généralisée, tant est forte la pression de ces différents groupes, et Turgot sera remplacé tout de suite par Necker.
Est-ce que cette réaction contre le dirigisme va plus loin ? Est-ce qu'elle va être une réaction contre l'Etat ? Non, il ne semble pas qu'on aille aussi loin, ni chez les Physiocrates ni chez Turgot. On est libéral certes, mais on est toujours préoccupé de la chose publique, de l'intérêt supérieur, on reste très Français. Et d'ailleurs cela est visible chez les philosophes. Même des gens comme Voltaire ne sont pas contre le despotisme, ce qu'ils demandent simplement c'est que ce despotisme soit éclairé.
Donc, on est quand même assez loin de la pensée de Locke, on est tout de même dans une logique de pouvoir politique incontesté. Il n'y a pas de lutte véritable contre le despotisme, du moins chez les économistes que je viens d'évoquer.
Voilà donc ce qu'est cette réaction : c'est une réaction certes contre l'Etat, mais elle est mêlée, surtout chez les Physiocrates à une réaction contre le changement et le progrès.
==La dynamique libérale==
De cette réaction contre l'Etat vont malgré tout sortir quelques idées positives et c'est là que nous allons trouver, je crois, la véritable dynamique libérale. C'est qu'au fond chez ces penseurs il y a déjà le credo de base du libéralisme. Le premier article du credo, c'est que les hommes sont capables de forger leur propre progrès, autrement dit il y a un ordre spontané, et cet ordre spontané nous conduit au progrès. Et, deuxième article du credo, ce progrès est accéléré encore par la liberté des échanges.
L'idée que l'ordre spontané existe n'est pas toujours très claire, ni dans ses racines ni dans sa formulation. Par exemple, il y a de plus en plus de références à l'ordre naturel. Mais quel ordre naturel ? Est-ce le droit naturel qui est celui du droit des gens, du droit individuel, qui serait en quelque sorte un genre de " laïcisation du droit canon traditionnel " ? Au fond on a remplacé la référence à Dieu par la référence à l'homme créé à l'image de Dieu, nature digne, nature consciencieuse, nature aimante, et cette référence à l'ordre naturel est évidemment dans la grande tradition libérale. On la trouve chez Locke, mais aussi chez certains théoriciens de l'ordre naturel au XVIIème siècle aussi bien qu'au XVIIIème.
Mais il y a aussi l'ordre naturel tel qu'il est inscrit dans la nature des choses. Ce n'est plus la nature des hommes, c'est la nature des choses. Une espèce d'ordre immanent qui gouvernerait les lois de la société dans la même mesure qu'en physique, les lois de Newton règnent sur l'organisation des astres et du monde inerte. Il y a donc deux catégories d'ordres naturels, l'ordre naturel de la nature et l'ordre naturel des hommes. C'est déjà un point très important. Lorsqu'il s'agit de la vraie pensée libérale, à cette époque, il vaut mieux se référer à des gens comme Adam Smith ou comme Turgot. Lequel a influencé l'autre ? C'est difficile à dire : ils ont discuté ensemble, mais Adam Smith apportait tout de même quelque chose dans le couple, à savoir les leçons de David Hume. Il ne faut pas oublier qu'entre La théorie des sentiments moraux et L'essai sur la richesse des nations, des années s'écoulent, pendant lesquelles Adam Smith hésite à présenter sa véritable théorie économique, à créer la science économique, et tout cela donne lieu à un dialogue avec David Hume. Au fond c'est un triangle Turgot-Adam Smith-Hume, qui va poser les véritables bases de ce que nous appelons aujourd'hui l'ordre spontané.
Qu'est-ce que l'ordre spontané ? Il découle de la capacité des hommes à s'auto-organiser. A partir de deux postulats. Premier postulat, c'est qu'il y a convergence entre les intérêts individuels et l'intérêt général. C'est une idée que l'on trouve déjà chez Locke aussi bien que chez Hume, Adam Smith, et Turgot : les intérêts individuels se confondent dans un intérêt général, par une alchimie qui est d'ailleurs assez bizarre. Au départ de cette confusion, il y a l'action humaine. Ecoutez cette phrase de Turgot : " L'ordre économique est beaucoup moins à rechercher dans un système ou dans la nature que dans un fait de psychologie individuelle, le sentiment de l'intérêt personnel, la faculté exclusive qu'a chaque individu de connaître ses intérêts mieux que tout autre ". Les intérêts individuels sont les