Différences entre les versions de « Les systèmes socialistes et l'évolution économique - Deuxième partie : Les faits. L’évolution économique - Livre III : Le développement des formes d’organisation économique à l’époque contemporaine »

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capital huit ou dix fois plus considérable que le leur, et détiennent
capital huit ou dix fois plus considérable que le leur, et détiennent
une puissance économique qui semble jusqu'ici sans contrepoids.
une puissance économique qui semble jusqu'ici sans contrepoids.
====La sphère du monopole.====
En présence du développement si rapide des trusts et des cartels,
un problème général s'impose à notre attention.
On sait quelles sont les causes ordinaires des monopoles privés :
causes naturelles, lorsque les sources de la production sont restreintes
(sel, pétrole, houille, métaux, etc.), ou que le service à exploiter
nécessite une occupation de la voie publique (services d'eaux et de
gaz, tramways, etc.); causes artificielles, lorsqu'un privilège est conféré
à un exploitant soit par l'autorité publique (brevet d'invention,
marque de fabrique, concession privilégiée des voies ferrées), soit par
de grandes entreprises de transport ou d'emmagasinage. Mais ces,
causes strictement définies, d'une étendue relativement limitée,
sont elles les seules? Ne doit-on pas, au contraire, reconnaître
aujourd'hui une nouvelle cause de monopole privé, agissant avec
une énergie croissante, dans la supériorité des grands capitaux, qui
écrasent par leur seule puissance les entreprises de moindre envergure
sur le terrain de la libre concurrence? Ne voyons-nous pas à
notre époque, en dehors des monopoles naturels et artificiels, s'élever
des monopoles d'origine purement capitaliste qui naissent spontanément
de l'organisation économique des sociétés modernes? Et si
le monopole peut s'établir par la seule force des capitaux, n'est-il
pas destiné à envahir progressivement tout le domaine économique,
comme une conséquence nécessaire du régime de la libre concurrence
?
A cette question, la plus grave peut-être que soulève le capitalisme
grandissant, il semble difficile à l'heure actuelle d'apporter une
réponse certaine appuyée sur l'observation; et les hommes qui l'ont
étudiée de plus près, à l'aide des matériaux fournis par l'enquête de
la Commission industrielle des États-Unis, comme M. Jenks, se
montrent assez réservés dans leurs conclusions, disant que l'expérience
des trusts contemporains est encore trop récente pour fournir
''des éléments de certitude''.
En fait, il est difficile de citer aux États-Unis un trust important
et durable, investi d'un réel monopole, qui ne le doive à quelque
cause naturelle ou artificielle : limitation naturelle de la production,
brevet d'invention, tarifs de faveur ou ristournes des compagnies de
chemins de fer, etc.
Toutefois, on a beaucoup abusé du régime protectionniste des
États-Unis pour soutenir que la floraison des trusts américains est
un phénomène purement local, qui serait impossible dans un régime
de liberté commerciale. M. Havemeyer, président de l'''American Sugar Refining C°'', est venu prêter à cette opinion l'appui de son
autorité, en déclarant devant la Commission industrielle que la protection
douanière est la mère de tous les trusts. M. Havemeyer n'a
donné de son affirmation qu'une justification insuffisante, et d'ailleurs
dangereuse pour ceux qui ont foi dans la libre concurrence,
lorsqu'il a dit que la protection active la concurrence intérieure, qui
se résout finalement en combinaisons. Mais on a fait observer en
sens contraire que, si la protection douanière permet incontestablement
à un trust, une fois qu'il est constitué et armé d'un monopole,
de mieux rançonner les consommateurs et de faire l'exportation à
prix réduits, elle n'explique pas la formation même de ce monopole
et la suppression de la concurrence intérieure. Loin de là,
les prix élevés qui résultent d'un tarif protecteur favorisent les
petites entreprises comme les grandes, et sont plus nécessaires encore
aux premières pour subsister qu'aux secondes pour se développer; la
suppression des barrières de douane, si elle devait mettre en échec
le monopole d'un trust par l'introduction de la concurrence étrangère,
pourrait être favorable aux consommateurs, mais elle n'aurait
pas pour effet de ranimer la concurrence intérieure; des entreprises
de moindre importance échoueraient, là où le trust lui-même ne parviendrait
pas à maintenir ses positions. La protection douanière
peut être la nourrice des trusts, elle n'en est pas la mère.
