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causes, à la question très ancienne, mais toujours débattue, de la | causes, à la question très ancienne, mais toujours débattue, de la | ||
grande et de la petite culture : l'une d'elles est-elle économiquement | grande et de la petite culture : l'une d'elles est-elle économiquement | ||
supérieure à l'autre? | supérieure à l'autre ? | ||
===§ 2. Les conditions économiques de la grande et de la petite culture.=== | |||
Ce n'est pas que la question puisse être discutée ''in abstracto'' et en | |||
thèse absolue, comme elle l'a été trop souvent. Il est de toute évidence | |||
que la petite exploitation s'impose pour certaines cultures | |||
exigeant des soins minutieux, comme la culture maraîchère, tandis | |||
que la grande exploitation convient mieux à la sylviculture. Or, | |||
l'exploitant n'a pas toujours le libre choix de sa culture; la nature | |||
du sol et du sous-sol, le climat, la distribution des eaux, la distance | |||
des marchés, l'état des prix, bien d'autres conditions physiques ou | |||
économiques, déterminent généralement le genre de culture qui doit | |||
être adopté dans une exploitation, et, par là-même, l'étendue que | |||
comporte l'entreprise. Mais les cultures les plus importantes, celles | |||
des céréales, de la betterave à sucre et à alcool, des plantes fourragères, | |||
de la vigne, des herbages pour l'élevage et la production du | |||
lait, se prêtent indifféremment à la grande et à la petite entreprise, | |||
à moins de circonstances particulières tenant à la nature du sol et | |||
au régime des eaux. C'est alors que l'on peut discuter les mérites | |||
respectifs de la grande et de la petite culture; et, bien que la question | |||
puisse être considérée à peu près comme épuisée par une discussion | |||
plus que séculaire, il n'est pas inutile d'en rappeler les éléments au | |||
point de vue de l'agriculture moderne, pour en dégager quelques | |||
indices sur l'avenir de la petite culture. | |||
On s'accorde généralement à reconnaître qu'au point de vue de la | |||
production, la culture parcellaire est très défectueuse, à moins qu'il | |||
ne s'agisse de jardinage ou de culture maraîchère. La pulvérisation | |||
du sol et l'enchevêtrement des parcelles, tels qu'on les rencontre dans | |||
certaines contrées de la France et de l'Allemagne, font obstacle à | |||
une agriculture progressive. Mais toutes les cultures parcellaires ne | |||
se trouvent pas dans ces conditions; il en est d'autres, au contraire, | |||
qui présentent de sérieux avantages économiques et sociaux. L'enclos | |||
qui entoure la maison d'habitation ou le petit champ qui y attient | |||
permet au journalier agricole, à l'ouvrier mineur, à l'ouvrier de | |||
fabrique, au travailleur à domicile, au petit commerçant de village | |||
ou à l'employé urbain de se procurer des légumes et des fruits et | |||
d'entretenir quelques animaux. Ces cultures naines contribuent au | |||
bien-être d'une nombreuse population : elles peuvent être très fécondes | |||
en produits maraîchers; et lors même que des lopins de terre cultivés | |||
par des ouvriers à leurs moments perdus ne seraient pas l'objet d'une | |||
exploitation très soigneuse et très productive, il faudrait encore se | |||
féliciter de leur multiplication. Mais les cultures parcellaires, quelles | |||
qu'elles soient, restent en dehors de notre question, qui concerne les | |||
exploitations paysannes dont l'étendue, variable suivant l'état de la | |||
technique agricole, suffit à la subsistance d'une famille. | |||
En principe, la grande exploitation présente en agriculture certains | |||
avantages du même genre que dans les autres branches de la | |||
production économie de frais, s'appliquant aux bâtiments, clôtures | |||
et chemins d'accès, à l'emploi des instruments de culture, des ustensiles | |||
et des animaux de travail; usage des machines, application | |||
rationnelle de la division du travail, direction intelligente sachant | |||
utiliser les procédés scientifiques; capitaux en quantité suffisante | |||
pour permettre la culture intensive et conserver à l'entreprise son | |||
indépendance commerciale; avantages multiples dans les achats de | |||
matières, les ventes de produits, les transports, les conditions du | |||
crédit, etc. Néanmoins, ces avantages de la grande entreprise n'ont | |||
pas, à beaucoup près, la même importance en agriculture que dans | |||
l'industrie. | |||
Chacun sait, en effet, que le machinisme et la division du travail | |||