intérêts que chacun mesure à son propre étalon (nous parlons aujourd'hui de subjectivité des choix). Nul ne peut se substituer aux individus pour agir, et chacun agit dans son intérêt, c'est la base de l'ordre spontané. Puis cet ordre spontané vient se mélanger dans un processus social, dans une alchimie qu'Adam Smith va appeler la main invisible, et qu'à la suite Turgot va appeler le marché. Idée d'ailleurs qu'Adam Smith a semble-t-il empruntée aux derniers scolastiques. Lorsqu'on a fêté le bicentenaire de La richesse des nations en 1976, Hayek en a surpris plus d'un en révélant qu'au fond la filiation d'Adam Smith, c'était les derniers scolastiques, ce qui le fait remonter au thomisme, et à travers le thomisme à l'aristotélisme. En particulier on trouve chez certains scolastiques l'idée que le processus de marché est un processus tellement compliqué, requérant tellement d'informations et d'informations dynamiques, qu'aucun esprit humain ne saurait le comprendre. Donc le marché est d'essence supranaturelle ; le marché est d'essence divine. Et nous devons respecter les volontés du marché parce qu'au fond c'est la volonté de Dieu. Autrement dit la main invisible d'Adam Smith, c'est une volonté providentielle.
Un autre point important de l'ordre spontané, c'est la subjectivité des choix. C'est aussi le fait que dans leur action en vue de l'intérêt personnel, chaque individu va faire valoir ses droits, mais rencontrer aussi les droits de l'autre. Autrement dit, les droits de chacun ne peuvent être établis que sur un marché. Au fond le marché est un processus d'échange des droits. Locke l'avait déjà découvert. Ce qui veut dire que la valeur des activités de chacun ne peut pas être une valeur intrinsèque. Cela ne peut être qu'une valeur marchande. Seul le marché donne la valeur au produit. La subjectivité des choix, des valeurs subjectives se confrontent dans un marché qui n'est pas nécessairement seulement quelque chose de technique : la spécialisation des tâches, qui deviendra plus tard une spécialisation internationale des tâches. Les économistes contemporains n'en sont pas persuadés ; Hume dit quelque part que l'échange ne conduit pas à la spécialisation mais au contraire à la diversification. Nous sommes amenés à faire beaucoup de choses différentes. Et pour lui c'est cela qui est la richesse des nations. Ce n'est pas lorsque l'un se spécialise dans le drap, l'autre dans le vin, comme le dira Ricardo au siècle suivant, suivi par Marx (puisque chaque fois que Ricardo commettait une erreur, Marx ne pouvait manquer de la répéter et de l'amplifier). Quelqu'un aussi a bien étudié cette philosophie de l'échange, c'est Condillac, avec un argument : c'est que l'échange est un facteur de compréhension pour les hommes et que la paix est meilleure. Elle est meilleure pour les finances publiques : regardez dans quel état se trouve le Trésor Royal après Louis XIV, après les grandes guerres. Pour Condillac, s'il y a des échanges il y aura moins de guerre, et c'est déjà une économie. Et surtout, les échanges amènent les gens à reconstituer cette grande famille humaine, et là on retrouve le thème cosmopolite de la pensée libérale de cette époque.
En conclusion, voilà les grands thèmes de la pensée libérale : la croyance dans l'ordre spontané à partir des choix individuels, et des processus de coordination sociale, ensuite le progrès, né de la volonté de l'homme et accéléré par les échanges. Ces grands thèmes de la liberté sont tout à fait présents dès la fin de l'Ancien Régime, dès ce milieu du XVIIIème siècle, et à la veille de la Révolution. Qu'est-ce que la Révolution va faire de tout cela ? Je laisse à Monsieur Crouzet le soin de nous le dire dans la prochaine séance. Mais il est certain que les germes de la société de liberté sont là, et la preuve en est que de l'autre côté de l'Atlantique, cette société de liberté va quand même se construire. Peut-être l'enfantement se fera-t-il dans la douleur, peut-être tout n'est-il pas excellent dans la croissance de la société américaine, il y aura des crises, mais on peut dire que les fondements de la pensée libérale sont tellement présents dans ces années 1770-1780, qu'ils inspirent déjà une société concrète qui est la société américaine.
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Version actuelle datée du 17 novembre 2010 à 00:46