Au reste, il n'est plus guère possible de s'en tenir à cette affirmation que les trusts doivent leur existence au protectionnisme, depuis
que nous sommes renseignés sur leur croissance en Angleterre. Et
les trusts anglais, qu'on le remarque bien, ne sont pas seulement de
grandes combinaisons d'entreprises fusionnées qui opérent en concurrence
avec d'autres entreprises; plusieurs d'entre eux contrôlent
80 à 98 p. 100 de la production dans leur spécialité, et possèdent par
conséquent un véritable monopole sur le marché national, avec une
influence qui s'étend, pour quelques-uns, sur le marché universel.
C'est la maison Coats, alliée à l'''English Sewing Cotton C°'' et à l'''American Thread C°''; c'est encore la ''Fine Cotton Spinners and Doublers Association'', la ''Calico Printers'Association'', la ''British Cotton and
Whool Dyers'' Association alliée à la ''Bradford Dyers'Association'' ,l'''English Velvet and Whool Dyers' Association'', ''Scarlet and Colors Dyers'Association'', la société des ''Wall Paper Manufacturer'' dans une moindre mesure, les ''British and Coke Mills Association'', etc.
Ces industries ne sont pas monopolisées par l'accaparement des
sources naturelles de la production; ce sont des filatures et fileteries,
des teintureries, des maisons d'impressions sur étoffe, des fabriques
de papiers peints, etc. Elles ont donc un monopole d'origine capitaliste,
attaché à la puissance de leurs capitaux et à la supériorité de
leur organisation.
Néanmoins, il serait téméraire de généraliser ces exemples, et de
conclure pour l'avenir au triomphe du monopole sur tout le champ
de la production. Que le monopole s'établisse par la seule force des
capitaux, en dehors de toute restriction naturelle et de tout privilège
artificiel, dans les entreprises de chemins de fer là où elles sont libres,
dans la navigation transatlantique, dans la grande industrie métallurgique,
dans la raffinerie du sucre et du pétrole, dans les grandes
industries chimiques, dans d'autres encore, rien de plus naturel et
de plus facilement explicable; il s'agit là d'industries nécessairement
concentrées, dans lesquelles les concurrents sont peu nombreux et
doivent être tôt ou tard amenés à l'unité. Mais que la même unité
doive se réaliser dans des branches d'industrie et de commerce où
l'outillage est simple, où l'exploitation peut être entreprise avec
de faibles capitaux, où les produits, parvenus au dernier degré de
fabrication, présentent une grande variété, où la gestion ne comporte
pas de règles communes applicables à de nombreux établissements,
mais doit varier suivant les conditions locales et les relations personnelles,
voilà qui est beaucoup plus douteux, j'ajoute même infiniment peu probable; nous le verrons de façon plus précise à propos
de la petite industrie et du petit commerce. On oublie surtout, lorsqu'on
affirme pour l'avenir la généralisation du monopole, l'énorme
importance et la force de croissance des entreprises de dimension
moyenne, trop puissantes pour se laisser absorber, trop nombreuses
pour s'amalgamer.
Un économiste anglais, M. Hobson, a dit avec beaucoup d'à-propos
que partout où les canaux de la production et de la circulation sont
resserrés, il se trouve des monopoleurs qui lèvent des taxes sur le
public comme jadis les barons du Rhin; encore faut-il, pour que le
péage puisse être prélevé, que la voie soit étroite.
Quoi qu'il en soit, on conviendra volontiers qu'un monopole à
base simplement capitaliste, là où il réussit à s'établir, reste néanmoins
beaucoup plus précaire et exposé à la concurrence qu'un
monopole fondé sur un accaparement des produits naturels ou sur
un privilège légal; il ne peut tourner à l'abus, par des prix poussés
sensiblement au delà du taux de concurrence, sans provoquer des
compétitions victorieuses et s'effondrer sous ses propres excès,
comme il arrive à la concurrence elle-même. Les faits observés
jusqu'à présent justifient suffisamment cette proposition.
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