sont loin de jouer le même rôle et de recevoir des applications aussi | |||
étendues en agriculture que dans la production industrielle. Les | |||
opérations agricoles, subordonnées au procès naturel de la production | |||
organique, ont un caractère discontinu et alternatif; elles sont | |||
dispersées dans l'espace; elles s'appliquent à des productions complémentaires | |||
les unes des autres. Pour ces différentes raisons, l'agriculture | |||
ne comporte, en général, ni spécialisation des entreprises | |||
dans un seul genre de production, ni division du travail par affectation | |||
du travailleur à un genre de travail unique. Pour les mêmes | |||
raisons, le petit moteur mobile est seul utilisable en agriculture, et | |||
ne peut fonctionner que par intermittence; aussi le moteur mécanique | |||
n'a-t-il pas toujours une rentabilité supérieure à celle des animaux | |||
de travail, dont les emplois sont multiples; l'usage de la | |||
charrue à vapeur, en particulier, se restreint aux labours profonds | |||
sur des sols durs et non accidentés, et ne s'est pas généralisé. Les | |||
machines les plus usuelles sont celles qui, comme les semoirs, les | |||
moissonneuses et les batteuses mécaniques, régularisent ou accélèrent | |||
les opérations agricoles; celles-là sont utilisées par le petit cultivateur | |||
lui-même, qui recourt à un entrepreneur ambulant ou à son | |||
propre syndicat lorsqu'elles sont trop importantes pour une petite | |||
exploitation. D'ailleurs, le progrès agricole dépend bien moins de | |||
l'application du machinisme à la culture que de l'amélioration du | |||
sol, des plantes et des animaux par des procédés physiques et chimiques | |||
La différence des frais, réelle dans bien des cas, s'atténue sensiblement | |||
lorsque le cultivateur, travaillant de ses bras, n'emploie comme | |||
auxiliaires habituels que les membres de sa famille. On l'a dit bien | |||
souvent, et l'on ne saurait trop le répéter : c'est par son travail que | |||
le paysan obtient des résultats qui supportent la comparaison avec | |||
ceux de la grande culture. Les salariés employés dans une exploitation | |||
capitaliste sont loin d'apporter à la culture les mêmes soins que | |||
le paysan travaillant pour son propre compte; et bien que le salaire | |||
agricole soit resté très bas, le grand exploitant, soumis aux exigences | |||
d'un personnel souvent arriéré, instable, et généralement insuffisant à | |||
certaines époques de l'année, éprouve de fréquents embarras du côté | |||
de la main-d'oeuvre. Les difficultés de la surveillance, aussi bien que | |||
celles des transports, imposent aux exploitations agricoles des limites | |||
relativement restreintes, qu'elles ne sauraient dépasser sans un | |||
accroissement plus que proportionnel des charges et des frais généraux; | |||
les opérations agricoles sont trop dispersées pour se prêter | |||
avantageusement, en culture intensive, à des entreprises aussi vastes | |||
que celles de l'industrie. | |||
La petite culture est-elle inférieure à la grande au point de vue de | |||
la productivité ? A consulter les statistiques, c'est le contraire qui | |||
paraît être la vérité. D'après le Census américain de 1900, la valeur | |||
moyenne du sol, des instruments de culture, du bétail, des produits, | |||
de la main-d'oeuvre et des engrais employés, par unité de surface, | |||
est d'autant plus élevée que l'exploitation est plus petite. Il est vrai | |||
que les moyennes relatives aux exploitations parcellaires se trouvent | |||
iniluencées par la valeur considérable des cultures maraîchères; | |||
aussi dans les cultures du maïs, du blé et du coton, l'échelle des | |||
produits est assez différente; cependant, même dans ces branches les | |||
plus importantes, c'est tantôt la petite, tantôt la moyenne culture | |||
qui égale la grande en productivité ou qui la dépasse. | |||
Peut-être dira-t-on que les États-Unis sont un pays neuf, où la | |||
moyenne de productivité des grandes exploitations se trouve abaissée | |||
par les ranches, qui renferment de vastes espaces de terres non | |||
améliorées. L'observation doit être juste, et il serait préférable, en | |||
effet, de recourir à la statistique d'un vieux pays; mais elle nous | |||
manque pour cette comparaison. Cependant celle de l'Allemagne | |||
nous fournit déjà quelques précieuses indications. Au point de vue | |||
de l'emploi des machines agricoles, la petite culture, comme on peut | |||
s'y attendre, se trouve sensiblement en retard sur la grande; cependant | |||