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Collectif:Aux sources du modèle libéral français - La vitalité de la pensée libérale à la fin de l'Ancien Régime


Anonyme


Aux Sources du modèle libéral français
9782262012069.jpg
Auteur : Collectif
Genre
histoire
Année de parution
1997
Interwiki
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Index des livres
A • B • C • D • E • F • G • H • I • 

J • K • L • M • N • O • P •  Q • R • S • T • U • V • W • X • Y • Z

Deux grands courants intellectuels ont particulièrement marqué la période précédant la Révolution française : le rationalisme français et le jusnaturalisme anglais. Entre Descartes et Locke, entre positivisme et individualisme, se développe un mouvement de réflexion qui va donner naissance au libéralisme moderne, prônant à la fois le rejet de la société ancienne -mercantiliste et étatiste - et la croyance dans l'ordre spontané fondé sur la capacité naturelle de l'homme à s'auto-organiser.

Bien que je ne sois pas historien, j'ai finalement accepté l'invitation d'Henri Lepage de traiter ce sujet, car Hayek a pu dire que " l'économiste qui n'est qu'un économiste est un mauvais économiste ". Je ne sais si cela va faire de moi un bon économiste, mais j'échapperai au moins au reproche de n'être qu'un économiste, puisque de temps en temps je m'essaie dans l'histoire de la pensée économique. J'enseigne en effet ce que je crois être l'histoire des idées à l'Université d'Aix-Marseille avec des présentations qui, parfois, surprennent mes étudiants. L'année dernière, par exemple, j'ai donné comme sujet à la session de juin : " 1776 ". Tous les étudiants savent que c'est la date de parution de La richesse des nations, qui est un peu le bulletin de naissance de la science économique, puisque mon grand maître, qui lui était un véritable historien, Georges-Henri Bousquet, spécialiste de la pensée d'Adam Smith, a qualifié Adam Smith de " véritable père de l'économie politique ". 1776, c'est donc l'acte de naissance de la science économique contemporaine.

Les étudiants savent aussi que 1776 est la date de l'édit de Turgot sur les corporations. On supprime les corporations ; pas pour très longtemps, ainsi qu'on le verra.

Ce que l'on sait moins, c'est que 1776 est aussi la date de publication d'un ouvrage de Condillac, qui s'intitule Le commerce et les gouvernements considérés relativement l'un à l'autre. Condillac est un auteur que l'on a oublié souvent, du moins chez les économistes ; cependant, il y a un assez grand intérêt à s'interroger sur ce qu'il a pu dire.

Quelques étudiants savent également qu'en 1776, David Hume était en train de rendre son dernier soupir ; David Hume, c'est important, c'est Turgot, c'est Adam Smith surtout. Et puis accessoirement, quelques esprits plus ouverts savaient qu'en 1776, le 4 juillet, il y a eut une déclaration d'indépendance américaine.

C'est dire qu'autour de cette année 1776, il va y avoir des évènements, des idées, des courants d'opinion assez multiples. Est-ce que tout cela donne un mouvement des idées économiques ? Je me contenterai ici de parler des " idées ".

Il aurait été tout aussi intéressant peut-être de parler des institutions. C'est Douglass North, dont je ne sais pas s'il est un historien économiste ou un économiste historien (mais dont j'ai la certitude qu'il est le prix Nobel d'économie le plus récent), qui nous dit que l'on s'intéresse beaucoup trop à l'évolution des faits et des idées, pas assez à celle des institutions. Et il est vrai qu'il est intéressant de noter, comme cela a été esquissé la dernière fois par Monsieur Meyer, les changements profonds de structures de la société européenne avec notamment trois évolutions institutionnelles majeures :

  • un changement dans l'organisation du droit de propriété (en Angleterre les enclosures en particulier) ;
  • l'avènement du parlementarisme ;
  • et enfin, et non le moindre, l'apparition d'une nouvelle organisation de l'entreprise qui rompt avec le schéma productif artisanal pour entrer dans la logique de la manufacture ou de l'usine telles qu'on les conçoit aujourd'hui, avec pour base un contrat de travail tel que nous le pratiquons quotidiennement.

Je laisserai de côté ce mouvement des institutions, bien qu'il mérite sans doute davantage notre attention, pour me concentrer sur le mouvement des idées, et des idées " économiques ". Car on vient juste de commencer d'ériger la science économique en une science autonome. C'est une autonomie toute relative d'ailleurs, et les premiers économistes - Adam Smith, Hume, Condillac, les Physiocrates, Turgot - sont en même temps des philosophes, des juristes, des historiens, des littérateurs, et ainsi de suite. C'est une science économique qui vient d'émerger, mais qui, pour remplir son office, doit déjà être pluridisciplinaire. Voici déjà ce que disait David Hume concernant les phénomènes économiques " Il faut les envisager dans toute leur complexité, les examiner successivement par tous les points de vue ; la simplicité n'est pas dans la nature de la société humaine. On ne peut pénétrer les causes des

La deuxième tradition est celle des philosophes et des juristes anglais ce sont essentiellement les gens qui ont insisté sur les droits individuels, sur le droit de propriété, sur les droits naturels. On vient juste de traduire en France deux grands prêtres du droit naturel que sont Grotius et Pufendorf, et on connaît les travaux de Locke, de Hobbes, on va connaître David Hume, qui va passer en France trois ans. L'influence des Ecossais ou des Anglais est telle qu'en 1734 Voltaire donne le sous-titre Lettres Anglaises à l'une des ses œuvres. On parle aussi des anglomaniaques, ces gens qui regardent de l'autre côté de la Manche pour y prendre de nouvelles idées. Tout cela arrive en France et se combine dans une alchimie qui n'est pas toujours bien connue, et les gens ne sont pas toujours très faciles à classer. Par exemple Montesquieu est plus Français qu'Anglais, d'un côté il subit l'influence de Locke, de l'autre côté il est un bon juriste français traditionnel, très attaché aux droits des parlements. Il est en fait beaucoup plus absolutiste qu'on ne le dit en général, c'est au fond un haut fonctionnaire, et si l'ENA avait existé à l'époque il en serait sûrement sorti. Il a les réflexes du grand serviteur de l'Etat beaucoup plus que du libéral qu'on présente assez souvent.

A partir de ces influences majeures nous verrons des branches très diverses se multiplier, et tout cela donne un " mouvement ". Car ces idées s'échangent, ces idées bougent, ces idées progressent. Il faut d'abord se rendre compte que ce mouvement est européen ; il n'y a pas de nationalisme de la pensée - il n'y avait pas eu à cette époque une loi interdisant de se référer à des cultures étrangères. La culture était universelle, il y a un genre de cosmopolitisme intellectuel, et les gens circulent dans cette Europe. II est bien connu que Voltaire a prêché sa philosophie du despotisme éclairé un peu partout, et aussi bien chez Frédéric II de Prusse que chez Catherine ou en Autriche encore. Il y a aussi des Anglais qui viennent en France - David Hume passe trois ans en France, Adam Smith fait un voyage de quatre ans avec le duc de Buccley ; c'est à ce moment là qu'il rencontre Turgot, en particulier, et la plupart des Physiocrates, et l'influence de Turgot sur Adam Smith est absolument incontestable. Ces gens là sont aussi en relation avec l'Amérique, les Etats-Unis qui sont en train de se forger, de se former, de se proclamer, et des gens comme Jefferson ont des liens avec les Physiocrates ; Jefferson est admiratif de Turgot et dit " Pourquoi ne fait-on pas traduire Turgot en anglais pour que l'on puisse avoir sa pensée féconde sur le nouveau continent " ?

Au niveau interne aussi le mouvement est très puissant parce qu'il y a des cercles de pensée très nombreux ; il ne faut pas oublier que le XVIIIème siècle est dominé par la maçonnerie, qui à cette époque a un style très particulier. Ce sont des clubs de pensée essentiellement, la dimension religieuse est peut-être moins présente qu'elle ne l'est aujourd'hui et surtout il y a les esprits éclairés, qui veulent connaître les idées du jour. Alors on débat, et il est sûr que cela va entraîner beaucoup de discussions dans les clubs, et comme nous le savons les clubs vont jouer un rôle déterminant dans la Révolution, dans son inspiration, et puis même dans son déroulement (mais, de cela, il appartiendra à François Crouzet de parler la prochaine fois). Il est certain que le mouvement des idées fait que les idées ont été en mouvement et que ces idées ont été transformées en Révolution Française. Voilà un mouvement qui intervient dans cette Europe des Lumières au moment où se forme la science économique. Dans cet environnement intellectuel, et aussi dans ce cloisonnement, comment essayer de voir quelques traits dominants, comment la dynamique libérale va-t-elle se manifester ?