elle a fait depuis 1882 d'énormes progrès, relativement plus | |||
rapides que ceux de la grande culture, dans l'emploi des batteuses | |||
mécaniques et même des moissonneuses. Quant à l'état du bétail, | |||
contrairement à une opinion assez répandue, il est très supérieur en | |||
petite culture. Sans doute, le mouton y est inconnu; mais les autres | |||
animaux y sont beaucoup plus abondants; leur valeur par hectare, | |||
même en faisant abstraction des chevaux qui peuvent être considérés | |||
plutôt comme une charge, y est beaucoup plus forte, et elle augmente | |||
bien plus vite que dans les grandes exploitations. | |||
Pour serrer la question de plus près, il faut comparer la grande et | |||
la petite culture en pays pauvre et en pays riche. Dans les contrées | |||
pauvres, la grande culture est généralement dépourvue de capitaux | |||
au même degré que la petite. En pareilles conditions, la différence de | |||
productivité vient surtout du travail; elle est alors tout à l'avantage | |||
des petites exploitations, puisque le travail du cultivateur et de sa | |||
famille est bien plus productif que celui de la main-d'oeuvre salariée. | |||
En outre, la terre du paysan est mieux engraissée; le bétail y est | |||
plus nombreux par unité de surface, et l'équilibre des pertes et des | |||
restitutions s'y trouve maintenu par la consommation sur place de | |||
la plupart des produits. Dans ces régions, la grande culture est donc | |||
plus extensive que l'autre; le petit cultivateur obtient un produit | |||
brut supérieur, et sans doute aussi un produit net plus élevé. L'agriculture | |||
des pays neufs, pauvre en capital et en main-d'oeuvre, est | |||
naturellement une agriculture extensive sur de très grands domaines; | |||
mais on y observe justement que la grande exploitation recule devant | |||
la moyenne et la petite, dès que les conditions deviennent favorables | |||
à une culture plus intensive. | |||
Dans les pays riches, la situation n'est pas tout à fait la même. | |||
Sans doute, la petite exploitation convient particulièrement à la | |||
culture des produits fins et coûteux qui réclament des soins particuliers, | |||
tabac, légumes, fruits, etc. (à moins qu'ils ne soient traités | |||
par des procédés industriels comme dans les forceries). Il est possible | |||
aussi que, dans les contrées de production laitière, les exploitations | |||
soient d'autant plus productives qu'elles sont plus petites. Mais, | |||
en ce qui concerne les céréales, les grandes exploitations de 100 à | |||
300 hectares organisées pour la haute culture intensive, comme elles | |||
le sont notamment dans le nord de la France, avec un capital mobilier de 1000 à 1 200 francs par hectare, donnent en général un produit | |||
brut plus considérable que la petite culture, à cause des capitaux | |||
dont elles disposent, des engrais commerciaux, machines et procédés | |||
scientifiques dont elles font usage. Néanmoins, dans ces contrées | |||
favorisées, le petit cultivateur, entraîné par l'exemple, a cessé lui-même | |||
de pratiquer la culture arriérée. Parmi les procédés de la | |||
culture rationnelle, il en est qui sont à sa portée et qu'il a su adopter : | |||
sélection des semences et des animaux, précautions ou remèdes | |||
contre les maladies des bestiaux et des plantes, emploi d'instruments | |||
perfectionnés pour la culture, le battage et les élaborations | |||
élémentaires des produits agricoles, enfin, et surtout, application | |||
judicieuse des engrais appropriés au sol. Lorsque l'usage de ces procédés dépasse ses moyens ou ne peut s'opérer avantageusement à | |||
petites doses, le paysan recourt à l'association, qui corrige l'inégalité | |||
de sa situation vis-à-vis du grand exploitant. Aussi le petit cultivateur, | |||
s'il n'obtient pas 35 ou 40 hectolitres de blé à l'hectare comme | |||
en grande culture, peut lui-même produire 35 à 30 hectolitres; avec | |||
cette récolte obtenue à moindres frais, avec les produits accessoires | |||
de la ferme, volailles, oeufs, lait, légumes, fruits, etc., il peut encore, | |||
à force de travail et de soin, réaliser un produit net à l'hectare | |||
presque aussi élevé que celui du grand cultivateur. | |||
N'est-ce pas d'ailleurs un fait remarquable que les pays dont les | |||
rendements à l'hectare sont les plus considérables et les progrès | |||
agricoles les plus rapides sont justement, à l'exception de l'Angleterre, | |||
les pays où domine la petite culture Belgique, Hollande et | |||
Danemark. Là, comme dans le nord de la France, le paysan sait lui-même | |||