Elle se manifeste sous la forme d'un slogan, extrêmement puissant, c'est le fameux " Laissez faire, laissez passer ". La liberté, c'est d'abord cette conclusion. Le mot est-il dû à un commerçant drapier en visite chez Colbert au XVIIème siècle, ou bien est-il de Vincent de Gournay ? En tous les cas on le trouve chez Vincent de Gournay, un homme très important. Turgot écrira d'ailleurs un " éloge à Vincent de Gournay ". C'est un super-intendant des finances, et il a déjà des idées très précises concernant la liberté du commerce et la liberté d'entreprise. Car " Laissez faire, laissez passer " : laissez faire, cela veut dire en finir avec les réglementations qui pèsent sur la production ; laissez passer, cela veut dire en finir avec le protectionnisme interne ou international. C'est un bon slogan, c'est d'ailleurs, encore aujourd'hui, je crois, le slogan des libéraux. Seulement ce n'est qu'un slogan, derrière cela, il y a une analyse, une conclusion. Quelle est l'analyse ? Elle est moins brillante que le slogan ; elle est assez contrastée, il y a souvent des erreurs sur la réalité économique et sociale du moment, les gens sont en train de vivre des mutations importantes certes, mais avec un certain manque de lucidité lié au fait qu'il faut un recul pour prendre conscience de ces périodes d'accélération et de changement. Les analyses libérales de l'époque sont un peu boiteuses, elles ont un aspect négatif qui me paraît très contestable, l'aspect positif me paraît plus assuré. L'aspect négatif c'est la réaction contre le changement organisé ; le premier point de la pensée libérale de l'époque, c'est un rejet de la société telle que les gens l'observaient et la comprenaient. L'aspect positif qui me paraît plus affirmé, c'est la confiance dans l'ordre spontané progressif Regardons un peu plus en détail ces aspects, le négatif et le positif.

Réaction contre le changement organisé

Nous sommes incontestablement dans une période où le monde change. Sous la forme du capitalisme que Marx analysera très imparfaitement, il est certain que les choses commencent à bouger très sérieusement dans cette deuxième moitié du XVIIIème siècle. Le problème c'est que le changement se fait dans un climat politique très particulier qui est celui du mercantilisme. On a parlé du mercantilisme au XVIIIème siècle, et nous savons que pour l'instant on pense que le progrès économique passe par l'intervention de l'Etat, passe par l'économie dirigée. Pour certains c'est absolument sans réserves, pour d'autres, si Mat n'intervient pas cela pourrait être pire encore. Donc qu'il s'agisse d'un mercantilisme délibéré ou d'un mercantilisme subi, on a pas encore imaginé à l'époque qu'on puisse faire décoller une économie nationale sans appel à l'Etat.

Lorsque je parle de réaction contre le changement organisé, au fond cette réaction est double : c'est d'abord une réaction contre le changement, puis une réaction contre le dirigisme. Et c'est de là que va venir l'ambigüité, parce que nous allons voir des économistes et des penseurs qui sont bien sûr contre l'Etat, contre le mercantilisme, mais ne sont-ils pas en même temps contre le progrès ? Il faut savoir si la réaction n'est pas d'abord contre le changement et ensuite contre le dirigisme.

Réaction contre le changement

C'est la position des physiocrates. Ils sont avant tout des réactionnaires. Ce sont des gens qui ont sous les yeux les différentes techniques industrielles, les nouvelles techniques financières, et ils n'en sont pas très heureux. Ils sont contre cette nouvelle mode de tout sacrifier à l'industrie, de tout sacrifier â la finance, et prônent donc le retour à ta terre. Les physiocrates se font connaître par le fameux article de l'Encyclopédie, écrit par le non moins fameux docteur Quesnay, dont on sait qu'il est le médecin du Roi et le protégé de Mme de Pompadour ; c'est aux deux rubriques " fermier " et " grain ", qu'on va trouver l'acte constitutif de ce qu'on va appeler la secte des Physiocrates. Ils croient au pouvoir de la nature, à l'existence d'un ordre naturel mais au delà de la nature-système ils visent la terre en tant que mère nourricière et productrice. La terre seule source de richesse : alors que les contemporains sont en train de poursuivre des chimères et de rechercher le succès et la réussite à travers la monnaie, à travers les manipulations financières, voire à travers l'industrie. Pour les Physiocrates, l'industrie est purement stérile, elle ne fait que transformer les richesses, elle ne les crée pas ; seule l'agriculture est source de produits nets. Et voici la position de celui qui, après Quesnay, sera sans doute le plus en vue des Physiocrates de la première génération, il s'agit du Marquis de Mirabeau, le père du célèbre constituant : " Détournez-vous donc la vue des lieux où l'on cherche les mines et la poudre d'or ; laissez aux aveugles le soin de s'ensevelir dans les entrailles de la terre, c'est sa surface qu'il faut couvrir et vivifier. Les richesses se trouvent partout où il y a des hommes ". Car ils sont aussi populationnistes, ce qui signifie pour eux qu'ils ont une conception très productiviste de la valeur ; la valeur intrinsèque, c'est la valeur des facteurs de production, de la terre qu'on a utilisée, et des hommes qui ont fécondé cette terre. Voilà où naît la vraie richesse, n'allez pas la chercher du côté de l'argent, des manipulations financières, tout cela est une hérésie.

Leur refus du changement et leur désir de retourner à la terre est aussi un refus du déséquilibre. On a beaucoup présenté les Physiocrates comme les ancêtres de la macro-économie et en fait Keynes leur a beaucoup emprunté ; aujourd'hui nos agrégats de comptabilité nationale se trouvent déjà dans les tableaux en zigzag de Quesnay dans l'Encyclopédie et tout cela est parfaitement équilibré. La valeur suprême des Physiocrates c'est l'équilibre : regardez comme ce circuit est parfaitement équilibré. Il est parfaitement équilibré mais il est parfaitement statique ! Il se reproduit à l’infini ! C'est cinq milliards de produit net toutes les années ! Il n'y a rien qui permette par exemple la création ou l'accumulation de capital ! Et voilà qui va expliquer les combats incessants entre Turgot et les Physiocrates, car Turgot n'est pas un Physiocrate, il a compris qu'il n'y a pas que la richesse foncière, il y a aussi la richesse du commerce, de l'industrie, de la finance. Il n'admet pas non plus cette idée d'un équilibre général statique ; c'est un homme de progrès. Ce que l'on a ici, c'est un équilibre macro-économique à l'état parfaitement stationnaire et qui exclut l'idée de changement. Les Physiocrates veulent un retour à la terre. Pourquoi pas aussi un retour à l'état de nature ? I1 y a toute une pensée à la veille de la Révolution, qui est de retourner vers l'âge d'or. Dans un premier temps l'homme primitif est bon, et grâce à la raison et à la société nouvelle, il va retrouver ce qu'il avait au début, cet état naturel, cet état d'abondance.

Ce mythe de l'âge d'or, du bon sauvage, on le trouve chez tous les utopistes du XVIIIème siècle et évidemment chez le plus connu d'entre eux, Jean-Jacques Rousseau, Lorsqu'il préparait la constitution corse (car il avait été sollicité par Pascal Paoli pour rédiger la constitution corse indépendante), il dit : " le but de la Constitution sera de rendre les Corses à leur état primitif ". C'est là un objectif d'une haute teneur éthique. Morelly va décrire quand à lui une société d'harmonie parfaite, où tous les gens sont parfaitement égaux - le mythe de l'égalité, très présent dans ce XVIIIème siècle, jusqu'à prendre le dessus sur celui de la liberté - et Morelly nous explique que dans une société bien constituée, il faut que tout germe de différence soit éradiqué, que les costumes soient les mêmes ; il est même contre les bijoux, mais il comprend qu'on n'arrivera pas à décider les femmes à les abandonner. Au moins faut-il arriver à persuader les hommes de ne porter aucun signe distinctif. C'est une réaction qui n'est pas du tout dans la dynamique libérale ; on est complètement à côté de la voie royale du libéralisme.

Réaction contre le dirigisme

Celle-ci est beaucoup mieux connue et beaucoup plus conforme aux vœux des libéraux. Ici incontestablement les Physiocrates font du bon travail et se trouvent à nouveau aux côtés de Turgot. Réaction contre le dirigisme : c'est d'abord la liberté des grains, la liberté de circulation des produits, car les mœurs sont curieuses. Cela est rappelé notamment dans le livre d'Hilton Root il est certain que tout concourt à isoler les provinces les unes des autres, les grains ne peuvent pas circuler, car on a peur que s'ils circulent cela crée de la disette. ll est donc interdit d'exporter les grains d'une province vers une autre ; il est interdit de stocker et on va faire des contrôles. Turgot, dès 1774, à la suite de l'Edit sur les grains, va devoir se fâcher contre ces contrôles, qui peuvent se traduire par des descentes de police dans les boulangeries, off n de voir si le boulanger a des sacs en réserve et quelle est l'ancienneté des grains. Évidemment, dans ces conditions, il n'y a pas de possibilité d'amortir les différentes fluctuations de la production ; par malheur en plus les années 1775 76 sont des années de mauvaises récoltes, et la liberté des grains est refusée par tout le monde. Dans le fond on préfère que les grains soient à un niveau très élevé et garantissent aux propriétaires fonciers des rentes importantes, plutôt que d'abaisser le prix de la nourriture de la population.