pratiquer la culture améliorante à base d'engrais, celle qui ne | |||
se contente pas de restituer au sol les éléments de fertilité absorbés | |||
par la récolte, mais qui l'enrichit encore chaque année par des | |||
apports supérieurs. | |||
On n'aperçoit donc pas les raisons techniques qui pourraient déterminer | |||
un recul de la petite entreprise agricole. Loin de là, M. David | |||
pense que plus s'accroit l'intensité de la culture, plus les conditions | |||
deviennent favorables à la petite exploitation; sous l'action de la concurrence, | |||
les productions qui réclament de fortes quantités de capital et | |||
de travail ont une tendance à se grouper dans le voisinage des grands | |||
marchés, et cette tendance doit naturellement amener une réduction | |||
de l'étendue des exploitations dans les pays industriels, si les droits de | |||
douane ne font pas obstacle à la transformation des cultures. | |||
Cette conclusion est peut-être excessive. Le développement de la | |||
culture maraîchère et de certaines cultures industrielles favorise sans | |||
doute le progrès des petites exploitations. Mais, à moins de supposer que | |||
la concurrence des pays neufs bannira un jour d'Europe la production | |||
des denrées de grande consommation, celle du blé, de la viande, | |||
du vin, du sucre, les grandes exploitations subsisteront, parce qu'elles | |||
sont parfaitement capables, au moins autant que les petites, de produire | |||
ces denrées d'une façon lucrative en y appliquant les procédés | |||
de la culture intensive. Quand à la production du lait, elle n'est | |||
pas moins appropriée à la grande entreprise qu'à la petite, et l'on | |||
remarque même que ses progrès favorisent l'agrandissement des | |||
exploitations dans les États de la Nouvelle-Angleterre. Il n'est donc | |||
pas à présumer que la concurrence exotique modifie sensiblement les | |||
positions respectives de la grande et de la petite culture en | |||
Europe. | |||
Si le petit cultivateur obtient, au point de vue de la production, | |||
des résultats sensiblement égaux et parfois supérieurs à ceux de la | |||
grande culture, il semble qu'au point de vue commercial, dans les | |||
achats et les ventes, son infériorité soit plus nettement marquée. | |||
Aussi insiste-on particulièrement sur ce point, pour peindre la | |||
situation du paysan sous les couleurs les plus sombres. On le montre | |||
dépouillé de ses anciennes industries domestiques, obligé de renoncer | |||
à l'économie en nature et de convertir ses produits en argent pour | |||
acquitter les impôts, le fermage ou les intérêts d'une dette hypothécaire, | |||
pour payer quelques auxiliaires et acheter les objets indispensables | |||
à son existence et à sa culture. Forcé de se plier aux conditions | |||
nouvelles de l'agriculture spécialisée et intensifiée, il lui faut multiplier | |||
ses achats d'instruments et d'engrais et produire pour le | |||
marché. Mais dès lors qu'il aborde le marché, il se trouve soumis à | |||
toutes les conjonctures économiques; il subit la loi des vendeurs et | |||
des usuriers, et tombe de plus en plus sous la dépendance des industriels | |||
et des commerçants capitalistes auxquels il doit vendre ses | |||
produits négociants en vins ou en céréales, minotiers, brasseurs, | |||
distillateurs, fabricants de sucre, de beurre ou de fromage, marchands | |||
de chevaux et de bestiaux, facteurs des halles, etc. | |||
Ce tableau si vigoureusement poussé au noir suppose accomplie, | |||
sans les correctifs qui l'accompagnent, une évolution capitaliste simplement | |||
commencée en agriculture. Le paysan tend à entrer de plus | |||
en plus dans la sphère de l'économie des échanges, c'est incontestable | |||
mais le mouvement est loin d'atteindre le monde rural dans | |||
toute sa profondeur; l'économie en nature subsiste encore sur une | |||
large étendue du territoire européen, dans les pays de métayage, dans | |||
les régions montagneuses ou éloignées des voies de communication; | |||
et là même où le paysan, profitant des nouveaux débouchés, a changé | |||
les bases de son existence, il continue à consommer une partie des | |||
produits de son fonds. On lui reproche même, en France, de s'obstiner | |||
à cultiver du blé pour sa consommation personnelle sur des | |||
terres qui seraient mieux appropriées à d'autres productions; s'il le | |||
fait, c'est moins par ignorance que par souci traditionnel de son | |||
indépendance économique. | |||
Il est fort possible, au reste, que les vestiges de cet ancien régime | |||