Liberté des entreprises

A la fin de l'Ancien Régime on ne peut exercer pratiquement aucune activité sans une autorisation. Ou bien on crée des manufactures, et ces manufactures sont souvent assorties de monopoles très intéressants, monopoles vendus par le pouvoir royal, ou bien on appartient à des corporations. Mais ces corporations elles-mêmes paient un très lourd tribut et ont des dettes très lourdes, notamment vis-à-vis du Trésor Public, à tel point qu'on essaie de venir à bout de ce système. D'abord, il y a un marché noir qui s'est développé parallèlement, un marché spontané, et qui est bien utile pour rétablir l'équilibre économique. Ensuite, en 1776, Turgot essaie de mettre définitivement à bas les corporations, il n'y réussit pas : c'est une levée de bouclier généralisée, tant est forte la pression de ces différents groupes, et Turgot sera remplacé tout de suite par Necker.

Est-ce que cette réaction contre le dirigisme va plus loin ? Est-ce qu'elle va être une réaction contre l'Etat ? Non, il ne semble pas qu'on aille aussi loin, ni chez les Physiocrates ni chez Turgot. On est libéral certes, mais on est toujours préoccupé de la chose publique, de l'intérêt supérieur, on reste très Français. Et d'ailleurs cela est visible chez les philosophes. Même des gens comme Voltaire ne sont pas contre le despotisme, ce qu'ils demandent simplement c'est que ce despotisme soit éclairé.

Donc, on est quand même assez loin de la pensée de Locke, on est tout de même dans une logique de pouvoir politique incontesté. Il n'y a pas de lutte véritable contre le despotisme, du moins chez les économistes que je viens d'évoquer. Voilà donc ce qu'est cette réaction : c'est une réaction certes contre l'Etat, mais elle est mêlée, surtout chez les Physiocrates à une réaction contre le changement et le progrès.

La dynamique libérale

De cette réaction contre l'Etat vont malgré tout sortir quelques idées positives et c'est là que nous allons trouver, je crois, la véritable dynamique libérale. C'est qu'au fond chez ces penseurs il y a déjà le credo de base du libéralisme. Le premier article du credo, c'est que les hommes sont capables de forger leur propre progrès, autrement dit il y a un ordre spontané, et cet ordre spontané nous conduit au progrès. Et, deuxième article du credo, ce progrès est accéléré encore par la liberté des échanges.

L'idée que l'ordre spontané existe n'est pas toujours très claire, ni dans ses racines ni dans sa formulation. Par exemple, il y a de plus en plus de références à l'ordre naturel. Mais quel ordre naturel ? Est-ce le droit naturel qui est celui du droit des gens, du droit individuel, qui serait en quelque sorte un genre de " laïcisation du droit canon traditionnel " ? Au fond on a remplacé la référence à Dieu par la référence à l'homme créé à l'image de Dieu, nature digne, nature consciencieuse, nature aimante, et cette référence à l'ordre naturel est évidemment dans la grande tradition libérale. On la trouve chez Locke, mais aussi chez certains théoriciens de l'ordre naturel au XVIIème siècle aussi bien qu'au XVIIIème.

Mais il y a aussi l'ordre naturel tel qu'il est inscrit dans la nature des choses. Ce n'est plus la nature des hommes, c'est la nature des choses. Une espèce d'ordre immanent qui gouvernerait les lois de la société dans la même mesure qu'en physique, les lois de Newton règnent sur l'organisation des astres et du monde inerte. Il y a donc deux catégories d'ordres naturels, l'ordre naturel de la nature et l'ordre naturel des hommes. C'est déjà un point très important. Lorsqu'il s'agit de la vraie pensée libérale, à cette époque, il vaut mieux se référer à des gens comme Adam Smith ou comme Turgot. Lequel a influencé l'autre ? C'est difficile à dire : ils ont discuté ensemble, mais Adam Smith apportait tout de même quelque chose dans le couple, à savoir les leçons de David Hume. Il ne faut pas oublier qu'entre La théorie des sentiments moraux et L'essai sur la richesse des nations, des années s'écoulent, pendant lesquelles Adam Smith hésite à présenter sa véritable théorie économique, à créer la science économique, et tout cela donne lieu à un dialogue avec David Hume. Au fond c'est un triangle Turgot-Adam Smith-Hume, qui va poser les véritables bases de ce que nous appelons aujourd'hui l'ordre spontané.