de l'économie en nature, malgré l'importance qu'ils conservent | |||
encore, soient destinés à disparaître. Mais à mesure que le paysan | |||
s'engage plus avant dans la voie des échanges, il apprend aussi à | |||
fortifier sa situation commerciale par l'association, soit comme acheteur,soit comme emprunteur, soit même comme vendeur. Ce point est capital; les progrès de la coopération agricole, si surprenants dans ces dernières années, sont un aspect essentiel de l'évolution contemporaine | |||
au même titre que le développement capitaliste; ils l'accompagnent | |||
et en tempèrent les effets. Celui qui les négligerait pour ne | |||
tenir compte que des envahissements du capitalisme en agriculture | |||
se ferait donc une idée fausse de la petite culture et de son avenir. | |||
Mais la coopération agricole présente une telle importance, que nous | |||
devrons lui consacrer une étude particulière. | |||
Il faut encore observer que le petit cultivateur, s'il est propriétaire du sol qu'il exploite sans être grevé d'une dette hypothécaire, ou s'il est simplement métayer, peut supporter des baisses de prix qui | |||
sont ruineuses pour le grand fermier capitaliste. N'ayant à payer ni | |||
fermage, ni intérêts, ni salaires, il est capable de résister à la crise | |||
agricole, sinon sans souffrances, du moins sans expropriation. Au | |||
Danemark, où rien ne le protège contre la concurrence extérieure, le | |||
petit propriétaire exploitant maintient ses positions et prospère en | |||
améliorant sans cesse ses procédés de culture et de vente en | |||
commun. | |||
Ainsi s'expliquent les statistiques. Si la petite exploitation ne | |||
recule pas devant la grande en agriculture, c'est qu'à la différence du | |||
métier industriel, la petite culture supporte la concurrence sans désavantage. | |||
Nous sommes donc loin, en réalité, de cette vision d'avenir | |||
qui hante l'esprit de certains publicistes tant libéraux que socialistes, | |||
de ces latifundia destinés soi-disant à couvrir le sol des pays civilisés, | |||
qui seraient exploités par des compagnies ou des collectivités | |||
avec toutes les ressources d'une savante organisation, services spécialisés, | |||
charrues à vapeur, usines d'élaboration pour les produits, voies | |||
ferrées intérieures, laboratoires et bureaux de comptabilité, etc. | |||
C'est un fait d'expérience que les grandes exploitations entreprises | |||
par des collectivités, comme celles des Wholesales anglaises, végètent | |||
ou échouent complètement, parce que rien ne remplace l'intérêt personnel du producteur dans un genre de production où le contrôle | |||
est particulièrement difficile à exercer. | |||
Mais, dit-on, si le paysan parvient encore à conserver sa petite | |||
exploitation, c'est qu'il travaille comme une bête de somme, s'exténuant | |||
lui-même et exténuant les siens par un labeur excessif; s'il | |||
continue à vivre, c'est à force de privations et de jeûnes, dans une | |||
indigence sordide et dégradante qui le maintient à l'état de barbare | |||
au sein de la société civilisée. | |||
Lorsqu'on a exposé sur ce ton l'état de subordination et de misère | |||
auquel le paysan se trouve réduit par les progrès du capitalisme, | |||
on en vient à conclure qu'il renoncera de lui-même un jour à un | |||
semblant de propriété et d'indépendance, ou au moins qu'il subira | |||
docilementl'impulsion des forces révolutionnaires de l'industrie. La | |||
grande exploitation socialiste « l'arrachera à l'enfer auquel l'enchaine | |||
aujourd'hui sa propriété privée ». | |||
Mais la thèse se détruit par sa propre exagération. Il est toujours | |||
possible, dans un monde aussi vaste que celui des populations | |||
rurales, de fournir des exemples tirés de certaines régions où la situation | |||
du paysan est en effet difficile ou désespérée. Mais verrait-on la | |||
petite culture se défendre, et même progresser dans certains pays, si | |||
la condition générale des paysans était aussi misérable? Les petits | |||
propriétaires ruraux de France, de Belgique, du Danemark, de Suisse | |||
ou de Bavière sont-ils donc des êtres faméliques et dégradés, | |||
enchaînés par leur propriété à un enfer de barbarie? Il ne faudrait | |||
pourtant pas nous dépeindre le paysan moderne, dans les pays de | |||
petite propriété et de régime démocratique, sous les mêmes traits que | |||
le paysan français à la fin du règne de Louis XIV ou le paysan macédonien | |||
de nos jours. Une cause ne gagne rien à ces excès de zèle. |
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