Qu'est-ce que l'ordre spontané ? Il découle de la capacité des hommes à s'auto-organiser. A partir de deux postulats. Premier postulat, c'est qu'il y a convergence entre les intérêts individuels et l'intérêt général. C'est une idée que l'on trouve déjà chez Locke aussi bien que chez Hume, Adam Smith, et Turgot : les intérêts individuels se confondent dans un intérêt général, par une alchimie qui est d'ailleurs assez bizarre. Au départ de cette confusion, il y a l'action humaine. Ecoutez cette phrase de Turgot : " L'ordre économique est beaucoup moins à rechercher dans un système ou dans la nature que dans un fait de psychologie individuelle, le sentiment de l'intérêt personnel, la faculté exclusive qu'a chaque individu de connaître ses intérêts mieux que tout autre ". Les intérêts individuels sont les intérêts que chacun mesure à son propre étalon (nous parlons aujourd'hui de subjectivité des choix). Nul ne peut se substituer aux individus pour agir, et chacun agit dans son intérêt, c'est la base de l'ordre spontané. Puis cet ordre spontané vient se mélanger dans un processus social, dans une alchimie qu'Adam Smith va appeler la main invisible, et qu'à la suite Turgot va appeler le marché. Idée d'ailleurs qu'Adam Smith a semble-t-il empruntée aux derniers scolastiques. Lorsqu'on a fêté le bicentenaire de La richesse des nations en 1976, Hayek en a surpris plus d'un en révélant qu'au fond la filiation d'Adam Smith, c'était les derniers scolastiques, ce qui le fait remonter au thomisme, et à travers le thomisme à l'aristotélisme. En particulier on trouve chez certains scolastiques l'idée que le processus de marché est un processus tellement compliqué, requérant tellement d'informations et d'informations dynamiques, qu'aucun esprit humain ne saurait le comprendre. Donc le marché est d'essence supranaturelle ; le marché est d'essence divine. Et nous devons respecter les volontés du marché parce qu'au fond c'est la volonté de Dieu. Autrement dit la main invisible d'Adam Smith, c'est une volonté providentielle.

Un autre point important de l'ordre spontané, c'est la subjectivité des choix. C'est aussi le fait que dans leur action en vue de l'intérêt personnel, chaque individu va faire valoir ses droits, mais rencontrer aussi les droits de l'autre. Autrement dit, les droits de chacun ne peuvent être établis que sur un marché. Au fond le marché est un processus d'échange des droits. Locke l'avait déjà découvert. Ce qui veut dire que la valeur des activités de chacun ne peut pas être une valeur intrinsèque. Cela ne peut être qu'une valeur marchande. Seul le marché donne la valeur au produit. La subjectivité des choix, des valeurs subjectives se confrontent dans un marché qui n'est pas nécessairement seulement quelque chose de technique : la spécialisation des tâches, qui deviendra plus tard une spécialisation internationale des tâches. Les économistes contemporains n'en sont pas persuadés ; Hume dit quelque part que l'échange ne conduit pas à la spécialisation mais au contraire à la diversification. Nous sommes amenés à faire beaucoup de choses différentes. Et pour lui c'est cela qui est la richesse des nations. Ce n'est pas lorsque l'un se spécialise dans le drap, l'autre dans le vin, comme le dira Ricardo au siècle suivant, suivi par Marx (puisque chaque fois que Ricardo commettait une erreur, Marx ne pouvait manquer de la répéter et de l'amplifier). Quelqu'un aussi a bien étudié cette philosophie de l'échange, c'est Condillac, avec un argument : c'est que l'échange est un facteur de compréhension pour les hommes et que la paix est meilleure. Elle est meilleure pour les finances publiques : regardez dans quel état se trouve le Trésor Royal après Louis XIV, après les grandes guerres. Pour Condillac, s'il y a des échanges il y aura moins de guerre, et c'est déjà une économie. Et surtout, les échanges amènent les gens à reconstituer cette grande famille humaine, et là on retrouve le thème cosmopolite de la pensée libérale de cette époque.

En conclusion, voilà les grands thèmes de la pensée libérale : la croyance dans l'ordre spontané à partir des choix individuels, et des processus de coordination sociale, ensuite le progrès, né de la volonté de l'homme et accéléré par les échanges. Ces grands thèmes de la liberté sont tout à fait présents dès la fin de l'Ancien Régime, dès ce milieu du XVIIIème siècle, et à la veille de la Révolution. Qu'est-ce que la Révolution va faire de tout cela ? Je laisse à Monsieur Crouzet le soin de nous le dire dans la prochaine séance. Mais il est certain que les germes de la société de liberté sont là, et la preuve en est que de l'autre côté de l'Atlantique, cette société de liberté va quand même se construire. Peut-être l'enfantement se fera-t-il dans la douleur, peut-être tout n'est-il pas excellent dans la croissance de la société américaine, il y aura des crises, mais on peut dire que les fondements de la pensée libérale sont tellement présents dans ces années 1770-1780, qu'ils inspirent déjà une société concrète qui est la société américaine.

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